Jeanne Dileseigres, juriste : « Dans un système où nul n’est censé ignorer la loi, les maisons de justice et du droit existent pour s’en assurer » !
Jeanne Dileseigres est juriste et chargée des partenariats au sein de l’association Justice et Ville du Val-de-Marne (94) installée dans le tribunal judiciaire de Créteil. Elle intervient dans plusieurs points d’accès aux droits du département dont font partie les maisons de justice et du droit.
Actu-Juridique : Qu’est-ce qui vous a motivé à faire du droit ?
Jeanne Dileseigres : Je me suis inscrite par hasard en licence de droit. Et ce n’est qu’à partir de la troisième année de licence que le cours sur les droits fondamentaux a été un déclic. J’ai pu me rendre compte de l’utilité du droit au service d’une cause. C’est un outil impressionnant quand on souhaite débattre.
AJ : Quel a été votre parcours avant de rejoindre l’association Justice et Ville dans le Val-de-Marne ?
Jeanne Dileseigres : J’ai obtenu une double licence droit et langues étrangères puis j’ai poursuivi avec un master droit international spécialisé dans les droits de l’Homme, avant de terminer par un master 2 en contentieux des droits fondamentaux. À la suite de mon diplôme, obtenu en 2020, j’ai réalisé un stage de fin de parcours auprès d’Avocats sans frontières France et de l’ONG GLAN Law à Londres, tout en faisant du bénévolat à côté. Puis j’ai rejoint la startup HelloAsso, qui aide à la levée de fonds des associations, en qualité de chargée de fidélisation. J’aidais les associations à monter les campagnes de financement. J’ai également travaillé auprès de Lefebvre-Dalloz pour soutenir la rédaction d’un memento sur le droit des associations et des fondations. J’ai finalement été recrutée par l’association Justice et ville en mai 2022, où j’exerce depuis.
AJ : Que faites-vous au sein de l’association ?
Jeanne Dileseigres : Je suis responsable du développement de projets mais, malgré le titre, je travaille également comme juriste. C’est un poste très polyvalent. J’interviens dans différents points d’accès aux droits, mais aussi dans le milieu scolaire pour transmettre de l’information juridique lors d’ateliers.
AJ : Combien de juristes travaillent avec vous ?
Jeanne Dileseigres : Nous sommes sept au sein de l’association, aussi bien dans le Val-de-Marne que dans l’Essonne. Nous sommes logés dans le tribunal judiciaire de Créteil pour le Val-de-Marne et une grande partie de nos activités est financée par les institutions, notamment le conseil départemental de l’accès au droit (CDAD).
AJ : Quel est votre lien avec les maisons de justice et du droit ?
Jeanne Dileseigres : Nous intervenons en maison de justice et du droit (MJD) et en point d’accès aux droits (PA), exclusivement dans le cadre du point d’accès au droit des jeunes (PADJ) et du point d’accès au droit du bureau d’aide juridictionnelle (BAJ). Les juristes sont dépêchés dans les MJD pour des permanences. Pour le point d’accès aux droits des jeunes, nous intervenons au sein du PADJ (toutes les semaines), à la MJD de Champigny-sur-Marne et à celle de Villejuif (deux fois par mois). J’interviens ensuite auprès des scolaires sur tout le département du Val-de-Marne et exceptionnellement en Essonne. Nous nous déplaçons beaucoup quand ce ne sont pas les scolaires qui viennent au tribunal.
AJ : Quelles sont les différences entre un PAD et une MJD ?
Jeanne Dileseigres : C’est la taille et la destination. Les PAD sont souvent mis en place dans des lieux qui ne servent pas que le droit (mairie, association) alors que dans les MJD, l’objectif est exclusivement d’informer en matière de justice. De plus, en MJD il y a beaucoup d’intervenants différents. Pour ma part, je suis le plus souvent au PADJ mais c’est aussi là où j’ai le plus de travail : standard, réception de mails, organisation des rendez-vous, etc. Dans les MJD, j’ai un planning en fonction des demandes des bénéficiaires. Ils et elles sont assignés par l’accueil. Cela crée une certaine pertinence. Alors que pour le PADJ, c’est à nous de faire le tri.
AJ : Comment se déroule un rendez-vous en MJD ?
Jeanne Dileseigres : Les créneaux durent trente minutes à Champigny-sur-Marne. Après avoir écouté le récit et la demande, on traite la problématique de la personne qui vient nous voir. Notre rôle est de transmettre des informations juridiques et éventuellement orienter vers d’autres intervenants. J’explique le contenu du droit et comment il se met en application. La mise en application n’est pas forcément la plus facile à comprendre. Par exemple, il existe un droit au logement, mais comment cela se met-il en œuvre ? À la fin, nous devons produire des statistiques sur les différents rendez-vous afin de rendre lisible notre travail.
AJ : Quelles sont les demandes qui reviennent régulièrement ?
Jeanne Dileseigres : Tout au long de l’année, au sein du PADJ, on a beaucoup de droit des étrangers. Pour les jeunes, des questions se posent sur le titre de séjour au moment du passage à la majorité. Nous avons également du droit du travail, pour les premiers contrats ou le droit applicable à l’embauche. À la rentrée, les scolaires viennent au moment des inscriptions pour demander des informations sur le droit à la scolarité, les contrats d’alternance, etc. Enfin, je suis sollicitée en droit pénal, beaucoup pour des demandes de violences sexuelles ou sur le casier judiciaire. Cependant, je sais que les problématiques juridiques que je rencontre ne sont pas celles de mes collègues. Cela est dû à la catégorie de personnes que je reçois et à mes domaines d’expertise.
