Jacqueline Scott : « Avocats, nous parlons la même langue juridique, nous avons les mêmes valeurs, nous sommes redevables des principes de notre profession »

Publié le 20/12/2023

Jacqueline Scott, une avocate américaine, a été nommée le 29 octobre dernier à la présidence de l’organisation internationale. Créée en 1927 et présente dans 110 pays, l’Union internationale des avocats (UIA) défend « l’État de droit, l’indépendance des avocats et des juges ». Jacqueline Scott, membre de l’ONG depuis 2003 et cofondatrice du cabinet FortneyScott, souhaite notamment « promouvoir l’inclusion et la diversité », travailler sur la problématique de l’intelligence artificielle et soutenir l’idée de « Nation des avocats ».

Actu-juridique : Quel sentiment vous anime après votre nomination à la tête de l’Union internationale des avocats (UIA) ?

Jacqueline Scott : C’est pour moi un honneur et un privilège de poursuivre la longue tradition de l’UIA, leader de la Nation des avocats. Je m’appuie sur les succès de mes prédécesseurs et suis enthousiaste à l’idée de participer à la construction de l’avenir de l’UIA. Je me réjouis de travailler avec mes amis et collègues de l’UIA ainsi qu’avec les avocats du monde entier pour continuer à renforcer notre profession juridique et à défendre l’État de droit.

AJ : En quoi votre parcours professionnel a-t-il été un atout dans votre nomination et comment vous servira-t-il durant cette année ?

Jacqueline Scott : Mes expériences personnelles, universitaires et professionnelles, comme mon engagement au sein de l’UIA, dont plusieurs années en tant que directrice générale de l’Institut de l’État de droit de l’UIA (UIA-IROL), m’ont permis d’acquérir une compréhension profonde et complète du rôle essentiel des avocats et des barreaux, ainsi que des problèmes auxquels notre profession est confrontée. Je pense ainsi pouvoir contribuer à ce que l’UIA remplisse un rôle essentiel en cette période critique, alors que nous nous penchons sur la pratique du droit et sur le rôle des barreaux dans une ère post-Covid où les conflits et les guerres menacent et où l’intelligence artificielle promet d’être une force avec laquelle il faut compter.

AJ : Quelles sont vos ambitions pour cette année de présidence ?

Jacqueline Scott : Je souhaite promouvoir l’inclusion et la diversité au sein de notre organisation. Nous devons nous assurer que notre communauté juridique reflète la richesse des perspectives et des expériences que le monde et nos membres ont à offrir et que notre équipe dirigeante reflète l’incroyable diversité de nos membres. Bien que l’UIA ait fait de grands progrès dans la promotion de la diversité des genres, des origines, des préférences sexuelles et des cultures, il reste du travail à faire et cela doit être une priorité.

Je m’attacherai également à accroître notre diversité géographique en augmentant le nombre de nos membres dans les régions dans lesquelles l’UIA est peu présente.

Il est également particulièrement important de recruter de jeunes avocates et avocats qui apporteront leurs idées originales et novatrices. Je vais travailler à développer des initiatives qui attireront non seulement ces jeunes professionnels qui nous sont indispensables, mais aussi les étudiants en droit, dont l’expérience montre qu’ils sont particulièrement intéressés et attirés par les causes et les questions relatives aux droits humains.

Enfin, l’UIA doit intégrer l’essor de l’intelligence artificielle, manifestement la voie de l’avenir. J’ai créé une task force sur l’IA dans la profession juridique. L’UIA, en tant que l’une des principales organisations juridiques mondiales, peut et doit jouer un rôle crucial – en éduquant, en formant et en soutenant la profession – alors que, de plus en plus, l’IA fait inévitablement partie de nos vies professionnelles.

AJ : Pouvez-vous nous rappeler les missions de l’UIA ?

Jacqueline Scott : Fondée en 1927, l ‘UIA est un leader internationalement reconnu de la profession d’avocat qui rassemble aujourd’hui plus de deux millions d’avocat(e)s et juristes, membres à titre individuel ou collectif (barreaux, fédérations, associations) répartis dans 110 pays. Ouverte à tous les avocats et juristes du monde, elle défend l’État de droit, l’indépendance des avocats et des juges et soutient les barreaux. Elle est un lieu d’échange d’expertises et de bonnes pratiques, de développement et de formation continue de ses membres. L’UIA est la seule grande organisation internationale d’avocats multilingue et multiculturelle.

