Paris (75)

Jacques-Régis du Cray : « Les Archives généalogiques Andriveau sont la plus ancienne étude de généalogie successorale au monde » !

Publié le 07/09/2022

Au milieu des boutiques de luxe et des éditeurs, il faut avoir l’œil pour repérer la plaque discrète, qui, sur le mur, indique les archives Andriveau. Après avoir poussé la lourde porte de rue et traversé une petite cour, pénétrer au sein de l’hôtel de Marsilly est un voyage dans le temps. Construit au début du dix-huitième siècle, ce bel hôtel particulier contient une partie de l’histoire des Parisiens. Jacques-Régis du Cray, historien de formation, a passé la moitié de sa vie à y travailler. Il connaît chaque recoin de l’étude, chaque détail de l’histoire du bâtiment. Nous l’avons suivi pour une visite guidée.

Actu-Juridique : Comment êtes-vous entré aux Archives généalogiques Andriveau ?

Jacques-Régis du Cray : Les généalogistes de l’étude ont, pour la plupart, des profils d’historiens ou de juristes. Pour ma part, j’ai suivi une classe préparatoire littéraire et lorsque j’ai achevé la deuxième année, un ami m’a proposé d’effectuer un stage au mois de septembre suivant aux Archives généalogiques Andriveau. Finalement, je ne les ai jamais quittées ! À l’issue de cette expérience, j’ai poursuivi des études d’histoire, tout en continuant à venir travailler rue du Cherche-Midi. Après avoir obtenu l’agrégation, j’ai enseigné quelques mois avant de quitter définitivement l’Éducation nationale pour me consacrer totalement à la généalogie. Désormais, je dirige l’équipe de chercheurs de l’étude.

A-J : Le siège de l’étude se trouve dans un hôtel particulier vieux de plusieurs siècles. Pouvez-vous nous présenter ce lieu ?

Jacques-Régis du Cray : Nous remontons les origines du terrain à 1529, date à laquelle les abbés de Saint Germain cédèrent sur ces lieux une prairie à un cabaretier de Paris. À l’époque, le quartier se situait à l’extérieur de la ville, au-delà des remparts, et il s’est surtout développé après l’arrivée de Marie de Médicis au palais du Luxembourg au tout début du XVIIe siècle. À l’emplacement qui nous intéresse se dressait une brasserie qui fut acquise en 1738 par l’architecte Claude Bonneau afin d’y faire édifier un hôtel particulier. Lui-même vivait sur une parcelle contiguë donnant rue de Sèvres mais ni lui ni sa fille n’ont habité l’hôtel de Marsilly qui conserva ainsi le nom de cette dernière. Bâti entre cour et jardin, l’ensemble présente les allures classiques d’un édifice du XVIIIe siècle qui vit se succéder des hôtes variés. Loué à des grands serviteurs de l’État avant la Révolution, il fut, au siècle suivant, la résidence d’un collectionneur qui y a entreposé des centaines de toiles de maîtres, tels que David, Fragonard, ou encore Vélasquez. En 1881, l’hôtel fut vendu à notre étude et il devint alors le siège des Archives généalogiques Andriveau.

A-J : Comment est née la généalogie successorale ?

Jacques-Régis du Cray : Sous l’Ancien Régime, les sujets du roi de France connaissaient leurs cousins et lorsqu’ils se mariaient, ils se contentaient de trouver une épouse dans leur village ou celui d’à côté. Or la Révolution industrielle et l’essor des transports ont peu à peu distendu ces liens familiaux puisque bon nombre d’hommes et de femmes sont partis chercher fortune, d’abord au chef-lieu du département, puis à la capitale voire à l’étranger. C’est ainsi que les premiers généalogistes sont apparus sous la Restauration et que leur activité s’est développée sous la Monarchie de Juillet. Toutefois, la recherche d’héritiers ne constituait pas une profession à proprement parler, comme elle l’est aujourd’hui. Elle était pratiquée par quelques agents d’affaires et avocats qui eurent l’idée d’adapter une convention agréée par l’administration pour se faire révéler des informations moyennant récompense. En acceptant de se faire révéler des droits successoraux, les héritiers cédaient une quote-part aux professionnels qui leur avaient rendu service en leur faisant bénéficier d’un droit qui leur était jusqu’alors méconnu. Aujourd’hui encore, le contrat de révélation constitue la base de notre profession. Entouré par une jurisprudence qui a désormais deux siècles d’ancienneté, il assure aux héritiers une protection tout au long du règlement des dossiers. Au XXIe siècle, nous contactons toujours les héritiers en leur proposant de leur révéler l’origine d’une succession, en contrepartie d’une quote-part de l’actif successoral.