AJ : Qui vient vous voir ?
Jeanne Dileseigres : Je m’occupe d’un public jeune, de 0 à 25 ans. Même si c’est souvent une population très précaire, je peux avoir tous les profils. Parce que beaucoup de jeunes qui ont besoin d’informations ne veulent pas ou ne peuvent pas en parler auprès de leurs proches. Tous les publics peuvent se rendre en MJD, mais la majorité des usagers viennent par manque d’informations ou parce qu’ils n’ont pas les moyens de se tourner vers des avocats. Ce n’est pas parce que les parents ont des moyens financiers que c’est le cas du jeune.
AJ : Vous êtes juriste, comment expliquez-vous votre métier auprès des bénéficiaires ?
Jeanne Dileseigres : J’explique la différence en me basant sur le rôle de l’avocat. Notre rôle n’est pas de donner du conseil mais de l’information juridique. On expose toutes les possibilités qui s’offrent légalement aux gens et tout ce que ça implique. Il est parfois assez difficile de placer le curseur parce que les personnes attendent du conseil. En tant que juriste, je n’accompagne pas dans toutes les démarches. Toutefois, les personnes ont non seulement besoin de connaître les droits qui leur sont ouverts, mais aussi les manières de les mettre en œuvre. C’est essentiel d’être là pour répondre à leurs besoins, sans surcharger les tribunaux et les avocats. Dans un système où nul n’est censé ignorer la loi, les MJD existent pour s’en assurer.
AJ : Vous devez faire preuve de beaucoup de pédagogie ?
Jeanne Dileseigres : Oui, beaucoup. Des gens viennent et m’appellent Madame l’avocate à tort. C’est dû en partie au manque de connaissance des métiers du droit. J’explique mon parcours, mes études. Nous devons aussi être pédagogues sur le fonctionnement des institutions, sur les obligations de ces dernières. Nous devons être clairs sur les procédures à suivre, ce qui peut surpasser notre domaine. Mais on ne peut pas les laisser partir sans les bonnes informations. Par exemple, pour un dépôt de plainte, il faut expliquer qu’il ou elle peut être accompagné, quelle est la procédure à suivre pour un dépôt, ce qu’il faut demander pour être partie civile, le fonctionnement de l’aide juridictionnelle, etc. Ce n’est pas seulement indiquer le droit de porter plainte.
AJ : Cela fait un an que vous occupez ce poste. Quelles sont les difficultés que vous avez pu rencontrer ?
Jeanne Dileseigres : La problématique la plus criante est celle des moyens financiers. Les demandes explosent mais le nombre d’intervenants est limité par le budget. Nous avons des listes d’attente assez longues. Nous n’avons pas les moyens d’accueillir tout le monde dans des délais raisonnables. Quand j’arrive pour une permanence pleine, des gens s’inscrivent déjà pour la suivante. En parallèle, puisque ce sont des éléments gratuits et accessibles, on remarque que les rendez-vous ne sont pas toujours pris au sérieux. Mais il y a tout de même des points positifs, comme la grande place donnée à la formation et la mise en réseau entre nos différentes structures.
AJ : Êtes-vous suffisamment identifié par la population locale ?
Jeanne Dileseigres : Il est très rare que ce soient les bénéficiaires qui nous aient identifiés, ce sont souvent les structures partenaires qui vont les rediriger. Les gens ressortent soulagés d’avoir pu formuler leurs questions et d’avoir pu obtenir une réponse. La grande majorité des personnes sont reconnaissantes.
Actu-Juridique : Faites-vous du suivi ?
Jeanne Dileseigres : Dans le PAD où j’interviens, oui, nous faisons du suivi. Si je constate qu’il y a un besoin de la part d’un jeune venu à la MJD, je peux emporter le dossier et le transférer au PAD. J’opère alors un vrai accompagnement, même s’il n’est pas optimum parce qu’il y a beaucoup de demandes et peu de ressources. Mais cela permet d’avoir un contact, de les rediriger vers les bons documents et les éventuelles démarches. Cependant, cela reste une exception dans le paysage des points justice.
Actu-Juridique : Une affaire vous a-t-elle marquée, d’un point de vue juridique ?
Jeanne Dileseigres : Il y a eu un cas inhabituel qui concernait le droit à l’image. Une personne est venue parce qu’elle avait signé un droit à l’image au sein d’un club de sport pour son enfant. Un jour, un photographe est venu et son fils s’est retrouvé sur le site d’une marque très connue, pour présenter un produit, alors qu’il n’était pas au courant. La mère est venue se renseigner. Il a fallu expliquer les procédures, les principes d’une mise en demeure, expliquer le dépôt d’une plainte, la récolte d’éléments de preuve, les poursuites, etc. C’est la première fois que je voyais une mise en pratique de ce droit à l’image avec une telle violation. Nous avons également eu une usurpation d’identité. La personne recevait des amendes provoquées par l’usurpateur et il était prélevé directement sur son compte par les impôts. Mais ce qui marque le plus, ce sont les affaires de violence. Ce sont des cas où on ne fonctionne pas de la même façon. La plupart du temps, il y a besoin d’une approche plus holistique.
Référence : AJU009b1