« La juridiction du Val-de-Marne redevient attractive »
Soucieux de redorer l’image de sa juridiction, Stéphane Noël le répète à qui veut bien l’entendre : « Le TGI de Créteil fonctionne mieux ! ». Lorsqu’il a pris ses fonctions en décembre 2015, le tribunal partait à vau-l’eau : magistrats en sous-effectifs, délais de jugement exponentiels et ras-le-bol généralisé mettaient le personnel en état d’épuisement et inspiraient à la presse nombre de reportages misérabilistes. Presque deux ans plus tard, le très dynamique président du TGI assure qu’il a redressé la barre. Pour les Petites Affiches, il revient sur les combats menés et donne des pistes de réformes à explorer pour rendre une justice plus rapide et plus efficace.
Les Petites Affiches – Quelle était la situation du TGI de Créteil en décembre 2015 ?
Stéphane Noël – Lorsque j’ai pris mes fonctions au TGI de Créteil, la juridiction était dans une situation difficile. Il manquait 20 % de l’effectif. On payait les décisions politiques prises entre 2007 et 2012, et notamment la réduction drastique des recrutements de magistrats. Il fallait, en plus, porter un certain nombre de réformes. Les collègues étaient épuisés, démotivés, ne voyaient pas de perspective. Lorsque le nouvel exécutif est arrivé au pouvoir en 2012, il a cherché à enrayer ce qui avait été fait par le gouvernement précédent. Mais il faut 31 mois pour former un magistrat… il y a donc eu un effet ciseaux, difficile à supporter sur plusieurs années. La situation en termes de ressources humaines était très tendue. Nous n’avons cependant supprimé aucune audience, mais beaucoup étaient renvoyées, et les délais de jugement étaient devenus très problématiques.
LPA – Et aujourd’hui ?
S. N. – En cette rentrée 2017, nous avons un seul poste vacant sur 92. Il nous manque encore 10 agents de catégorie C mais 9 doivent bientôt arriver pour combler ces postes. La situation est donc incontestablement meilleure ! En janvier 2018, nous serons peut-être au complet ! Par voie de conséquence, l’ambiance est bien meilleure, le personnel plus détendu. En revanche, il reste difficile de s’inscrire dans la durée. Les magistrats sont mobiles, ce qui est une bonne chose, mais nous avons à gérer des départs et des arrivées de magistrats deux à trois fois par an, particulièrement à l’instruction où nous avons un fort turn over. Il faut être conscient qu’un juge d’instruction qui arrive à Créteil va avoir besoin d’environ neuf mois pour prendre ses marques, prendre connaissance du cabinet, de ses dossiers, des services avec lesquels il va travailler. Gérer cette mobilité pour un chef de juridiction n’est donc pas chose facile.
LPA – Comment avez-vous procédé pour redresser la barre ?
S. N. – J’ai été dans une démarche d’écoute vis-à-vis de tout le monde. J’ai beaucoup discuté en interne. Aujourd’hui encore, il ne se passe pas une journée sans que j’appelle la procureure ou la directrice de greffe. Ensuite, je me suis battu un peu égoïstement pour que les effectifs augmentent à Créteil ! C’est la responsabilité d’un chef de juridiction de faire porter la voix de son équipe. C’est un peu à celui qui crie le plus fort ! Il faut avoir une action visible et savoir ce que l’on veut, dialoguer constamment avec la première présidente de la cour d’appel et les représentants de la Chancellerie. Lorsqu’on est à ce poste, j’estime qu’on ne peut pas se contenter de subir les choses. Ce n’est de toute manière pas dans mon tempérament. Enfin, un certain nombre de problèmes ont pu être résolus en repensant l’organisation. Dans une juridiction comme celle-ci, c’est un travail très minutieux, presque du point de croix ! Il faut à la fois de la ressource et une organisation très fine pour qu’un TGI comme celui-ci fonctionne.
LPA – Quelles ont été vos priorités ?
S. N. – Dans une juridiction comme celle-ci, il faut nécessairement faire des choix. Tous les services sont importants, mais j’ai toujours considéré que le pénal et la famille devaient être une priorité, car ces deux domaines ont un impact énorme sur la vie de nos concitoyens. Nous sommes dans le Val-de-Marne, dans un département où la délinquance est importante et massive, où il faut juger de gros dossiers. Nous savons bien qu’une dégradation de la réponse pénale entraîne une dégradation du tissu social. Nous avons donc commencé par réorganiser le pôle correctionnel. Nous avons revu l’organisation des salles pour pouvoir maintenir les audiences correctionnelles même lorsque des audiences spéciales venaient s’ajouter au calendrier. Nous avons mis en place un service de comparutions immédiates tenu par deux magistrats dédiés, spécialisés dans cette matière et volontaires pour tenir ces audiences particulières. La procureure propose désormais de développer les comparutions immédiates pour certaines affaires de stupéfiants, afin de réduire l’activité des juges d’instruction.
LPA – Et en ce qui concerne la famille ?