A-J : Comment cette activité est-elle devenue une profession à part entière ?

Jacques-Régis du Cray : Avec la Révolution industrielle, les déplacements se sont intensifiés. Par voie de conséquence, la trace de potentiels héritiers, frères, oncles, cousins se perdait. Les agents d’affaire qui avaient commencé à se spécialiser dans la recherche étaient donc de plus en plus sollicités. Aussi, certains se consacrèrent-ils uniquement à cette activité et ils furent démarchés par des notaires, des avocats, des avoués qui avaient de plus en plus besoin d’eux. En 1866, un arrêt de la Cour de cassation a reconnu de façon définitive le contrat de révélation, soulignant les risques encourus par ces agents et les efforts qu’ils déployaient. À partir de cette date, les généalogistes constituèrent une profession à part entière. Toutefois, nos professionnels étaient confrontés à un cruel manque de données puisque les actes d’état civil, s’ils étaient bien tenus, ne comportaient à l’époque aucune mention marginale tandis que les notifications de mariage, divorce, décès sont toujours apposées aujourd’hui. Aussi, quand ils ouvraient une succession pour rechercher les héritiers d’un défunt, les généalogistes ne savaient-ils pas ce qu’étaient devenus les frères et sœurs, oncles et tantes puisque les actes de naissance de ces derniers étaient muets. Dès 1830, les agents d’affaires eurent donc l’idée de constituer des grands fichiers pour répertorier toute la population française. Pendant un siècle, ils dressèrent des centaines de millions de petites fiches à partir d’actes de décès, de mariages, de registres électoraux, de pensions civiles et militaires, afin de suivre la trace de leurs contemporains. Lorsqu’aucune famille proche n’était trouvée, ils remontaient les générations, sachant qu’avant 1917, il était possible d’hériter jusqu’au douzième degré, ce qui obligea parfois à dresser des tableaux gigantesques. La plus grosse succession que notre étude eut à gérer permit par exemple de retrouver 2 500 héritiers. C’était en 1900.

A-J : Quelle est la valeur de ces fiches ?

Jacques-Régis du Cray : Ce fonds de fiches a constitué un « trésor de guerre » pour nos prédécesseurs car il revêtait un véritable intérêt tant économique qu’historique. En effet, en 1871, au cours des événements de la Commune de Paris, le palais de justice et l’hôtel de ville disparurent dans les flammes à quelques heures d’écart. Or dans chacun de ces édifices se trouvait un des deux exemplaires de l’état civil et des registres paroissiaux, qui permettaient de reconstituer toute l’histoire des Parisiens. Les édiles tentèrent bien de reconstituer les actes, en demandant aux Parisiens de fournir les pièces dont ils disposaient : extraits, actes notariés, contrats de mariage, etc. De cette manière, les registres du XIXe siècle ont ainsi pu être sauvés en bonne partie. En revanche, les actes les plus anciens, ceux d’Ancien Régime, furent définitivement perdus. Seules les fiches établies par nos généalogistes subsistaient comme les derniers témoins de cette histoire pluriséculaire. Nous recevons donc des universitaires qui finissent par trouver entre ces murs l’introuvable. Tout récemment, nous avons été contactés par le musée Marmottan qui, à l’occasion de l’exposition consacrée à Julie Manet, souhaitait reconstituer les liens unissant les membres des familles Morisot et Manet.

A-J : Quelle est l’histoire du premier généalogiste de votre étude ?

