Journal d’un avocat au temps de la Covid-19

Publié le 21/10/2020

C’est un journal pas comme les autres que nous livre notre pénaliste cette semaine. Jusqu’à la date du 16 octobre au matin, Loeiz Lemoine nous fait sourire comme à son habitude des folies de l’actualité et des ridicules médiatiques. Puis tout bascule. Le rire fait place à la colère. Immense. 

Vendredi 9 octobre – « Des fois, tu te demandes… »

Je ne vais jamais réussir à travailler, les sollicitations n’arrêtent pas !

Un compte prétend que « Éric Dupond-Moretti veut faire appel à l’armée pour lutter contre la délinquance des mineurs ». Aussitôt on imagine, comme disait Coluche, les brigades de la mort qui passent dans les rues, 6 par 6 armées jusqu’aux dents prêtes à bondir. Juridiquement c’est évidemment impossible, donc je vais lire le papier : ça ne parle pas du tout de ça ! Il envisage, à la place des CEF, « des petits internats fermés, avec une capacité de 8 à 10 places, où sont proposées des activités d’enseignement et de formation professionnelle. » On se fout vraiment du monde ! Et naturellement, en dessous, plein de commentaires genre quels fachos etc. Mais lisez les articles avant de commenter !

Thomas Piketty publie un recueil de chroniques : Vivement le socialisme ! « Il est temps de réfléchir ensemble à un nouveau dépassement du capitalisme, une nouvelle forme de socialisme, participatif et décentralisé, fédéral et démocratique, écologique, métissé et féministe! » Inflation d’adjectifs, j’en ai le vertige (il manque juste « citoyen »).

Sans commentaire : irruption d’employés municipaux dans la mairie de Saint Denis, en plein conseil municipal, et violences sur les élus. Cause de leur ire : la municipalité aurait la prétention de faire passer leur temps de travail de 32,5 heures à… la durée légale, soit 35 heures. Comme disait Coluche : des fois, tu te demandes !

Samedi 10 octobre – Ne l’appelez plus jamais Sophie

Sans commentaire : Après quatre années de détention aux mains de jihadistes, Sophie Pétronin a été libérée. La septuagénaire a annoncé s’appeler désormais « Maryam » après être devenue musulmane, et en effet elle revient en France voilée : « Vous dites Sophie mais c’est Maryam que vous avez devant vous. ». Elle a qualifié ses ravisseurs de « groupes d’opposition armée au régime » et repris les journalistes sur l’utilisation du terme « jihadistes » :   « Pourquoi vous les appelez jihadistes, parce qu’ils font le jihad? Vous savez ce que ça veut dire en français : ‘jihad’, c’est « guerre », a-t-elle corrigé (ben oui, précisément. Oups, un commentaire, ça m’a échappé).

Le père Jean-Eudes Fresneau sur Twitter : « La droite française est historiquement catholique. Or c’est la gauche qui salue le message catholique du pape ! La gauche accueille le pape et la droite boude. Vivement la résurrection d’une véritable démocratie chrétienne en France ! » Je n’arrête pas de répéter que ce pape est de gauche ! Par ailleurs il n’est pas européen et il est très à l’aise pour nous donner des leçons notamment sur l’accès libre et illimité de toute la misère du monde. Je n’insiste pas, pour ne pas mettre en péril mon salut éternel, déjà fortement compromis pour des raisons que l’honnêteté et la décence m’interdisent de préciser davantage.

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Photo : ©AdobeStock/torwaiphoto

Dimanche 11 octobre – Un fort isolé en territoire apache

 Attaque d’un commissariat à Champigny-sur-Marne, à coup de mortiers de feux d’artifice. Ce qui donne, reconnaissons-le, un côté assez festif à la chose. Mais si on dépouille l’évènement de son aspect purement visuel, il y a quand même de quoi s’inquiéter un peu. Remonte à ma mémoire une réplique venue du fond des âges, un film dans lequel Paul Newman est un policier en uniforme, probablement dans le Bronx, qui dit à un « bleu » : ici ce n’est pas un poste de police, c’est un fort isolé en territoire apache. Dans des quartiers donc, où certains considèrent qu’ils sont chez eux et les policiers des intrus ou une bande rivale, on ne se contente plus de leur être hostiles, on les attaque carrément, en mode commando. Sans doute pour leur faire un mauvais parti, peut-être aussi, comme ceci s’est produit il y a quelques jours, pour leur voler leurs armes. Pensées pour les policiers affectés dans ces commissariats plutôt que dans le 7ème ou à Guingamp.

