Julien Fresnault : « La fiction est toujours en-deçà de la réalité » !

Publié le 04/10/2023

« Je vais vous mettre 5 étoiles sur Trip Advisor », « Je suis innocent, je suis victime de l’amour », « J’ai eu de la peine en voyant le sang par terre, sinon je regrette rien » ou encore « c’est l’avocat qui m’a dit de ne pas le dire »… Ce ne sont pas les meilleures répliques de la série Engrenages, mais des extraits de vrais procès-verbaux et mis en ligne sur le compte Instagram @procesverbehaut. Dans son recueil truculent : « Perles de gardes à vue », publié aux éditions Enrick B., Julien Fresnault, avocat pénaliste à Paris, a compilé les anecdotes les plus absurdes, drôles ou tragiques. « Avoir l’air quand même sérieux en parlant d’humour dans les gardes à vue, c’est un exercice pas évident », confie-t-il. Entretien avec un amoureux du pénal, pour qui la garde à vue reste un moment stratégique et sous tension.

Actu-Juridique : Comment est née l’idée de votre livre « Perles de garde à vue. Alibis et excuses improbables : les pires réponses données aux policiers »?

Julien Fresnault : Tout a commencé de manière assez classique. Il n’est pas rare, entre avocats, d’échanger dans des groupes Whatsapp nos meilleures anecdotes issues des procès-verbaux de gardes à vue. J’en ai anonymisé quelques-unes et j’ai eu l’idée de les mettre sur les réseaux sociaux. Cela a suscité de nombreuses réactions et j’ai créé le compte Instagram @procesverbehaut. Cela fait maintenant trois ans qu’il existe, essentiellement nourri par des policiers. Aujourd’hui, 25 000 personnes le suivent. Le recueil est né de l’idée d’en compiler les meilleurs extraits.

En mettant ces citations en ligne, je me suis rendu compte que cela intéressait aussi des personnes extérieurs à la justice. La plupart d’entre elles ont une vision prédéfinie de la justice, celle des faits-divers très noirs, des bavures, mais lors de gardes à vue, il y a aussi du tout-venant, des alibis complètement foireux ! Quand on est attrapé la main dans le sac, il faut tenter de s’en sortir et le mensonge est l’un de ces recours. Les gens ne s’attendaient pas à lire autant de bêtises. Dans le recueil, on se moque autant des gardés à vue que des policiers ou des avocats. Je voulais dédramatiser tout cela et montrer que l’on peut rire même dans des moments tragiques. Au sein des métiers durs, comme ceux du pénal, avocats, policiers, greffiers, nous ressentons le besoin de souffler. Et l’humour noir, aussi très fréquent parmi les médecins, est central.

A-J : Vous le dites dans l’introduction, l’humour est « une soupape de décompression » pour les pénalistes. Quel est le rôle de l’humour justement ?

J.F. : Il y a plein de contextes différents. Dans le cas des infractions trop dures, comme les crimes de sang, la situation est toujours difficile, pour le policier, l’avocat ou le gardé à vue, qui, d’un coup, voit son monde s’effondrer. Mais il y a parfois une telle pression que même dans les situations les plus graves, le rire permet de respirer un peu. Il peut venir de toutes parts : d’une phrase qui a été mal comprise par un avocat qui part en fou rire, d’un policier qui cherche à dédramatiser la situation ou à mettre en place une stratégie pour mettre en confiance et faire parler la personne, dans une sorte de jeu de chat et de la souris où le policier et le gardé à vue se moquent gentiment l’un de l’autre. Mais le rire, c’est purement humain, et il peut arriver aux pires moments : à un enterrement ou aux assises, cela permet d’évacuer des tensions. Une façon de souffler quand on est dans le pire.

A-J : La garde à vue est toujours un moment particulier, pour les gardés à vue, mais aussi pour les avocats, qui découvrent un dossier. Comment voyez-vous les choses ?

