Paris (75)

Georges Sauveur, à l’assaut des usurpateurs du titre d’avocat

Publié le 03/02/2023

Georges Sauveur vient de voir son mandat de secrétaire de la Commission de réglementation de l’exercice du droit (CRED) de l’ordre des avocats de Paris (75) renouvelé pour l’année 2023. Actu-Juridique en profite pour faire un point avec lui sur l’utilité de cette instance qui traque ceux qui se font appeler « Maître » sans pour autant en avoir le titre…

Actu-Juridique : Qu’est-ce qui vous a amené à vous retrouver à la tête de cette commission ?

Georges Sauveur : On m’a proposé cette mission en tant que membre du conseil de l’ordre des avocats du barreau de Paris, le seul qui ait les moyens, en terme financier et humain, de disposer d’un tel service. La CRED n’avait jusque-là pas été suffisamment animée, et avait besoin d’être reprise en main. Ma pratique du droit pénal explique que l’on soit venu me chercher, car la commission nécessite le concours de personnes ayant des compétences en matière de contentieux. L’organigramme du conseil de l’ordre a été adopté en 2022, et nous avons ensuite recruté, parmi 200 candidats, deux avocats missionnés, Riwann Abrissa et Virginie Guiot. L’ordre a également recruté une permanente pour ce service, Camille Pain, qui est devenue la véritable tour de contrôle de la CRED. Deux critères ont présidé à ces recrutements : la maîtrise des règles de déontologie et une bonne connaissance de la procédure pénale.

Actu-Juridique : En quoi consiste l’activité de la CRED ?

Georges Sauveur : La profession d’avocat est dite « réglementée ». Le législateur confie à l’ordre des avocats le soin de contrôler le respect de cette réglementation, ce qui lui donne un privilège et, en contrepartie, des obligations. L’article 4 de la loi de 1971 (loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971) octroie le monopole de la consultation juridique et de la représentation judiciaire aux avocats. Notre activité consiste donc à prévenir, dissuader et poursuivre les personnes qui ne respectent pas la loi de 1971. Ce faisant, nous défendons l’institution de manière générale, l’ordre des avocats de Paris de manière plus particulière, et les justiciables avant tout. Car ce sont eux, en majorité, qui nous saisissent. Lorsqu’ils sont insatisfaits par leur avocat, ils s’adressent au service de déontologie du Barreau. Ce service vérifie l’inscription du mis en cause soit dans l’annuaire des avocats du barreau de Paris, soit dans celui du Conseil national des barreaux (CNB). Si son nom n’y apparaît pas, on nous renvoie le dossier…

Actu-Juridique : Quelles sont les principales situations auxquelles vous faites face ?

Georges Sauveur : Nous avons beaucoup de dossiers qui concernent des personnes vulnérables, qui n’ont personne dans leur entourage pour les conseiller, et qui sont abusées par des personnes qui ne sont pas du tout avocats. Des personnes en situation irrégulière, par exemple, qui, à la préfecture, en voient d’autres accompagnées par quelqu’un se prétendant avocat, se faisant appeler « Maître », alors qu’ils n’ont jamais été avocat. (Cette histoire en est un bon exemple, NDLR). On rencontre également des personnes victimes d’arnaque à l’assurance-vie, destinataires de courriers aux formulations ampoulées, dont les auteurs font précéder leur identité par le mot « maître » et indiquent qu’ils exercent en cabinet. Les personnes flouées ne se rendent pas compte que l’adresse du cabinet en question est fausse ou trompeuse.

Le second type de dossiers concerne des avocats radiés ou en interdiction temporaire d’exercice (ces derniers pourront de nouveau exercer, au terme de la période d’interdiction). Les avocats soumis à une interdiction d’exercice conservent un lien avec leur barreau, c’est la raison pour laquelle ils figurent toujours dans l’annuaire du barreau avec la mention « empêché d’exercer ». Les avocats qui exercent malgré ces sanctions se rendent coupables d’exercice illicite de la profession d’avocat.