Tiens, le commentaire de Darmanin : « Les petits caïds n’impressionnent personne et ne décourageront pas notre travail de lutte contre les stupéfiants. (…) Soutien total à nos policiers qui font un travail difficile. » Vous en parlez à votre aise, Monsieur le ministre. Le policier qui fait « un travail difficile » à Champigny ou ailleurs, pourrait sans honte être impressionné et découragé. Je doute que vos paroles les réconfortent.

Interview du fils de Sophie Pétronin : il n’est pas surpris par la conversion religieuse de sa mère, et estime « qu’elle a eu raison » :

« Quand on s’apprête à vivre ce genre d’aventure, on a plutôt intérêt à se familiariser avec les us et coutumes et essayer d’être plus dans l’acceptation, la compréhension. (…) Elle m’a confié qu’un otage australien ne s’était pas converti, et il part pour un combat qui va être beaucoup plus difficile (sic) avec des conditions de détention qui seront plus rudes » ( !)

« Je dis, allez passer quatre ans de votre vie professionnelle à Londres, je vous déconseille d’apprendre l’italien, vous feriez mieux d’apprendre l’anglais », a imagé le fils de l’ancienne otage. « Soit elle essaye de s’adapter, soit elle va périr, et ma mère s’est adaptée. »

D’accord, mais une fois libérée ? Même La Croix trouve ça génial, précisant qu’avant son enlèvement elle était catholique pratiquante. Je crois que je vais continuer à m’autocensurer.

« Ne-ga » : un prof américain suspendu pour avoir prononcé un mot chinois à la sonorité jugée raciste. Les étudiants noirs qui, anonymement, l’ont dénoncé, ont expliqué que « leur santé mentale avait été affectée » : nous vivons, décidément, dans l’ère des fragiles, des susceptibles, des offensés systématiques.

Jardin Arnaud Beltrame dans Paris, un panneau indique qu’il a été « victime de son héroïsme ». Madame Hidalgo a dû faire travailler un petit stagiaire de troisième. D’après Finkielkraut (qui a dit : « encore ? »), « Pousser le désintéressement jusqu’à faire le choix ou prendre le risque de mourir pour l’autre, c’est très exactement, nous dit Levinas, la définition de la sainteté.

Il y a quelque chose de commun entre ce lieutenant-colonel de gendarmerie français et le prêtre polonais Maximilien Kolbe qui dans le camp d’Auschwitz a pris la place d’un père de famille désigné avec neuf autres détenus pour être enfermé et tué par la faim en représailles à une évasion. »

Mardi 13 octobre – Penn kalet

 Article très éclairant de La Vie sur les otages, la foi et la conversion.

Tribune dans Le Monde : « Tout est fait pour empêcher le Parquet national financier d’exercer normalement son office ». On va encore dire que le breton a la tête dure (penn kalet), mais les signataires ont l’air d’oublier qu’Eric Dupond-Moretti avait une très bonne raison d’en vouloir au PNF, qui l’avait espionné en même temps qu’un certain nombre de pénalistes. Assimiler cette situation, et les suites qu’elle comporte, à une volonté d’empêcher le PNF de remplir sa mission, me parait de la mauvaise foi. Qui peut croire qu’il va lui mettre des bâtons dans les roues ? La tribune va jusqu’à reprendre à son compte le fait que « déjà trois plaintes ont été déposées contre lui devant la CJR » : dommage que ses auteurs, dans lesquels je vois des personnes que j’apprécie, ne me lisent pas.

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Photo : ©AdobeStock/ Jérôme Rommé

Jeudi 15 octobre – Une dictature mais laquelle ?

L’illustre Di Vizio, celui qui facture 80h par jour ouvrable :  « Nous sommes gouvernés par des branquignolles ». C’est un connaisseur qui vous le dit.