J.F. : Il y a les clients qu’on connaît déjà avec qui on a pu préparer la garde à vue, notamment si l’on sait qu’il y a une enquête sur eux depuis un certain temps. En général on leur conseille de garder le silence mais je constate qu’ils ne le font pas toujours, persuadés qu’ils auront à dire quelque chose de pertinent et se sentant capables de répondre. Il existe donc une partie stratégique avec des clients que l’on connaît déjà.

Mais quand ils sont interpellés en flagrant délit ou si nous sommes commis d’office, nous ne les connaissons pas et nous les rencontrons seulement au moment de l’entretien. Là, un jeu de mise en confiance spécial se met en place, toujours le même : quelqu’un qui est coupable et qui cherche à se défendre va nous livrer une version qui n’est souvent pas la bonne en se disant que si sa version passe avec leur avocat, elle passera auprès d’un policier puis auprès du juge. Pour ainsi dire, nous sommes le premier test de vérité de notre client.

La garde à vue est un temps très intéressant, mais très frustrant aussi, car c’est le moment où nous sommes moins proactifs. C’est un temps un peu « subi » pour l’avocat. Mais c’est aussi un moment de jeu car on découvre des éléments au fur et à mesure, qui viennent parfois se confronter à la vérité du client. Si quelqu’un nie avoir eu une relation sexuelle, mais que des traces ADN sont trouvées, ainsi qu’une vidéo… là certains se décomposent.

A-J : Amour, vol, alcool, procédure, témoins, dernière question… Comment avez-vous choisi les entrées du livre ?

J.F. : Je les ai catégorisées en deux groupes. D’abord, les entrées purement par types d’infractions, comme les  violences, les vols, les infractions sexuelles… Et les facteurs de crimes, ce qui amène à l’infraction plus que l’infraction en elle-même, comme l’alcool, les stupéfiants, l’amour aussi. Si l’on suspend l’alcool, on vide 50 % du tribunal en termes d’infractions pénales ! Pour aller dans l’interdit, il faut transgresser, et pour transgresser, il faut des valeurs jugées comme importantes. L’amour en fait partie. Il donne beaucoup d’excuses aux gens…

A-J. Véhicules, stupéfiants, violences sexuelles, famille, amour. Les gardés à vue sont majoritairement des hommes. En quoi cela donne-t-il une certaine représentation de la masculinité toxique ?

J.F. : C’est toute la construction du patriarcat ! Parce que l’homme doit être fort et partir à l’action, c’est lui qui commet des infractions, alors que les femmes sont, selon moi, plus raisonnées. Les hommes sont globalement moins réfléchis, partent à l’instinct. De la même manière, les addictions aux stupéfiants, à l’alcool, sont très masculines. Comme ce sont des clés d’entrée dans la délinquance, les gardés à vue sont numériquement plus masculins. Les femmes représentent plutôt les bases arrière de la délinquance. Souvent elles participent à des activités délictuelles, mais n’en sont pas des participantes actives, donc elles apparaissent moins dans les dossiers. Tant que les hommes et les femmes ne seront pas dans une égalité totale, il n’y aura pas non plus d’égalité devant les tribunaux.

A-J : Comment êtes-vous arrivé au pénal ? Qu’est-ce qui vous plaît ?

J.F. : Je suis avocat depuis quinze ans. J’ai d’abord exercé en propriété intellectuelle. Mais je m’étais un peu lassé, je trouvais que les gens se prenaient énormément la tête pour des enjeux qui n’en valaient pas la peine ! Puis j’ai passé le concours de la Conférence. J’ai alors récupéré beaucoup de pénal et j’y ai pris goût. Je ne fais cela que depuis dix ans. Au pénal, tout fait sens : l’enjeu, c’est la liberté de la personne. Et pour les victimes, avoir une décision de justice favorable aide beaucoup pour repartir. Je trouve qu’on est dans le concret. Et chaque jour est très différent car la délinquance prend des formes variées. Elle peut provenir de la misère mais aussi de gens comme vous et moi qui se retrouvent confrontés à la justice à un moment de leur vie. N’importe qui en garde à vue est choqué et confronté à une réalité qui n’est pas la sienne. À ce titre, le pénal est plus intéressant que la fiction. Les meilleures séries sont inspirées de dossiers, mais nos dossiers sont toujours plus passionnants que ce qu’on peut lire ou regarder ! Le pénal devient vite une addiction. La seule chose qui se répète ce sont les schémas de délinquance, mais même la délinquance évolue tout le temps.

