Val-d'Oise (95)

« La confraternité a vraiment un sens dans notre profession d’avocat »

Publié le 12/11/2020

Au sein du barreau du Val-d’Oise, la crise du Covid-19 et son corollaire, le confinement, a vite fait réagir. Afin de venir en aide aux avocats touchés de plein fouet par la forte réduction de leurs activités, le barreau a lancé un fonds de soutien auprès des 500 avocats qu’il regroupe. Quelques mois après cette création, où en est ce fonds ? La situation des avocats s’est-elle améliorée avec la reprise des activités économiques et judiciaires ? La bâtonnière actuelle, Évelyne Hanau, et le trésorier de l’ordre des avocats du barreau du Val-d’Oise reviennent sur cette initiative.

Les Petites Affiches : Comment est née l’idée d’un fonds de soutien ?

Évelyne Hanau : L’année 2020 a été particulièrement difficile, avec conjointement le mouvement de grève de janvier (contre la réforme des retraites) et le confinement. Nous avons donc envisagé la mise en place d’un fonds spécial Covid-19 à destination des confrères en difficulté, et qui en feraient la demande. Ce fonds est géré par une commission spéciale composée de 5 avocats et prend la forme d’un « prêt Covid-19 », à rembourser à l’ordre des avocats.

LPA : Est-ce la première fois qu’un tel fonds est créé dans votre barreau ?

Sébastien Raynal : Oui ! Chez nous, c’est la première fois que cela arrive. Il existe bien les prêts d’honneur attribués mais en général il s’agit de petites sommes. Cela a été fait au barreau de Paris également, donc nous ne sommes pas les seuls à avoir mis en place ce genre de système. Quand nous avons lancé le fonds, c’était en pensant à nos 500 avocats, répartis dans des types de structure très différents, ayant de grosses craintes sur les conséquences du confinement. Au cours de cette année, nous avions déjà aidé les confrères au moment des grèves, en procédant à une remise sur les cotisations à l’ordre. Lors de la crise du Covid-19, des aides avaient été mises en place, comme avec les prêts garantis par l’État (PGE), mais qui ont eu du mal à émerger ou qui ont parfois été longues à obtenir par le biais des banques traditionnelles. Le report des échéances des charges, quant à lui, a certes rendu service, mais ne nous a pas rassurés sur l’avenir.

Ainsi, nous avons créé ce fonds de soutien, sur les fonds propres de l’ordre et de la CARPA tout en évitant de nous mettre en danger face aux crises potentielles des prochaines années. Nous l’avons créé dans la même idée que le PGE, avec un différé dans les remboursements de 6 mois voire un an et avec des sommes limitées. Avec un million d’euros, nous nous sommes dit en effet que si tout le monde demandait à en bénéficier, il fallait limiter les sommes à attribuer. Un million, cela paraît beaucoup mais divisé par 500, ce n’est pas énorme. Nous avons donc limité les prêts à 10 000 ou 15 000 €. Nous avons envisagé en cas de difficultés plus importantes et croissantes des avocats, d’alimenter ce fonds spécial de 500 000 € pris sur les fonds propres de l’ordre ce fonds spécial. En juin dernier, nous n’avons quasiment pas eu de demandes et relativement peu en septembre. Peut-être une dizaine en tout. Mais nous avons sans doute sauvé quelques cabinets en octroyant ce prêt.

LPA : Sur la base de quels critères attribuez-vous ces prêts ?

S.R. : Nous devions veiller à ce que les difficultés des confrères soient liées à la conjoncture, et non structurelles ou liées à d’autres facteurs, mais sans nous substituer à une banque. Le but était d’apporter une aide ponctuelle à des confrères qui rencontraient des difficultés. Nous avons prévu la possibilité de laisser courir ce fonds jusqu’à fin décembre prochain, dans le cas de nouvelles difficultés liées à la perspective d’un second confinement.

E.H. : En tant que bâtonnière, je ne fais pas partie de la commission spéciale qui gère le fonds Covid-19, car j’ai par ailleurs un pouvoir discrétionnaire permettant d’attribuer des prêts d’honneur. C’est une volonté de ma part de ne pas participer à cette commission Covid-19. Quoi qu’il en soit, avec ce fonds, nous nous étions placés dans une perspective négative, sachant que notre barreau est judiciaire – et donc très impacté par l’arrêt de l’activité judiciaire –, sans compter que nous étions inquiets car notre profession a déjà été touchée par les réformes des dernières années, comme avec la loi de programmation et de réforme pour la justice en 2018, les retraites ou encore la dématérialisation.