Tiens ben c’est la journée, l’invité des Matins de France culture nous explique que ce sont des « bouffons » qui nous gouvernent, ils n’y connaissent rien, ils font n’importe quoi, le président se fout des gens, des travailleurs, tout ce qu’il fait c’est pour les patrons (ce qui est électoralement idiot, vu qu’ils sont beaucoup moins nombreux). Lui aussi sait de quoi il parle à propos de bouffons, il faut toujours demander leur avis aux spécialistes.

Son analyse et celle de Maitre Di Vizio confirment un diagnostic un peu inquiet que je fis naguère : les gouvernants sont des anciennes personnes intelligentes (en tous cas suffisamment pour accéder à leurs postes), que leurs nominations ont frappé d’imbécillité. Corollaire : ne devenez pas ministre, vous serez instantanément transformé en crétin.

A propos de ministres, perquisitions chez Véran, Buzin, Salomon, Philippe et Ndiyae (pour mauvais port du masque, j’imagine ?) : ça chauffe !

Revoila Arié Alimi, ça faisait longtemps qu’il ne nous avait pas mis en garde contre la montée de la dictature : « Couvre-Feu, censure, interdiction de diffuser les images de policiers, légalisation des drones. Nous assistons, passifs, à un changement définitif de régime. Est-ce la société que nous voulons? #CoupdEtatdUrgence ». Cause de son émoi ? La déprogrammation d’une exposition de « L’artiste activiste » (un pote de Pavlenski sans doute) au Fresnoy, dans laquelle il prévoyait d’afficher des photos de 4.000 policiers, en demandant aux spectateurs de les identifier, soi-disant pour dénoncer la reconnaissance faciale. Va comprendre, Charles.

Scandale à l’université d’Ottawa, une enseignante expliquait à ses étudiants le concept de « resignification subversive » qui a permis que le mot « queer », initialement péjoratif, soit récupéré par ceux là-mêmes qu’il stigmatisait. Pareil, poursuit-elle, que le mot « nigger », qu’elle a prononcé en entier au lieu de dire « the n-word ». Big mistake. Accusations de racisme, lâchage de l’université, suppression de son cours, lynchage sur les réseaux sociaux. A l’université Concordia, une autre enseignante avait eu l’imprudence de citer un ouvrage intitulé « Nègres blancs d’Amérique » : elle n’a plus de cours. Quand on sait que tout ce qui se passe en Amérique du nord arrive chez nous quelques années plus tard, il y a de quoi s’inquiéter. Je vais relire une dernière fois Dix petits nègres d’Agatha Christie et La négresse blonde de Georges Fourest avant de les immoler définitivement, façon Farenheit 451.

« À Guermantes, reconstitution de l’enlèvement d’Estelle #Mouzin le 9 janvier 2003. La juge Kheris va emprunter le chemin pris ce soir-là par la petite fille. Michel Fourniret et Monique Olivier seront présents ». Les reconstitutions, plutôt rares, sont toujours des moments particuliers, soit par l’émotion de se retrouver à un endroit (typiquement : une pièce éclaboussée de sang séché…), soit par ce qui s’y joue, pour ou contre celui qu’on accuse. Dans le cas d’espèce, quand on est face à des personnages aussi manipulateurs que Fourniret, il faut faire un effort, prendre sur soi, parce qu’on attend quelque chose de lui, il a encore un pouvoir, celui de dire ce qui s’est passé, et de permettre, enfin, de retrouver les restes de cette enfant, pour que ses parents en fassent le deuil et lui donnent une sépulture décente. Pour le dire autrement, il faut s’écraser devant lui, se contenir, faire des efforts, tandis que lui jouira de cette considération qu’on lui accordera.

Importante réforme en Iran : « #Iran : L’Autorité judiciaire interdit « torture » et « aveux forcés » ». Saluons cette évolution. Il est vrai que ces moyens donnent d’excellents résultats, mais à quel prix ?

Bretagne, on aura décidément tout vu : « Cette petite entreprise bretonne fabrique du gel biocide aromatisé au caramel au beurre salé ». J’avais déjà vu, chez de miennes nièces, du shampooing au parfum kouign amann. Là, je crois qu’il va falloir se calmer un peu, les bretons.

Vendredi 16 octobre, matin – Débat or not débat ?

