Kathleen Taïeb : « La priorité de la justice des mineurs, c’est l’aspect éducatif »

Publié le 14/03/2025

Trois ans après l’entrée en vigueur du Code pénal des mineurs, une proposition « visant à restaurer l’autorité de la justice à l’égard des mineurs délinquants et de leurs parents » a été déposée à l’Assemblée nationale, par le député Gabriel Attal, le 15 octobre 2024. Débattue au Parlement au mois de février, elle comporte l’idée d’en finir avec « l’excuse systématique de minorité », et de sanctionner les parents défaillants. Me Kathleen Taïeb, avocate pénaliste, membre de l’Antenne des mineurs du barreau de Paris, réagit à cette proposition. Entretien.

Actu-Juridique : Comment vous êtes-vous spécialisée en droit des mineurs ?

Kathleen Taïeb : J’ai un cabinet dans lequel je fais du pénal et du contentieux civil et commercial. Au pénal, j’ai toujours été investie dans les sujets de traite des êtres humains, et je me suis engagée auprès d’associations. J’ai eu rapidement à défendre des clientes nigérianes prises dans des réseaux de traite d’êtres humains, parmi lesquels il y avait beaucoup de mineurs. Le droit des mineurs m’a toujours intéressée, d’autant plus que j’ai été dans ma vie souvent au contact des enfants et des adolescents. Le droit des mineurs est passionnant : il comporte un volet assistance éducative et un volet pénal, du côté des victimes et de celui des auteurs. Au barreau de Paris, il existe une antenne des mineurs avec des avocats spécialisés qui suivent une longue formation et ont ensuite le monopole des commissions d’office pour les mineurs auteurs ou victimes. Ils portent également la parole des mineurs qui peuvent être pris dans un conflit de loyauté en cas de divorce, et qui souhaitent être entendus par un juge. J’ai intégré cette antenne en 2019 après une formation dédiée de plusieurs mois. J’ai ainsi découvert tout l’écosystème de la justice pour enfants : les juges, les éducateurs, la protection judiciaire de la jeunesse. Je l’ai vue fonctionner avant et après la réforme de 2021.

AJ : Justement, la dernière réforme de la justice des mineurs date de 2021. Qu’avait-elle changé ?

Kathleen Taïeb : L’intention première, louable, était de rendre la justice des mineurs plus réactive. Le temps judiciaire est trop long, particulièrement pour les mineurs. Ils ne pouvaient pas attendre deux ans avant d’être sanctionnés. Il y avait en plus l’enjeu du passage à la majorité à prendre en compte. La réforme de 2021 a permis de changer de temporalité. Elle a accéléré le passage devant un juge en scindant l’audience en deux. Il y a d’abord une audience de culpabilité, qui se tient dans un délai de 6 mois maximum, puis une audience de sanction qui a lieu après une période de mise à l’épreuve éducative plus ou moins longue. Cela permet, dans l’intervalle, de mettre à l’épreuve la bonne volonté du mineur, de voir son écosystème, de le faire suivre par un éducateur, de mettre en place des modules spécifiques, comme le « soin » ou la « formation » si le mineur est dans une situation de déscolarisation, par exemple. Cet intervalle permet également de voir si l’infraction est un fait isolé, ou si d’autres actes sont commis, signant un parcours délinquantiel plus ancré. On tient compte du parcours du mineur, de leur personnalité et de leur comportement.

AJ : Est-ce qu’il s’agit d’une « bonne réforme » ?

Kathleen Taïeb : C’est trop tôt pour le dire. On en voit à peine les effets. Le Code de la justice pénale des mineurs (CJPM) est entré en vigueur le 30 septembre 2021. C’était une refonte majeure du système, qui reposait auparavant sur l’ordonnance de 1945. Le temps judiciaire est long, on commence tout juste à mesurer ce qui a fonctionné ou non. Il me semble que les intentions sont bonnes. Il est intéressant, pour les mineurs, de distinguer la culpabilité et la sanction. Cela peut peremettre à l’enfant de se redresser avant sa majorité. C’est intéressant sur le plan éducatif et pédagogique. Le fait de suivre le mineur avant la sanction est intéressant dans une optique éducative. Le mineur revoit le même juge lors de ses deux audiences. Un lien peut se créer entre lui et ce juge référent, auquel il rend des comptes et auprès duquel il s’engage. Les mineurs ont, en théorie, des avocats spécialisés, du temps dédié propre à l’examen approfondi de leur situation. Ce n’est, à mon sens, pas souhaitable de revenir là-dessus.

AJ : Comment accueillez-vous l’idée d’une nouvelle proposition de loi visant à réformer la justice des mineurs ?

Kathleen Taïeb : Cela me semble très prématuré, puisque cette réforme arrive alors que la précédente est à peine mise en place. Par ailleurs, le nom de la proposition de loi, intitulée : « Restaurer l’autorité de la justice à l’égard des mineurs délinquants et de leurs parents » me laisse dubitative. La délinquance des mineurs n’est pas tout le temps due à une défaillance parentale. Il arrive bien sûr que la délinquance des mineurs soit liée à un contexte familial qui explique le décrochage du mineur mais il y a bien d’autres paramètres : l’entourage, les fréquentations… Je vois beaucoup de parents présents et investis mais réellement démunis face aux infractions commises par leurs enfants. Ils sont toujours présents aux audiences devant le tribunal pour enfant. La délinquance des mineurs est un échec global de la société, des parents mais aussi de l’école, des réseaux sociaux, du culte de l’argent facile qui fait des ravages chez les plus jeunes…

AJ : Certains responsables politiques estiment que la justice des mineurs n’est pas assez sévère. Qu’en pensez-vous ?

