« Il s’agit de la première fois qu’à partir de deux professions, on en construit une troisième »

Publié le 06/03/2018

Pour les huissiers de justice, cette année sera une année de transition : de nombreuses évolutions vont être mises en place progressivement. Patrick Sannino, président de la Chambre nationale des huissiers de justice (CNJH) revient sur les enjeux de 2018.

Les Petites Affiches

Pourriez-vous revenir sur les objectifs de la création de la nouvelle profession de commissaire de justice ? Que cherche-t-elle à faire ? Pour quels avantages, quelle efficacité supplémentaire pour la justice et les justiciables ?

Patrick Sannino

La profession de commissaire de justice trouve ses origines dans plusieurs rapports, et notamment le rapport de la Commission Darrois (2009) qui avaient préconisé le rapprochement entre les « professions de l’exécution » afin d’améliorer la lisibilité pour les justiciables et renforcer la spécificité de l’exécution forcée notamment dans le cadre européen. Ces idées ont été reprises par le gouvernement dans le cadre des travaux parlementaires de la loi Macron. La question, devant le Parlement, avait été de définir l’étendue exacte de cette nouvelle profession. Après des débats assez vifs, le périmètre retenu a été la création de la profession de commissaires de justice, par voie d’ordonnance, visant à réunir progressivement les professions d’huissiers de justice et de commissaires-priseurs judiciaires, et d’ouvrir à ces professions, en dehors de la nouvelle profession, la possibilité d’être désignés, à titre habituel, pour les « petites liquidations » (pour les dossiers de moins de 100 000 € de chiffres d’affaires, sans salariés, mais sur ce point, malgré les textes, la situation sur le terrain ne s’est pas modifiée pour le moment).

Au-delà de l’objectif d’une plus grande lisibilité pour le justiciable, il s’est agi pour le législateur de réunir deux professions dont le champ d’intervention, malgré les spécificités indéniables, n’est pas trop éloigné. La méthode employée, fondée sur le caractère progressif et garantissant une phase d’adaptation très longue pour parvenir à la nouvelle profession, garantir une approche pragmatique et respectueuse des exigences des professionnels en place.

LPA

Pourrait-on la qualifier de révolution, pour vous huissiers ?

P.S.

Le droit français a déjà dans le passé connu la « fusion » de deux professions, sous la forme de l’absorption d’une profession par une autre (comme par exemple, pour les avoués et les avocats). Il s’agit en revanche de la première fois qu’à partir de deux professions on en construit une troisième. De ce point de vue, sans parler d’une révolution, il s’agit d’une véritable nouveauté. En ce qui concerne les huissiers de justice, il ne s’agira pas tellement d’une évolution fondamentale dans leur métier (puisqu’ils pouvaient déjà réaliser, dans le cadre de leur statut, des ventes judiciaires), mais plutôt dans la façon de concevoir leur profession. La nouvelle profession, au-delà de l’appellation, nous interroge sur notre avenir commun, avec les commissaires-priseurs judiciaires, afin d’identifier des pistes de développement économique commun. Cette nouvelle profession est une chance économique et un défi que nous voulons relever, ensemble, avec les commissaires-priseurs judiciaires.

LPA

Vous avez qualifié cette année (jusqu’à la création de la Chambre nationale des commissaires de justice en 2019) de « transition » et non de rupture, comme dans un signe d’apaisement. Comment envisagez-vous cette année ? Elle risque d’être chargée, intense, pleine de réflexions… Y a-t-il certaines échéances importantes qui la ponctueront ?

P.S.

Je n’aime pas tellement le terme d’apaisement, car il suppose qu’il y ait une « tension », alors que de notre côté nous n’avons jamais été dans cet esprit. Depuis la parution de l’ordonnance du 2 juin 2016 nous travaillons activement, avec la Chambre nationale des commissaires-priseurs judiciaires, à la préparation de la nouvelle Chambre nationale et des échéances qui nous attendent. La première a été le travail préparatoire à la prochaine « formation passerelle », qui permettra aux commissaires-priseurs judiciaires et aux huissiers de justice (qui rempliront les conditions d’expérience en matière de ventes judiciaires) de parvenir à la qualification de commissaires de justice et de pouvoir devenir commissaires de justice en 2022. Jusqu’à cette date, en effet, il n’existera pas de commissaires de justice, et les deux professions resteront distinctes. Les professionnels auront jusqu’en 2026 pour effectuer, si besoin, ces formations.