Les Matins de France culture, sur la question du débat public, que nous évoquâmes à maintes reprises (et c’est pas fini). La discussion devait en principe se tenir entre les deux invités, la sociologue Nathalie Heinich et mon confrère Emmanuel Pierrat. Très vite et avec un esprit de sacrifice digne d’éloge, Guillaume Erner se fait l’avocat du diable, en un peu plus provocateur. C’est à l’évidence un rôle de composition, sur le thème : mais il est où le problème ? On sent qu’il se donne sans retenue pour mettre ses invités en valeur et leur permettre de lui mettre sous les yeux en lui disant, comme à Michel Strogoff « Regarde ! De tous tes yeux, regarde ! », les preuves de la difficulté à débattre, et de la censure qui règne (un comble pour un journaliste qui se frotte tous les jours à l’actualité). Mais il n’est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir et Charles Péguy n’a pu faire mieux que de se retourner dans sa tombe. Ce qui m’a remis en mémoire le passage d’Alain Finkielkraut dans les mêmes Matins, et qui à force de contradiction a fini par lui dire : « mais enfin Guillaume Erner, dans quel monde vivez-vous ? » Bien joué Guillaume, une fois de plus, mission accomplie.

Nathalie Heinich évoque à un moment « une petite frappe intellectuelle » invitée dans la matinale d’Inter et chacun comprend que c’est de Geoffroy de Lagasnerie qu’elle parle sans le nommer. Très belle manifestation de stoïcisme d’Emmanuel Pierrat, qui est proche de Lagasnerie, ainsi que de son compère Edouard Louis, par ailleurs son client dans une nébuleuse affaire de viol. Sur le fond, c’est-à-dire la réalité d’une forme de terrorisme intellectuel dont découle logiquement une certaine autocensure, les deux invités se rejoignent, aux détails près. Mais Guillaume Erner fait de la résistance (uniquement pour les mettre en valeur, bien entendu).

J’apprends que To kill a Mockingbird est interdit dans 17 états américains (je ne pensais pas qu’on en était rendu là) et que Tom Sawyer et Huckleberry Finn (mon enfance) sont également sur la sellette. Montrant une persistance et une force de caractère peu communes, Guillaume Erner reste imperturbable face à l’adversité : vazy, mais c’est pas grave, ça ! Pour lui, tant qu’on ne tue ou n’emprisonne pas les gens pour leurs idées, le débat demeure parfaitement libre.

L’acmé est atteinte vers la fin de l’émission, sous les yeux atterrés (je les imagine) de Nathalie Heinich, qu’on a trop peu entendue, lorsque la disputatio devient une dispute entre l’invitant et l’invité, en mode hargneux-je te coupe la parole-mais moi aussi j’ai lu le New-York Times-pardonnez-moi-maizenfinMaitrePierrat, pour illustrer que ces histoires de censure, d’impossible débat, ne sont qu’inventions, fantasmes et chimères.

Les plus curieux pourront comparer la façon dont notre intervieweur n’apporte aucune contradiction sérieuse au bouffon de la veille, qui raconte n’importe quoi (probablement pour montrer qu’en matière de bouffon, c’est çui qui dit qui y est), et contredit systématiquement ses deux invités du jour sur la question pourtant essentielle, de la dégradation du débat public (Là aussi c’est fait exprès, ce n’est qu’un rôle de faire-valoir. C’est certainement beaucoup de travail en amont mais le résultat est là).

C’est confirmé, le ridicule ne tue pas. La mégalomanie non plus. Vidéo d’un confrère pénaliste de la hard boiled school qui se prend pour Philip Marlowe. L’évolution de la publicité des avocats est une des choses les plus fulgurantes qu’il m’ait été donnée de contempler.

Sarkozy mis en examen pour association de malfaiteurs dans l’affaire libyenne : encore un aveu d’impuissance du Garde des sceaux (dont la nomination, souvenez-vous, n’avait d’autre raison d’être que de protéger Sarkozy. Suivez, un peu ! Ou alors abonnez-vous au compte d’Edwy Plenel).

Vendredi 16 octobre au soir – Le cauchemar

Je connaissais Woody Guthrie et son fils Arlo, dont le célèbre City of New Orleans  résonne dans toutes les oreilles dignes de ce nom (pour les moins bien nées, dans l’adaptation de Joe Dassin). Je découvre avec jubilation Savannah Guthrie qui a mis Trump knock-out en deux reprises. ÇA FAIT DU BIEN PUTAIN !!!