LPA : Pouvez-vous revenir sur les difficultés de la profession ?

E.H. : Malgré le report de charges, les prochains mois vont être difficiles pour les avocats. D’après les chiffres du CNB, le revenu médian est de 43 000 €/an et plus de 30 % des avocats perçoivent moins de 30 000 € annuels, mais paradoxalement, nous avons eu assez peu de demandes. Je l’explique par le fait que notre profession est une profession qui parle peu de ses difficultés, même si les demandes qui nous étaient adressées restaient confidentielles. La plupart ont pris sur leur trésorerie en se disant « on verra ». Nos craintes, c’est que le report de charges en décembre ou janvier prochains mette en difficulté nos confrères, car les sommes dues seront gonflées même si nous constatons une reprise de l’activité.

Je crois que nous sommes une profession profondément libérale. C’est inscrit dans nos racines, nous nous assumons. Nous sommes encore souvent taxés de notables, de nantis, et dans ce monde-là, tout va toujours bien. Il faut vraiment attendre que quelqu’un ose dire que c’était difficile pour lui les derniers mois pour que d’autres langues se délient.

Pour autant, depuis 2018, nous avons de grandes angoisses, car le législateur a proposé une vision de la justice qui n’est pas la nôtre, plus éloignée, moins humaine, sans compter les conséquences économiques qui en ont découlé, puis sont arrivées les questions des retraites. Nous voyons de plus en plus d’avocats qui raccrochent la robe ou qui demandent leur intégration dans la magistrature ou dans le privé. Le confinement a accéléré le phénomène.

S.R. : Notre profession n’aime pas trop parler de ses difficultés, sauf lors des mouvements de grève. Même quand ça ne va pas financièrement, ça va quand même !

Le confinement nous a inquiétés et a soulevé de nombreuses angoisses, mais les difficultés sont là depuis de nombreuses années. Notre profession est souvent pessimiste sur l’avenir. Actuellement, un certain nombre d’avocats envisagent de changer de profession, pour davantage de sécurité financière. Nous avons pu voir que certains, proches de la retraite mais que nous imaginions continuer jusqu’à 80 ans, ont décidé de raccrocher à l’occasion de la crise.

LPA : Quelles ont été les conséquences les plus inattendues de ce confinement ?

E.H. : C’est un moment qui nous a permis de réengager un dialogue serein avec les juridictions. À Pontoise, nous avons certes toujours eu un dialogue, mais il serait faux de dire que la grève que nous avons menée n’a pas eu d’impact sur l’activité de la juridiction, jusqu’à parfois, créer des tensions.

Dans ce contexte, le confinement a permis de réinstaurer un dialogue nécessaire car le souci mutuel était que la justice puisse fonctionner, chacun à sa place, nous présents pour nos clients, et les juges souhaitant rendre la justice. Alors nous nous sommes consultés : que pouvions-nous faire ensemble ?

Souvent, on a une image des avocats comme résolument réfractaires. Mais nous avons su montrer que nous pouvions nous emparer des outils comme la visioconférence, la dématérialisation, etc. Nous avons même proposé d’autres solutions à la juridiction, mais la Chancellerie n’était pas prête et finalement ces solutions n’ont pas été acceptées.

S.R. : Nous avions la crainte que ce l’on proposait provisoirement soit pérennisé par la Chancellerie. Nous avions peur qu’elle s’impose, notamment au pénal, ce que nous ne soutenons pas. Mais dans l’intérêt du justiciable, cela a bien fonctionné à Pontoise. Globalement, concernant l’adaptation des outils, les avocats se sont retrouvés à l’initiative. Nous qui ne soutenons pas la dématérialisation à outrance, notamment sur le volet pénal, nous avons constaté que les demandes de communication de dossiers étaient simplifiées, ou encore, grâce à Plex, les demandes d’actes auprès du juge d’instruction. Il s’agit là d’une des rares avancées du confinement.

LPA : D’autres sujets ont-ils été plus compliqués à gérer ?