Le deuxième chantier fondamental, pour les deux professions, est la construction de la Chambre nationale des commissaires de justice, qui verra le jour le 1er janvier 2019. Il s’agira d’une « chambre de préfiguration », composée à parité entre huissiers de justice et commissaires-priseurs judiciaires, et qui aura comme finalité principale de « préparer » la fusion des professions, qui interviendra, avec la fusion des instances locales, en 2022. Comme vous le voyez, il s’agit là d’un processus long et progressif.

Le troisième chantier, tout aussi fondamental, est la création de la nouvelle formation initiale commune, qui devra permettre en 2022 la nomination des premiers commissaires de justice issus de la formation initiale. Il s’agit sans doute du dossier le plus complexe et le plus exaltant, puisqu’il s’agit de construire, de façon innovante, notre profession de demain.

LPA

Dans quelle mesure huissiers et commissaires-priseurs discutent-ils d’ores et déjà régulièrement de cette fusion ?

P.S.

Tout simplement nous travaillons ensemble, déjà quasiment au quotidien. Des réunions se sont déroulés sur la « formation passerelle », et nous avons déjà commencé à identifier les points les plus importants sur lesquels nous devrons avancer dès le début de l’année prochaine, au sein de la nouvelle Chambre nationale.

LPA

Dans vos vœux vous avez insisté sur un socle commun : « culture juridique, esprit d’entreprise, confiance accordée à nos constatations, activité de ventes volontaires, judiciaires… ». Vous aviez aussi évoqué des différences entre les deux professions : quelles sont-elles ?

P.S.

Nous sommes des professions à la fois très proches et très différentes. Sans doute, les commissaires-priseurs judiciaires, qui aiment se définir comme une « profession de l’expertise » ont développé particulièrement cet aspect de spécialisation dans un domaine très pointu, alors que notre modèle économique est davantage fondé sur un nombre important de dossiers. Brefs, nous trouvons, pour en avoir discuté souvent avec les commissaires-priseurs judiciaires, que nous avons des approches complémentaires, qui nous serons utiles. Notre obsession est de faire en sorte que la fusion ne néglige aucun de ces aspects et qu’elle permette de garantir à chaque fois le plus haut niveau de qualité.

LPA

Comment concilier un ancrage très territorial pour les huissiers et plus parisiens pour les commissaires-priseurs ?

P.S.

En soi, il ne s’agit pas d’une réelle difficulté. Il s’agit du fruit de l’histoire et correspond à une réalité du marché. Nous regrettons toutefois que ces spécificités n’aient pas été suffisamment prises en compte par exemple lors de la cartographie sur la liberté d’installation pour les commissaires judiciaires et les huissiers de justice (nous avions collectivement plaidé pour une seule cartographie, mais nous n’avons pas été malheureusement suivis). En tout cas, c’est trop tôt pour définir exactement comment se réalisera la répartition géographique de la profession, puisqu’elle dépendra également de la volonté des huissiers de justice et des commissaires-priseurs judiciaires de donner naissance à des structures communes. D’une façon générale, nous partageons tous la volonté de ne pas délaisser la proximité. C’est un élément commun très fort des deux professions.

LPA

Pourriez-vous revenir sur la formation réciproque qui va se mettre en place pour que huissiers et commissaires-priseurs se forment à de nouvelles compétences ?

P.S.

Cette formation se mettra en place très naturellement, de façon concertée entre nos deux professions, d’autant plus que la nouvelle Chambre nationale sera chargée de sa mise en œuvre dès le 1er janvier prochain. Nous avons souhaité que la formation, tout en garantissant un bon niveau de qualité, ne soit pas un frein pour les professionnels en exercice. Nous sommes dans l’attente du décret et espérons que nous pourrons mettre en œuvre rapidement les formations, auxquelles nous travaillons déjà avec les commissaires-priseurs judiciaires.

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