Du coup je m’abonne à Madame Savannah Guthrie et la tague dans une traduction libre et sans doute approximative de la formule ci-dessus (sans réaction de sa part, mais bon, elle a presque 1 million d’abonnés.)

Journal d'un avocat au temps de la Covid-19
Photo : ©AdobeStock/Kom

J’écoute France Info en rentrant du cabinet : l’horreur, un professeur d’histoire d’un collège de Conflans Sainte Honorine tué puis décapité par un islamiste parce qu’il avait montré à ses élèves de 4ème des caricatures lors d’un débat sur la liberté d’expression. On se pince devant ce cauchemar.

Malaise grandissant en entendant les réactions d’Aurélien Taché et Jean-Christophe Lagarde, les deux personnes les moins bien placées pour s’exprimer sur le sujet, compte tenu de leur complaisance à l’égard de l’islamisme. Le premier a montré son vrai visage en comparant le voile au carré Hermès des versaillaises : il illustre la position d’une certaine gauche, descendante des bouffe-curés et des promoteurs de la loi de 1905, qui détestait la calotte. Avec le temps, elle a gardé sa détestation des chrétiens (dont la versaillaise est la représentation paradigmatique) mais avec les yeux de Chimène pour l’Islam, considérée comme la religion des pauvres, des opprimés, des dominés (lire Emmanuel Todd si on ne craint pas la nausée).

Le cas de Jean-Christophe Lagarde est un peu plus pendable et il a une part de responsabilité morale (avec beaucoup d’autres élus) qui rend sa réaction insupportable. Eve Szeftel a décrit le clientélisme qui lui a permis de conquérir Bobigny. Il a été sauvé par le gong, en l’espèce le confinement, qui a fait disparaître cette affaire des écrans radars avant qu’elle devienne vraiment embarrassante pour lui. Il avait menacé de déposer plainte contre elle et contre Le Point, mais 8 mois plus tard (la prescription en matière de diffamation est de 3 mois) je n’ai trouvé nulle trace de cette affaire sur l’internet.

Les commentaires abondent, je reprends un tweet de Laurent Bouvet, qui illustre depuis plusieurs années la réaction de gauche à l’islamisme, et la défense de l’idée laïque originelle, celle que l’autre partie de la gauche appelle laïcisme et qui signifie pour elle : vous n’aimez pas les musulmans.

Mélenchon : « Ignoble crime à #Conflans ! En fait l’assassin se prend pour le dieu dont il se réclame. Il salit sa religion. Et il nous inflige à tous l’enfer de devoir vivre avec les meurtriers de son espèce. » Encore un aveugle, ou alors un salaud, il n’y a pas de milieu.

Tweet du CCIF, le comité contre la soi-disant islamophobie en France, dont on connaît le déplorable passif : « L’horreur renverse et paralyse. Le deuil devrait imposer le silence. Alors que certains veulent déjà récupérer cet acte sidérant à des fins racistes, personne n’empêchera la conscience humaine de prendre le temps de la douleur et de la tristesse. #Conflans». Je ne comprends pas ce que veut dire la dernière phrase, mais la précédente oui, et j’approuve : ferme ta gueule, CCIF, ferme ta gueule, toi aussi tu as une lourde responsabilité morale.

Je décide de laisser Twitter de côté après avoir communié avec tous ceux qui partagent la même horreur, sans aucun MAIS, sans aucun de ces putains de MAIS qu’un certain nombre d’intellectuels, de journalistes, d’universitaires, introduisent dans leurs commentaires.

Juste avant de décrocher, au sens militaire de ce terme (section 1, on décroche !), tweet de Ludivine Bantigny, universitaire tendance Boucheron/LFI/PIR/Nuit Debout/Mediapart/gauche bien-pensante/les musulmans sont les juifs de 2020 : « On se dit d’abord qu’on n’a pas les mots devant le meurtre atroce de #Conflans. Malgré tout ils sont là: sidération, horreur, compassion pour la victime et pour ses proches, immense chagrin. Et colère contre le déversoir de haine contre les musulmanes et musulmans qui surgit déjà ». Je répondrai demain parce qu’il est minuit, que je m’étrangle de colère et, je l’ai souvent observé, ce n’est pas propice à un sommeil qui n’est déjà pas mon point fort.