Jacques-Régis du Cray : Le premier directeur de notre société est Hippolyte Trannoy, un fils d’agriculteurs de Picardie. Désireux de faire fructifier des affaires à Paris, il tint, dans un premier temps, un hôtel dans le quartier de la bourse où il voyait inévitablement passer les hommes d’affaires. Sans doute a-t-il profité de ses nombreux contacts commerciaux pour élargir ses activités. Toujours est-il qu’il commença au début de la Monarchie de Juillet à passer des accords avec des héritiers inconnus des notaires, ou introuvables par eux, afin de leur révéler leurs droits successoraux. Au bout de dix ans, ses affaires étant florissantes, il s’associa avec deux autres agents qui élargirent leurs rangs, trente ans plus tard, à un groupe d’avocats auquel appartenait Gustave Pelletier, l’arrière arrière-grand-père de Matthieu et Cécile Andriveau qui dirigent aujourd’hui notre entreprise. Les Archives généalogiques Andriveau existent depuis 1830 et sont donc la plus ancienne étude de généalogie successorale au monde qui subsiste aujourd’hui.

A-J : En quoi consiste votre métier en 2022 ?

Jacques-Régis du Cray : Les fondamentaux de la recherche sont les mêmes qu’il y a deux siècles. Nous répondons à la demande de toute personne ayant un intérêt légitime pour rechercher des héritiers. Si, dans 80 % des cas, nous sommes mandatés par des notaires, nous sommes également sollicités par des avocats, des municipalités, des syndics, des particuliers, etc. Ces derniers peuvent par exemple venir nous trouver s’ils héritent de leurs parents et que l’un des membres de leur fratrie a disparu… En tout cas, dans tout type de dossier, nous partons d’un acte de décès et nous sommes amenés à identifier des enfants, des neveux, parfois des cousins éloignés, ce qui peut parfois nous obliger à remonter jusqu’au sixième degré, c’est-à-dire retrouver ceux que l’on appelle communément les cousins issus de germains. Cependant, si l’amélioration des technologies facilite l’accès aux sources qui sont de plus en plus souvent numérisées, la mondialisation et les changements de modes de vie nous complexifient largement la tâche. Auparavant, nos prédécesseurs réglaient les successions de personnes dont les parents s’étaient mariés dans le même village, là où naissaient tous leurs enfants. Aujourd’hui, ceux-ci voient le jour hors mariage. Nous découvrons des demi-frères qui ne portent pas le même nom et ne se connaissent parfois même pas. De plus en plus de successions exigent que nous allions chercher des héritiers à l’étranger. Lorsque j’ai commencé à exercer ce métier, il y a vingt ans, nous avions essentiellement affaire à des Espagnols, des Italiens, des Polonais. Désormais, notre métier nous emmène de plus en plus souvent en Extrême-Orient ou en Afrique subsaharienne, avec toutes les difficultés que cela implique. Évidemment, un registre n’est pas tenu de la même façon à Paris et dans une ville du Tiers-Monde. Dans certains pays, toute la population n’est pas contrôlée par l’administration, et la corruption pousse quelques ressortissants à établir des faux. Il nous est arrivé de remarquer vingt ans de différence d’une même personne entre son acte naissance et sa carte d’identité ! Vous comprendrez aisément qu’authentifier une généalogie avec des données si aléatoires est difficile. Pour chaque succession, nous devons tout de même engager notre responsabilité !

A-J : Quelles sont vos sources ?

Jacques-Régis du Cray : La source essentielle de notre métier est l’état civil dont les actes sont toujours dressés en deux exemplaires. L’un des registres est conservé en mairie et il est versé au bout d’un siècle aux archives départementales ou municipales. L’autre est déposé à la fin de l’année au greffe du tribunal compétent. Se rendre au greffe plutôt qu’en mairie permet de consulter en un seul lieu les registres de toutes les communes d’un même ressort. Mais pour des raisons budgétaires, les mentions marginales de mariage, divorce, décès, mises sous tutelle ne sont plus apposées sur la collection du greffe. Par ailleurs, nous recourrons aux listes nominatives des recensements de population, aux archives fiscales, aux listes électorales, etc., bref tout ce qui nous permet de retrouver la trace des morts et des vivants.