A-J : Chez les gardés à vue, les attitudes peuvent être très différentes : colère, agressivité, insultes, défiance ou tétanie…

J.F. : En effet, il y a des gens qui sont habitués, qui en sont à leur 10e garde à vue, qui connaissent les rouages et sont moins stressés. Mais il y a les gens pour qui c’est la première fois, et notamment dans les milieux plus aisés, se sentent au-dessus de tout ça en se disant : « Je ne crains rien » ou « Vous ne savez pas qui je suis ». Parfois, les remarques les plus cinglantes ou vives contre les policiers ne viennent pas forcément des catégories sociales les plus faibles, mais de ceux qui se croient au-dessus de tout ça et qui osent leur rentrer dans leur lard, car ils ont l’habitude d’avoir une autorité sur les autres.

Il y a aussi les innocents de garde à vue : ceux-là ne comprennent pas où ils sont, ce qu’ils font là, et ils répondent à côté. Ils ne voient pas où les policiers veulent en venir, ils font des réponses sur des choses ou se justifient sur des choses qui n’ont rien à voir avec l’infraction. On voit des gens qui perdent très vite pied. D’une certaine manière, c’est « normal », c’est le principe de la garde à vue, une mesure restrictive de liberté et hyper pressurisant. Quand vous êtes vous retrouvé pour la dernière fois sans téléphone portable, pendant 24 heures, dans une cellule, isolée ? On est dans l’hyper communication permanente et d’un coup, quelqu’un est privé de tout. C’est un stress qui monte très vite…

A-J : La présence de l’avocat n’est tolérée dans la totalité de garde à vue que depuis 2011. Quels sont les enjeux liés aux droits de la défense ?

J.F. : Depuis des années, les avocats réclament la même chose : avoir accès au dossier de leur client. Car la garde à vue est la phase non contradictoire par excellence. On nous amène des choses sans que l’on ait pu réfléchir avant, sans avoir analysé ce que l’on nous oppose. C’est le moment où le déséquilibre dans les droits de la défense est le plus important et où l’on se sent la plus faible. Ce que je dis souvent c’est que le travail commence vraiment au moment de la fin de la garde à vue, quand on a accès au dossier. Ce qui me dérange le plus, ce sont les coups de bluff des policiers, qui prétendent avoir des éléments, des témoins : face au dossier, on constate parfois qu’il est vide. Cela revient à faire craquer les gens. Je peux l’entendre du point de vue policier… mais du nôtre, cela est différent, car il se passe quand même des drames. Il y a des innocents qui avouent des faits, j’en ai déjà vu dans des dossiers. Cela provient d’une faiblesse psychologique impliquée par les conditions de la garde à vue. Car si cette mesure en arrive à ce que des innocents s’inculpent, c’est qu’il y a un problème. On va m’opposer que c’est l’exception, mais cela arrive régulièrement. Car ce moment est trop pressurisant, les gens racontent n’importe quoi, quitte à ce que cela les amène en détention.

A-J. Sur l’aspect stratégique, comment vous placez-vous ?

J.F. : En garde à vue, mon réflexe n’est pas forcément de croire tout ce que mon client va me dire, mais ni de croire ce que me dit le policier. Ce jeu psychologique est assez rare, je ne vois pas d’autres cadres que la garde à vue où il est possible. Encore une fois, le mensonge est hyper humain, c’est un réflexe logique pour sortir. Je me rappelle un mis en garde, particulièrement culotté. Ce dernier avait un gros zozotement. On lui dit qu’on a des écoutes dans lequel on le reconnaît. On lui passe les écoutes, moi-même, je reconnais sa voix. Il continue de nier, mais l’officier de police lui précise que sa mère l’a également identifié. Et là, il répond : « Quelles compétences elle a ma mère pour dire que c’est moi ? ». Certains, même les plus intelligents, sont prêts, à dire que c’est noir quand c’est blanc. Mais c’est humain…

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