Gilles Antonowicz : « Maurice Garçon voyait l’art en toute chose » !

Publié le 03/02/2022

Gilles Antonowicz : « Maurice Garçon voyait l’art en toute chose » !

Grand nom du barreau de Paris au XXe siècle, Maurice Garçon était écrivain, amateur de beaux-arts et de sorcellerie, dessinateur. Le beau livre « Maurice Garçon, artiste », paru aux éditions Seghers, rend hommage à cet homme à la personnalité foisonnante. Sous forme d’un abécécaire illustré, Gilles Antonowicz avocat lui-même, revient sur les grandes affaires et les nombreuses passions du plaideur, Maurice Garçon. Entretien.

Actu-juridique : D’où vous est venue l’idée de ce livre ?

Gilles Antonowicz : C’est une historie qui remonte en 2008. J’avais écrit une biographie de Jacques Isorni, grand avocat qui, au XXe siècle, a défendu tout le monde : les communistes sous l’Occupation, Robert Brasillach et le maréchal Pétain à la Libération, puis des nationalistes tunisiens, des soldats de l’OAS. Un homme fascinant, au sujet duquel je viens de publier un second livre, « Isorni, les procès historiques », aux éditions des Belles lettres. Il m’a mené à Maurice Garçon. Ces deux hommes se ressemblaient, avaient eu des dossiers ensemble. Garçon était également une grande figure du XXe siècle. J’ai eu envie de lui consacrer une biographie et j’ai acheté tous les livres qu’il avait écrit. J’ai trouvé sur internet L’avocat et la morale, en vente dans une libraire du XVe arrondissement de Paris. Le libraire m’a dit, en me le remettant, qu’il avait été écrit par son grand-père. Nous avons commencé à chercher un éditeur ensemble. Cela a été très long. Personne, à l’époque, ne voyait l’intérêt d’un livre sur lui. Son journal, finalement publié aux éditions Fayard en 2015 et vendu à 40 000 exemplaires, a changé la donne.

AJ : Quel a été le rôle de la famille de Maurice Garçon ?

G.A. : Le petit-fils de Maurice Garçon m’a mis en contact avec sa mère. Je suis allé chez elle, et j’y ai trouvé les carnets du journal publié en 2015, ainsi que de nombreux dessins. J’ai découvert que Maurice Garçon, en plus d’être avocat, était un artiste. Il dessinait souvent à l’audience. À l’entrée « Cirque », qui raconte le conflit entre les cirques Fernando et Bouglione, vous trouvez le croquis fait par Garçon des nains du cirque Bouglione présents à l’audience. Sur la même page, vous avez un croquis de Charlie Chaplin, dont il a été l’avocat. Vous trouverez beaucoup d’autres exemples au fil des pages. Maurice Garçon est un homme qui voyait l’art en toute chose. Il a ainsi donné une conférence consacrée à « l’escroquerie comme une forme d’art », dans laquelle il développait l’idée que ces infractions, commises avec talent, sont artistiques.

AJ : Comment avez-vous travaillé ?

G.A. : De bout en bout, la famille a été totalement associée à la conception du livre. Par chance, elle avait conservé toutes les archives de l’avocat. Rien n’aurait pu se faire sans elle ! Cette matière riche, très diverse, m’a donné envie de rédiger cette biographie sous forme d’abécédaire. Nous avons choisi les différentes entrées ensemble. Je suis allé aux Archives nationales, où, par chance, Maurice Garçon avait déposé ses dossiers. J’en ai sélectionné plusieurs, criminels ou civils. Le livre s’est également fait au fur et à mesure des rencontres. J’ai, un jour, rencontré le président des amis de Pierre Benoit, un écrivain que beaucoup ont oublié alors qu’il a vendu des milliers de livres au XXe siècle. Maurice Garçon lui avait écrit des lettres illustrées à l’aquarelle. Il y a plein de choses. J’ai essayé de garder ce qui était le plus amusant, intéressant et significatif.

AJ : Qui était Maurice Garçon ?

G.A. : C’est quelqu’un qui s’amusait, qui considérait que la vie, si elle est grave, est aussi un jeu. Il est sérieux et fantasque, très divers. À travers lui, on peut brosser le portrait d’une époque. Il est né en 1889, année de la naissance d’Adolf Hitler, de Charlie Chaplin et de la construction de la Tour Eiffel. Il est mort en 1967, soit juste avant le tournant qu’a constitué 1968 dans la société française. Il me semble très représentatif de ce qu’était un Français de la bonne bourgeoisie au XXe siècle. Il représente la France moderne pour le meilleur et pour le pire. C’est aussi un humaniste qui écrivait le grec et le latin. Des avocats d’une telle culture n’existent plus aujourd’hui. Je crois aux vertus de l’histoire. Il faut connaître les mondes disparus. C’est l’intérêt de ce livre, au-delà du récit de quelques procès.

AJ : Vous avez néanmoins intégré quelques affaires…

G.A. : Le livre revient sur quelques affaires criminelles, comme celle de Denise Labbé qui avait noyé sa fille dans une lessiveuse pour prouver son amour à son amant, ou celle de Georges Arnaud qui a peut-être tué son père, sa tante et sa bonne. C’est distrayant mais pas uniquement. Ces affaires disent des choses de l’époque. L’affaire Denise Labbé montre l’influence d’un écrivain comme André Gide sur des esprits fragiles qui, après l’avoir lu, cherchent à exécuter un acte gratuit, exceptionnel, pour dire leur amour… Ce procès avait d’ailleurs passionné les philosophes et intellectuels de l’époque.

AJ : Vous pointez aussi quelques travers de Maurice Garçon…

G.A. : Ce n’est pas une hagiographie. Parfois, je me moque un peu du mondain qu’il était, qui pouvait avoir tendance à se vanter un peu dans les dîners en ville. Un biographe se doit de montrer tous les côtés d’un personnage. Maurice Garçon était toujours franc, n’expurgeait rien, quitte à se contredire parfois. C’est le mérite de son journal : il ne revient jamais dessus.

AJ : Que penserait-il de notre époque ?

G.A. : C’était un homme très attaché aux libertés publiques. Il serait, je pense, désespéré de voir le nombre de choses qu’on ne peut plus dire sans risquer de se retrouver au tribunal. Il se sentirait probablement un peu à l’étroit.

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