Ce soir je suis triste, je suis horrifié, je suis excessif, arrêtons d’écrire sinon, je me connais, comme disait Raoul Volfoni, ça va être les gros mots et tout.

Samedi 17 octobre – Quel « déversoir de haine » ?

Répétition avec la chorale de la paroisse, pour la messe de demain : pas facile de chanter avec un masque. Cette allusion insignifiante à ma petite vie, sans intérêt pour tout autre que moi, n’est pas tout à fait innocente : je suis attaché à l’idée de foi, de transcendance, de pratique religieuse, je suis chrétien, catholique et (imparfaitement) pratiquant.

Je me rapproche, en cela, des autres croyants : notre foi a de l’importance dans nos vies, elle en ponctue les moments les plus importants, tristes ou joyeux, elle oriente notre vision du monde, nos choix philosophiques.

Avec cette différence que, par rapport notamment à l’Islam et au Judaïsme, le Christianisme ne prescrit rien pour la vie de tous les jours, ne comporte pas de règles, d’interdictions ni d’obligations, et en conséquence ne met pratiquement jamais le chrétien en opposition (au pire un désaccord intellectuel ou philosophique) avec les règles de vie en société et encore moins les lois de la République. L’esprit, dans l’enseignement du Christ, compte plus que la lettre.

En rentrant de cette parenthèse apaisante, je reprends à tête reposée et sans m’étrangler de rage comme hier soir. Ça commence, là aussi, par France Info qui interviewe Plantu, un des tous meilleurs dessinateurs de presse, engagé dans un militantisme pour la liberté d’expression : j’ai des désaccords, mais l’homme et l’artiste sont pour moi incontestables. Il relate ceci : alors qu’il intervient dans un lycée de banlieue, un garçon lève le doigt pour prendre la parole, les autres : « nan lui c’est le feuj ! » Explication des professeurs : ah oui, quand ils n’aiment pas un élève, ils l’appellent le feuj ( !!!). Et Plantu de commenter : « il y a quelques petites dérives ». La litote du siècle.

Twitt de la Fondapol  :

 

Des personnes prises au hasard, des juifs parce qu’ils étaient juifs, des policiers parce qu’ils étaient policiers, en fonction ou chez eux devant leur enfant, un prêtre dans son église, et maintenant un enseignant parce qu’il a enseigné, voilà ce qui nous arrive depuis des années.

Or, depuis le début, les français ont été exemplaires et d’une retenue incroyable ! Il n’y a eu aucune réaction contre les musulmans, alors que c’est exactement ce que cherchent les islamistes : monter des français les uns contre les autres. Nos compatriotes ne sont pas tombés dans ce piège. Ils font très bien la différence entre les musulmans pacifiques, les islamistes, et les terroristes.

Ce que dit Madame Bantigny est donc un mensonge et une ignominie. Les français (je devrais préciser : non musulmans) n’ont rien contre leurs compatriotes musulmans, ne les stigmatisent pas comme on dit, ne les assimilent pas au terrorisme, ne les pointent pas du doigt après un attentat, ne les regardent pas de travers.

Bien sûr, il y aura toujours des gens qui n’aiment pas les arabes, les musulmans, des racistes clairs et nets. Mais il n’y a pas d’attaques contre les musulmans, les actions déplorables contre des lieux de cultes sont epsilonesques (statistiques 2019 ici ), aucune vie n’est exposée, aucun musulman n’est empêché de s’exprimer, de se montrer pour ce qu’il est, aucune femme n’est attaquée parce que voilée, ce qu’on a vu de plus violent (et que je condamne, moi qui suis fortement opposé au voilement) c’est une femme qu’on a voulu faire partir d’une assemblée, et d’autres à qui des crétins ont voulu ôter leur voile : c’est pas bien, mais franchement il n’y a pas de quoi fouetter un chat. Ces actes, par ailleurs, n’apparaissent pas connectées à des attentats.