S.R. : Pendant le confinement, on nous encourageait à faire des dépôts de dossiers, notamment à la cour d’appel, avec la garantie que le dossier déposé serait audiencé rapidement. En revanche, si nous souhaitions plaider, les dossiers étaient traités un an plus tard. Nous avons ainsi, le plus souvent, accepté le provisoire.

LPA : Comment est-ce, de plaider avec le masque ?

S.R. : C’est affreux ! Dans certains cas, les avocats ont le droit de plaider sans masques, selon la taille des salles d’audience, et avec l’obligation de se tenir loin, et parfois derrière un plexiglas. Mais lors des procédures aux prud’hommes ou au pénal, là où les plaidoiries sont particulièrement importantes, c’est pénible. Et je dis cela alors que je suis jeune et en forme. Tout dépend des magistrats et des procureurs, mais cela se fait en bonne intelligence et nous n’avons aucun incident à regretter.

LPA : Comment voyez-vous l’avenir de votre barreau ?

S.R. : La crise du Covid-19 nous a inquiétés et nous avons été très angoissés lors des derniers mois. On reste prudents, mais on aime la robe. Et le fait d’exercer en libéral nous influence : nous n’avons pas d’autre choix que d’aller de l’avant. Il me semblerait inenvisageable de faire un autre métier. Nous sommes une profession un peu guerrière, nous nous adaptons face aux difficultés.

E.H. : Que l’on soit une grosse ou une petite structure, nous ne connaissons jamais la tranquillité financière à vie. Il y a des années fastes et dans ce cas, nous pouvons embaucher, mais quand ça marche moins bien, nous devons continuer de payer nos collaborateurs. Personnellement, du 11 mars au 11 mai derniers, mon cabinet n’a pas du tout fonctionné, je n’ai pas pu avoir de nouveaux clients, mais les charges restent et les collaborateurs sont payés. C’est normal mais c’est dur. Nous sommes rassurés partiellement par la reprise de l’activité.

LPA : Comment renforcer votre présence hors des affaires purement judiciaires ?

S.R. : Nous avions passé des partenariats avec des bassins d’activités dans le Val-d’Oise, puis ils ont été un peu laissés en déshérence. Notre barreau est plutôt judiciaire, mais parfois, il est trop axé sur les difficultés des chefs d’entreprise côté droit des affaires. Notre volonté est donc d’élargir les domaines pour que tout le barreau puisse participer, et pas uniquement sur les questions de droit des affaires ou de fiscalité. Nous voudrions mettre en place des consultations pour le droit des affaires, mais aussi le droit de la famille, pour une clientèle proche des avocats, que l’on peut rencontrer facilement sur des questions comme un divorce, un licenciement ou un contentieux pénal.

LPA : La mise en place de ce fonds impacte-t-elle la stabilité financière de l’ordre ?

E.H. : Concernant les montants des cotisations ordinales, nous faisons bien attention à ce que ce que l’on donne ne se traduise pas par une hausse des charges sachant que l’ordre doit aider les avocats dans leur exercice quotidien.

S.R. : Nous sommes très rigoureux sur nos finances : pour le moment, peu d’argent a été dépensé, sinon il faudrait augmenter ou créer de nouvelles cotisations, ce qui n’est pas notre souhait pour les prochaines années.

La confraternité de notre profession a vraiment un sens. Nous n’aidons pas d’un côté pour « reprendre » de l’autre.

LPA : Avez-vous eu à refuser des dossiers ?

S.R. : Cela a dû arriver une ou deux fois, pour des raisons structurelles, non liées au Covid-19. Ce prêt a réellement été mis en place pour les aider à surmonter la crise et non à se sortir d’une structure à l’agonie depuis longtemps. Ces choix ont été difficiles, mais même en cas de refus, cela ne veut pas dire que nous n’avons pas tendu la main autrement.

LPA : Comment, justement ?

E.H. : Nous comptons une commission prévention des difficultés, qui vise à aider les confrères, à négocier les échéances avec les impôts ou avec l’Urssaf, à les accompagner dans leur comptabilité, afin d’éviter les liquidations judiciaires… Il est hors de question d’abandonner un confrère en difficulté !

Ils n’ont donc pas connu de refus net, comme pourrait le faire une banque. La commission sociale peut aider à les orienter pour mieux réaliser leur comptabilité ou à faire un état des lieux. C’est aussi, finalement, une façon de repérer les confrères en difficultés.

 

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