Enfin, nous nous confrontons plus récemment à ceux qu’on appelle les « braconniers du droit ». Il ne s’agit pas du tout d’escrocs. Il s’agit de créateurs de start-up qui automatisent la rédaction de courriers d’avocat, de mises en demeure, pour des prix modiques. Les personnes qui se trouvent derrière ces sites affirment qu’ils ne font pas de consultation juridique, au motif que c’est le justiciable lui-même qui remplit les champs manquants de courriers préremplis. Ils n’empiètent donc pas, à première vue, sur le conseil juridique. Mais, en réalité, les justiciables vont tenter de les joindre pour obtenir un conseil juridique dont ils restent demandeurs… Et ces sites n’ont pas le droit de les délivrer, car ces conseils demeurent le monopole des avocats. Bien souvent, les justiciables se plaignent du fait que ces courriers ne portent pas les fruits escomptés.

Nous sommes également saisis par des confrères, qui, dans certains dossiers, s’aperçoivent que le conseil de la partie adverse n’est pas inscrit au barreau…

Actu-Juridique : Quel est le nombre de situations que doit traiter la CRED ?

Georges Sauveur : En 2022, 458 dossiers étaient en cours, dont 136 ouverts dans l’année. On observe une augmentation du nombre de saisines sur le second semestre, dont j’espère qu’elle est la conséquence de notre reprise en main de la commission. Dans la plupart des cas, les litiges se règlent par échange de courriers. Mais nous avons fait cette année 15 signalements au procureur de la République, ceux pour lesquels une médiation n’a pas suffi. Parfois, les personnes se mettent en faute par ignorance. Nous leur adressons des courriers, ils régularisent la situation, et cela s’arrête là : la justice est déjà suffisamment débordée et un seul parquetier s’occupe de ces enquêtes au tribunal de Paris. Nous ne lui transmettons donc que les dossiers qui nous paraissent graves et méritant une réponse judiciaire.

Parfois, nous utilisons d’autres méthodes. Une consœur de province nous a saisis parce qu’elle avait substitué une avocate parisienne, qui ne l’avait pas rémunérée. Or il se trouvait que cette avocate avait été condamnée pour escroquerie et était interdite d’exercer. Elle trouvait des clients en créant des sites internet à son nom. J’ai donc écrit aux fournisseurs d’hébergement de ces sites afin de les faire fermer, sur le fondement de la loi pour la confiance dans l’économie numérique. Il nous est également arrivé d’aller devant un juge civil pour qu’il mette en demeure les fournisseurs d’accès de bloquer l’accès à un site qui usurpait le nom d’un avocat bénéficiant d’une notoriété certaine et qui nous avait saisis.

Actu-Juridique : Quelles sont vos orientations pour l’année de mandat qui vous reste ?

Georges Sauveur : Je voudrais populariser l’existence de notre commission et mener une campagne de communication, sur les réseaux sociaux notamment, pour que toute personne à la recherche d’un avocat vérifie au préalable son inscription dans un barreau. Cela éviterait bien des déboires aux justiciables ! J’aimerais faire comprendre au plus grand nombre, l’intérêt du monopole des avocats qui, contrairement aux juristes, sont soumis à des principes déontologiques, notamment de modération, de compétence, de dévouement, de désintéressement. S’ils y dérogent, ils s’exposent à des sanctions disciplinaires. À l’inverse de ceux que j’appelle « les braconniers du droit », les avocats ont l’obligation de contracter une assurance qui couvre leur responsabilité professionnelle. Si un justiciable se retourne contre son avocat parce qu’il estime qu’il a mal assuré sa défense, et qu’il obtient gain de cause, c’est l’assurance de l’avocat qui va l’indemniser… ce qui n’est pas le cas pour les personnes qui ouvrent des sites internet. Je ne serai secrétaire de la CRED que jusqu’à la fin de l’année 2023. J’ai donc eu le souci de mettre en place des process de travail qui permettent à mes successeurs de continuer à mener à bien notre mission après mon départ. Nous avons préparé des modèles de courrier, de signalement, établi des fiches sur les fondements juridiques sur lesquels se base notre action, afin que l’on perde à l’avenir le moins de temps possible… car il s’agit d’un volume de travail important, effectué, rappelons-le, de manière bénévole par les membres du conseil de l’ordre…

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