Madame Bantigny devance un « déversoir de haine » qui n’existe que dans son imagination ou dans sa vision du monde, encore une fois, le contre feu est allumé avant même le feu. Tweet du même tonneau de Plenel, qui voit « l’extrême droite chercher à récupérer l’attentat » : merci Edwy, grâce à toi, le fascisme ne passera pas ! L’islamisme, on sait pas encore.

Long Tweet du CCIF qui se défend d’avoir pris une quelconque part dans le harcèlement contre Samuel Paty, puisque maintenant on connaît son nom : il va déposer plainte contre Aurore Berger et Zineb El Razoui. Le CCIF est une machine de guerre, morale et juridique, qui prospère sur le concept fallacieux et victimisant d’islamophobie. Il poursuit tout ce qui bouge dès lors que la religion est visée, comme si toute critique, moquerie ou caricature de l’Islam visait ipso facto les croyants, ce qui est un sophisme. Son but : fermer la bouche de tous ces « islamophobes » par une forme de djihad judiciaire.

Charlie organise une marche. A ses côtés, quelques Tartuffe dont SOS Racisme, la Ligue des droits de l’homme et l’UNEF. Rappelons que les deux premiers étaient parties civiles contre Georges Bensoussan aux côtés du CCIF et de la LICRA. Pourtant ce que dénonçait Bensoussan dans Les territoires perdus de la République puis dans Profs en territoires perdus de la République, constituait les prémices de ce qui vient de se produire, ni plus, ni moins.

Journal d'un avocat au temps de la Covid-19
Photo : ©AdobeStock/Pink Badger

Prémices également, le jugement porté par Jean-Pierre Obin dans son rapport de 2004, qui disait alors ceci (déjà cité, mais qui sonne de façon tellement prémonitoire que j’y reviens) : « Tout laisse à penser que dans certains quartiers les élèves sont incités à se méfier de tout ce que les professeurs leur proposent, qui doit d’abord être un objet de suspicion, comme ce qu’ils trouvent à la cantine dans leur assiette ; et qu’ils sont engagés à trier les textes étudiés selon les mêmes catégories religieuses du halal (autorisé) et du haram (interdit). » Avec le recul, cette formule est terrible.

Y aura-t-il des camps face à cet acte ? Non bien sûr et l’unanimité se fait toujours sur la condamnation du terrorisme. Car la question n’est pas l’acte terroriste, qui est un problème sécuritaire, mais ce qui le rend possible. Le terrorisme est, pour paraphraser Clausewitz, la continuation de l’islamisme par d’autres moyens.

Abdennour Bidar (lire ces longs et passionnants entretiens de 2015 au Figaro  et à L’Express ) avait eu cette formule : on dit souvent du terrorisme que c’est l’arbre qui cache la forêt, mais dans quel état doit être la forêt pour donner naissance à un tel arbre ?

C’est bien dans cette forêt que git le problème, celui auquel il faut s’attaquer, et qui appelle notre réaction : pas le fait qu’un homme ait tué et décapité un enseignant, mais les raisons pour lesquelles ceci a pu advenir.

Le fait qu’un père de famille se permette de venir contester un enseignement, traiter un professeur de voyou, exiger qu’on l’évince, menacer de manifestations, divulguer son identité, son numéro de téléphone et créer à partir de rien un climat de harcèlement et de menace, ceci est en soi inacceptable.

Le fait que des collégiens puissent s’offusquer de ce qu’on leur apprend en cours également : ça suffit.

Le fait que n’importe quel propos critiquant l’Islam soit classé comme « islamophobe », et même qu’on prétende qu’il existe une chose appelée islamophobie.

Dimanche 18 octobre – Dieu et César

 Evangile du jour : consulté sur un point délicat de droit fiscal (est-il permis de payer l’impôt ?), Jésus répond dans les termes sibyllins suivants « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ». Pour les Pharisiens, cela signifie que oui, il faut payer l’impôt. Avec du recul, c’est probablement la première référence à la séparation du temporel et du spirituel, ce qui me parait d’une brûlante actualité. Le spirituel est l’affaire de chacun, il ne doit pas peser sur les autres, dont la spiritualité est différente ou inexistante, et il n’a en aucun cas sa place à l’école.

 

*Si vous avez manqué les épisodes précédents, c’est par ici 

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