A-J : Quels sont les différents métiers d’une étude ?

Jacques-Régis du Cray : Notre étude compte cent dix salariés. Parmi eux, les chercheurs sont des enquêteurs qui, partant d’un acte de décès, vont s’atteler à retrouver l’ensemble des héritiers à l’aide de toutes les sources qui sont mises à leur disposition. Une fois qu’ils les ont retrouvés, ils passent avec eux le fameux contrat de succession. En plus d’une formation de juriste ou d’historien, ces chercheurs doivent également disposer d’un sens relationnel bien développé pour aller rencontrer leurs contemporains et leur annoncer la perte d’un frère ou d’un cousin. Par ailleurs, ils recueillent d’eux une procuration car l’étude leur assure toute l’assistance juridique nécessaire au bon règlement de la succession. Interviennent alors, au sein de notre société, des juristes, qui vont défendre les intérêts des héritiers auprès des différents interlocuteurs des successions. Si la plupart de celles-ci sont en général réglées au bout d’une année ou deux, les plus complexes, avec de très nombreux héritiers, peuvent parfois s’étaler sur plusieurs années : lorsqu’un des héritiers meurt au cours du règlement, quand un sinistre endommage un bien, nos collaborateurs doivent agir. Enfin, notre étude est une entreprise de moyenne taille qui dispose de tous les corps de métiers présents dans une société de services : comptabilité, informatique, communication, courrier, etc.

A-J : Quels types de familles rencontrez-vous dans vos recherches ?

Jacques-Régis du Cray : Les familles pour lesquelles nous intervenons sont toutes différentes, et cela fait sans doute la richesse de notre métier. Il existe néanmoins un profil type parmi les défunts dont nous devons nous charger des successions, à savoir des personnes célibataires ou sans enfant, n’ayant pas de pratique testamentaire. En présence d’enfants ou, surtout, d’un testament, il est évident que les notaires ont moins besoin de recourir à nos services. Quant aux personnes les plus fortunées, leurs détenteurs prennent en général leurs dispositions de leur vivant de manière que nous n’ayons pas besoin de retrouver de potentiels héritiers du sang. Ceci étant dit, les notaires nous demandent de plus en plus souvent d’intervenir afin de vérifier les dévolutions car ils craignent toujours d’oublier un héritier. Si dans 90 % des cas nous ne faisons que confirmer la configuration familiale qui nous a été présentée, il n’est pas rare que les héritiers tombent des nues en apprenant l’irruption dans leur vie d’un frère ou d’un cousin inconnu. Dans le cadre d’une recherche qui nous avait été confiée, nous avons par exemple retrouvé cinq enfants issus du premier mariage du défunt. Or les deux enfants nés de la seconde union n’avaient jamais entendu parler de cette fratrie ni de cette liaison de leur père !

A-J : Comment réagissent les héritiers ?

Jacques-Régis du Cray : En général, cela se passe bien car nous nous transformons en apporteurs de bonnes nouvelles ! Il arrive toutefois que quelques héritiers contestent notre intervention car nous sommes un interlocuteur supplémentaire à rémunérer sur l’actif successoral. Par ailleurs, il peut nous arriver d’intervenir dans une situation familiale difficile. Annoncer à une cousine au sixième degré qu’elle hérite est une chose, apprendre à une personne qu’elle hérite de sa mère en est une autre. Dans ce cas, notre annonce vient parfois donner mauvaise conscience à notre interlocuteur et lui souligner, en dépit des circonstances variées, qu’il n’a pas prodigué beaucoup de soins à sa mère… Quelle que soit la situation, il nous faut faire preuve de tact, user d’une certaine diplomatie dans les annonces que nous faisons. Nous nous retrouvons face à des gens qui peuvent avoir l’âge de nos grands-parents et qui fondent parfois en larmes devant nous.

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