AJ : Qu’est-ce que la « Nation des avocats » ?

Jacqueline Scott : L’année dernière, j’ai eu l’occasion de discuter avec Jasmina Milutinovic, ancienne présidente du barreau Serbe, Panagiotis Perakas, président du Conseil des barreaux européens (CCBE), et Ilona Trebert, avocate allemande, de la manière dont les avocats de la région des Balkans ont pu continuer à travailler ensemble pendant les années de guerre, alors que leurs pays étaient violemment séparés par des différences de langues, de religion et d’opinions politiques. J’ai réalisé qu’une telle coopération continue face à la guerre était possible parce que nous, avocats – et nous sommes 20 millions à travers le monde – sommes membres de notre propre nation – la Nation des avocats.

En tant qu’avocate, j’ai pu me rendre compte à différents moments de ma carrière que, même lorsque les États sont en guerre, nous, les avocats, continuons à travailler ensemble, à nous engager avec respect et professionnalisme pour la défense de la justice. C’est cela la Nation des avocats que représente l’UIA. Membres de l’UIA nous sommes membres de notre propre nation, la Nation des avocats.  Peu importe que nous venions de 110 pays différents, que nous parlions des dizaines de langues différentes et que nous soyons issus de traditions politiques et culturelles multiples. Avocats, nous parlons la même langue juridique, nous avons les mêmes valeurs, nous sommes redevables des principes de notre profession : l’indépendance, l’impartialité, la confidentialité, le respect des procédures, le procès équitable, le droit à être représenté par un avocat.

Notre objectif commun est de représenter nos clients avec zèle et indépendance et, surtout, notre raison d’être à tous est la défense de l’État de droit. C’est ce fond commun que nous partageons, citoyens de la Nation des avocats, quelles que soient les différences qui peuvent nous opposer. Et depuis sa création en 1927, l’UIA est un leader de cette grande Nation d’Avocats – en développant et en formant les avocats, en offrant des opportunités de partage d’idées et de meilleures pratiques, et en soutenant les barreaux. Représentant des milliers d’avocats, l’UIA a toujours été à l’avant-garde, défendant l’indépendance des avocats et des juges, promouvant et défendant l’État de droit en toutes circonstances.

AJ : Estimez-vous, au regard de l’actualité, que l’État de droit est davantage menacé aujourd’hui dans le monde qu’il y a une dizaine d’années ?

Jacqueline Scott : Ces derniers temps, nous avons assisté à une augmentation inquiétante des menaces pesant sur les principes de l’État de droit. L’une de ces principales menaces est l’érosion de l’indépendance des avocats et des juges. Les avocats et les juges doivent être en mesure de prendre des décisions sans crainte d’une influence extérieure, garantissant ainsi l’égalité de tous devant la loi, indépendamment de leur situation ou de leurs antécédents. Un ordre juridique qui fonctionne repose sur l’impartialité et l’indépendance du pouvoir judiciaire. Lorsque les juges sont soumis à des pressions extérieures ou à des ingérences politiques, l’essence même de la justice est compromise. Une profession juridique indépendante est une protection contre les abus de pouvoir. Les avocats, grâce à leur expertise et à leurs compétences, peuvent contester les lois et les politiques injustes, en demandant des comptes aux gouvernements et en veillant à ce que ceux-ci agissent dans les limites de la loi.

Mais, dans le monde entier, un nombre croissant d’avocats et de juges subissent des pressions, des menaces, des arrestations, des disparitions, des tortures, et même des assassinats, dans l’exercice de leurs fonctions. Nous devons tous œuvrer pour garantir l’indépendance de ces professions-clés, sans lesquelles l’État de droit ne peut exister.

L’évolution des technologies a également engendré de nouveaux défis. L’utilisation de plus en plus abusive des outils de surveillance, les cybermenaces et les atteintes au droit à la vie privée font peser des risques considérables sur l’État de droit. Trouver un équilibre entre les mesures de sécurité et la protection des libertés individuelles est une tâche délicate qui nécessite un examen régulier et l’adaptation de nos cadres juridiques. Garantir une culture de la responsabilité et de la transparence est indispensable à la pérennité de l’État de droit. Les avocats et les juges ont un rôle essentiel à jouer, mais nous, avocats, devons également sensibiliser le public à l’importance de défendre l’État de droit, car c’est pour protéger les droits et les libertés de tous que l’État de droit doit être préservé.

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