Joachim Du Bellay : le cold case de Notre-Dame

Publié le 22/11/2024
Joachim Du Bellay : le cold case de Notre-Dame
Joachim du Bellay, gentilhomme angevin [portrait frontispice], via Wikimedia

Mi-septembre, la célèbre cathédrale parisienne est revenue dans l’actualité. Selon les conclusions d’une méticuleuse enquête, un cadavre anonyme retrouvé à Notre-Dame serait celui du poète ligérien mort en 1560.

Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage… Sous Notre-Dame, île de la Cité, on compte approximativement un millier de sépultures, principalement de vieux religieux morts entre les XIVe et XVIIIe siècles. Cette nécropole était tranquillement tapie sous terre, depuis la fin des sépultures sur le site religieux, au XVIIIe siècle, laissant passer les crues de la Seine, les travaux urbanistiques… mais pas l’incendie ravageur de 2019. En 2022, lors des recherches d’archéologie préventives liées aux travaux de réhabilitation de la cathédrale détruite (et confiées à l’Inrap par la loi du 30 juillet 2019), deux sarcophages de plomb anthropomorphes sont retrouvés à la croisée du transept, un endroit très prestigieux. L’un porte une épitaphe avec la mention d’Antoine de La Porte, chanoine de la cathédrale pendant plus de cinquante ans qui avait financé de sa poche la fin des travaux sur le chœur de l’édifice. Le deuxième est anonyme. Un mystère que les équipes de l’Inrap ont cherché à lever.

Le saviez-vous ? Que le cadavre soit d’hier ou d’il y a quatre siècles, les processus d’identification des cadavres répondent aux mêmes directives, édictées par l’organisation internationale de police criminelle (Interpol), en charge entre autres de retrouver les personnes disparues ou d’identifier les cadavres anonymes. Bien sûr, les éléments d’identification primaires sont les éléments les plus fiables pour établir formellement l’identité d’une personne : les empreintes digitales (ou « analyse des crêtes papillaires »), les dents (odontologie médico-légale) et l’ADN (analyse génétique). Mais que faire quand le temps a tout balayé ? Alors ce sont des éléments secondaires, un faisceau d’indices, qui permettent d’arriver à une hypothèse, ou une conclusion.

En 2014, sous le couvent des Jacobins à Rennes, Éric Crubézy, professeur d’anthropobiologie à l’Université Toulouse III avait travaillé sur la découverte sous le Couvent des Jacobins à Rennes du corps remarquablement conservé de la noble, Louise de Quengo, décédée en 1656 et ceinte dans un sarcophage de plomb elle aussi. Actu-Juridique a interviewé le passionnant scientifique sur l’origine de son hypothèse et qui prépare la sortie d’un livre sur le sujet, en janvier prochain, chez Odile Jacob.

Actu-Juridique : En quoi les méthodes que vous utilisez dans ce type de recherches diffèrent de la médecine légale ?

Éric Crubézy : Ce qui est intéressant c’est qu’il s’agit d’une identification d’un point de vue juridique. La question qui se pose dans un cas comme celui de Notre-Dame concerne les critères d’identification. Ces critères sont régulièrement revus par Interpol. Il y a les critères d’identification véritable, qui se basent sur les dents, les empreintes et l’ADN, qui font que quand quelqu’un disparaît et que l’on retrouve un corps, on compare l’ADN retrouvé sur le corps avec celui retrouvé sur la brosse à dents du disparu ou à un membre de sa famille proche. On tombe sur une identification certaine. Pour les populations du passé, c’est différent bien sûr. Déjà parce que retrouver la brosse à dent de Joachim du Bellay serait une idée poétique, mais aussi parce qu’il serait absurde de chercher à comparer l’ADN présent sur le squelette à d’éventuels descendants, sachant que 15 à 18 générations nous séparent de lui, qu’il n’avait pas de descendant direct connu et que les branches collatérales se seraient éteintes au XVIIe siècle. Quant à l’ADN autosomal (celui sur lequel se basent les tests ADN qui pullulent sur le marché), cela ne fonctionne pas au-delà de six générations : la seule conclusion que cela pourrait nous apporter, c’est de dire qu’il était Européen.

AJ : Comment se passe l’identification en l’absence de ces méthodes ?

Éric Crubézy : Nous allons travailler sur un faisceau d’arguments qui vont aboutir suivant Interpol à une identification de possible à très probable. Personnellement, je penche pour le très probable (d’autres scientifiques de l’Inrap sont plus dubitatifs, NDLR). Voici comment nous avons travaillé et enquêté : de façon fiable, nous savons que nous avons un squelette avec de la pathologie, quelqu’un qui montait à cheval, un âge entre 30 et 40 ans, car la clavicule est soudée et aucune trace d’arthrose sur la surface auriculaire et un sexe masculin. C’est intéressant car il y a vraiment très peu de personnes jeunes inhumées à Notre-Dame : sur un échantillon de 400 sujets, nous n’avons trouvé la trace que d’une épitaphe mentionnant une mort jeune. Ensuite, comme l’a découvert l’institut médico-légal de Toulouse, il est dans un cercueil en plomb dont la datation au carbone 14 nous donne le XVIe siècle (le poète est mort à 38 ans, en 1560). Les élites, auxquelles appartenait la famille Du Bellay (premier entourage royal et papal), étaient enterrées dans du plomb anthropomorphe pour que le squelette garde au maximum son intégrité quand l’ange sonnera la fin des temps. Dans l’esprit de l’époque, il fallait inhumer ses morts dans une église pour que ces derniers continuent d’entendre la messe et dans une cathédrale pour les familles d’un certain rang voulant honorer leurs morts avec prestige. Ensuite, le sujet avait des atteintes cervicales liées à la tuberculose et on a des études épidémiologiques qui montrent que ces atteintes de tuberculose méningée étaient très rares, à peine 3 sujets sur 1 000. Et nous avons des données dans la littérature de l’époque confirmant que Joachim du Bellay souffrait d’une telle condition. Donc on a un faisceau de présomptions, d’arguments.

AJ : Comment savait-on que Joachim du Bellay était probablement enterré là ?

Éric Crubézy : Le grand-père du Général de Gaulle, l’historien Julien Philippe de Gaulle, avait retrouvé l’acte du chapitre qui mentionnait le fait qu’au décès du poète, sa famille avait souhaité qu’il soit inhumé dans la chapelle Saint-Crépin auprès de son père adoptif, également son oncle. Nous savons qu’au XVIIIe siècle, des travaux ont concerné cette chapelle et nous avons trouvé des dizaines de secteurs avec des plaques sur les tombes, notamment celle de Louis du Bellay, mais aucune trace de celle de Joachim du Bellay. Le fait qu’il soit retrouvé à la croisée du transept peut laisser entendre deux choses : cela pouvait être une sépulture transitoire car nous avons trouvé un cas semblable dans la famille Du Bellay, dans l’Église du Mans, où un corps est resté dans la sépulture transitoire car les travaux du caveau avaient mis trop de temps à être accomplis (faute de fonds). On a finalement retrouvé l’oncle à la croisée des transepts. Il faut se dire que l’on est face à un Da Vinci code à la française… pour l’instant tous ces faisceaux d’indices et bien d’autres penchent vers l’identification formelle de Joachim du Bellay.

AJ : Qui, au final, prendra la décision d’identifier ou non le corps ?

Éric Crubézy : Les squelettes seront rendus par l’Inrap au ministère de la Culture qui sera à même de décider qu’en faire.

Plan