Kathleen Taïeb : Le titre de cette proposition de loi laisse en effet entendre que la justice des mineurs n’est pas assez sévère. Or il ne faut pas perdre de vue à mon sens que l’aspect répressif, s’il est important, est secondaire. La priorité de la justice des mineurs, c’est l’aspect éducatif. Ce sont les premières confrontations de l’enfant avec le monde judiciaire. La sanction pénale n’est pas le premier réflexe et cela me semble une bonne chose. Il faut que la gravité de l’infraction commise l’explique. Un mineur, sauf exception, ne va en prison que s’il est dans un parcours de récidive, et que toutes les mesures éducatives, rappels à la loi ou autre placement en centre éducatif fermé, ont échoué. J’assiste des mineurs placés en détention. C’est toujours le signe d’un échec plus global. L’idée de prononcer plus vite des peines de prison me semble un pari dangereux. Le passage par la prison ne met pas automatiquement un terme au parcours délinquantiel. Au contraire, j’observe que la prison fait peur tant qu’elle est une menace. Une fois que les mineurs y sont passés et en sont revenus, il y a une sorte de « déplafonnement ». Ils ont moins peur d’y retourner. En outre, le passage en détention stigmatise, entraîne des ruptures de scolarité. Il est difficile de se réinsérer après. La justice des mineurs n’a pas le même objectif que la justice des majeurs. On ne peut pas la comprendre sans tenir compte de cela. Des débats portent sur le fait de savoir si elle est assez répressive. Mais on ne pourra jamais corréler le degré de répression avec l’absence de récidive ou de baisse de la délinquance, c’est notamment ce qui avait été démontré avec le débat fondamental sur l’abolition de la peine de mort.

AJ : Plusieurs juridictions font état d’une aggravation de la délinquance des mineurs. En faites-vous le constat ?

Kathleen Taïeb : Il m’est difficile de me prononcer là-dessus, mais je peux constater une aggravation des infractions commises par les mineurs, qui tendent à être plus violentes. Des mineurs mis en cause pour des cambriolages peuvent désormais l’être pour des « home jacking », par exemple. Le recours à la violence est peut-être plus grand qu’avant, mais pas forcément le nombre d’infractions.

AJ : La proposition de loi mentionne la possibilité de mettre en place des comparutions immédiates pour les mineurs. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Kathleen Taïeb : Je trouve déjà terrible le principe de la comparution immédiate pour les majeurs. Pour un avocat, intervenir en comparution immédiate, cela veut dire prendre connaissance à 9 heures du matin de plusieurs dossiers qui seront jugés quelques heures plus tard, avec des décisions qui peuvent être très sévères, prononcées parfois tard dans la nuit. C’est une « justice express », qui ne permet pas de parler de la personnalité du mis en cause, de rentrer en contact avec la famille, de récupérer des garanties de représentation. Des enquêtes sociales sont menées de manière plus qu’expéditive. Aujourd’hui, la justice des mineurs est aux antipodes de cette logique des comparutions immédiates. Dans les audiences du tribunal pour enfants, l’aspect humain et pédagogique est primordial. Elles se tiennent à huis clos, en présence du mineur, de ses parents, des éducateurs s’il y en a, de l’avocat, du parquet. Chacun prend la parole. On prend réellement en compte le parcours pénal du mineur, sa formation, sa scolarité, ses antécédents, sa fratrie. On essaie de faire du « sur-mesure », et cela fait l’essence de la justice pour mineurs. Ce serait terrible que les mineurs se mettent à être jugés de manière expéditive et déshumanisante, à l’instar des majeurs, sachant que cela est dans tous les cas hautement critiquable.

AJ : Le débat parlementaire autour de cette proposition de loi questionne également le bien-fondé de l’excuse de minorité. Qu’en pensez-vous ?

Kathleen Taïeb : Il faut se souvenir de sa raison d’être. Cette excuse de minorité a été mise en place en 1945 et découle de l’idée qu’on ne juge pas un mineur, dont la personnalité est encore en construction, comme un majeur. Les peines prononcées sont donc atténuées. L’excuse de minorité me semble donc nécessaire, et la remettre en cause automatiquement peut être inquiétant. Il est en revanche déjà prévu qu’elle peut être remise en cause pour des faits extrêmement graves. Or, à la seconde où le mineur devient majeur, il passe dans une logique judiciaire beaucoup plus dure, même si certaines mesures éducatives peuvent être prolongées jusqu’à l’âge de 21 ans. C’est un passage brutal, et on peut déplorer un manque de cohérence entre la justice des mineurs et la justice des majeurs qui en quelques heures, peut envoyer un jeune de 18 ans en détention provisoire pour un vol de portable.

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