S. N. – Nous avons actuellement des délais de premier rendez-vous compris entre 6 et 9 mois, si l’on excepte les affaires urgentes, avec des faits de violence, qui sont traitées dans la semaine. Ce délai demeure trop élevé : les gens attendent une décision rapide pour pouvoir organiser leur vie quotidienne. Pour fluidifier le service, nous avons développé la médiation. Tous les jours, les familles peuvent rencontrer un médiateur à l’accueil du service des affaires familiales. À mon sens, la médiation doit prendre plus de place dans le contentieux familial, par exemple dans les procédures de référés ou dans les successions de régimes matrimoniaux. Il serait intéressant de réfléchir également à une procédure collaborative ou participative, qui changerait considérablement la fonction de l’avocat.
LPA – En quoi consisterait cette procédure collaborative ?
S. N. – Actuellement, l’avocat est le porte-parole de son client. Dans le cadre d’une procédure collaborative, l’avocat construirait avec son confrère défendant la partie adverse un projet de résolution du litige, que les deux parties présenteraient ensuite au juge. Dans le cas où les deux parties seraient parvenues à tomber d’accord sur tous les points, il suffirait de faire homologuer cet accord par un juge. Sinon, le juge interviendrait pour trancher les points restés litigieux. Dans les faits, cela se passe parfois déjà comme cela : il est courant que les avocats arrivent à l’audience en disant au juge qu’ils se sont mis d’accord sur un certain nombre de points. Il faut renforcer cette dynamique. Je trouve personnellement un peu étonnant que l’on demande à des magistrats, formés pendant 31 mois à l’ENM, de statuer sur des questions de pension alimentaire. Pour ce genre de questions, on doit pouvoir passer par la médiation ou par une procédure collaborative.
LPA – Qu’en est-il du service de l’aide juridictionnelle qui était dans un état très critique ?
S. N. – Nous avons en peu de temps amélioré le bureau d’aide juridictionnelle. Lorsque je suis arrivé, il y avait 5 000 procédures en attente. Moins de deux ans plus tard, il n’y a plus de stock, et le traitement des demandes est compris entre 4 et 6 semaines, ce qui est très raisonnable. Pour remettre le service à flot, nous avons tout d’abord procédé à un état des lieux de son organisation et analysé les méthodes de travail. Nous avons réalisé qu’il y avait une grande déperdition d’énergie. Par exemple, un agent regardait le dossier, et commençait donc à l’instruire, puis le mettait de côté pour qu’il soit traité plus tard. Les bureaux étaient aussi trop accessibles, il n’y avait pas de permanence téléphonique. Les gens passaient et dérangeaient sans cesse le travail du greffe. Avec les avocats, nous avons donc amélioré la réception du public dans les accueils. Nous les avons également enjoints de présenter des dossiers complets pour ne pas perdre de temps à leur demander les pièces manquantes.
LPA – On se souvient pourtant de l’action menée par les juges d’instruction au printemps dernier, pour déplorer les manques de moyens…
S. N. – Les juges d’instruction ont vivement réagi suite au départ précipité d’un confrère qui n’a pas été immédiatement remplacé. Un juge du service, particulièrement, a même menacé de remettre des gens en liberté, ce qui en termes de responsabilité est très fort et pose question. La machine médiatique s’est ensuite emballée, on a donné beaucoup de résonance à cette parole syndicale. Je peux comprendre l’inquiétude des magistrats mais la situation a vite été corrigée puisque, dès le mois de septembre, un juge a été nommé à ce poste. J’estime donc que cette réaction a été un peu disproportionnée.
LPA – Vous avez aussi l’aide de juristes assistants. Quelle est leur fonction ?
S. N. – Depuis un an, des juristes assistants travaillent avec les magistrats, sur le départage prud’homal, le contentieux de l’exécution et celui des baux commerciaux. Ce sont des juristes confirmés, titulaires d’un Master 2, qui ont déjà une expérience professionnelle. Ils font des notes de synthèse, rédigent des projets de décision sous contrôle du juge. C’est une avancée intéressante, et leur présence est aujourd’hui très bien acceptée par les magistrats professionnels.
LPA – Vous dites mener un vrai travail d’équipe. Comment rendez-vous ce travail collectif ?
S. N. – En arrivant, j’ai été frappé de voir à quel point les juges ressentaient le besoin d’être informés. Je réunis environ une fois par mois les chefs de service, à qui je demande d’être porteurs d’idées et d’analyses quant au fonctionnement de leur service. Je reçois également régulièrement les organisations syndicales et le CHSCT. Je suis très transparent avec tous sur les enjeux. Il est important que les gens aient le sentiment d’être associés au projet directionnel. Nous avons entamé une phase importante de travaux et je veille à organiser régulièrement des réunions ouvertes à tous, y compris au barreau, aux personnes du dépôt et à l’ensemble des professionnels amenés à fréquenter le palais de justice de Créteil.
LPA – Tout est donc rentré dans l’ordre aujourd’hui ?
S. N. – La situation est incontestablement meilleure mais il y a bien évidemment encore des choses à améliorer. Sur le plan matériel, le réseau informatique pourrait être plus moderne et opérationnel. Quant aux ressources humaines, il faudrait revoir l’effectif théorique à la hausse, mais cela dépend du ministère, pas de moi. Sur certaines parties du territoire, les besoins sont plus importants qu’ailleurs, et c’est le cas dans la juridiction du Val-de-Marne, qui, d’une part abrite des pôles d’activités importants, comme Orly et Rungis, et d’autre part doit faire face à une délinquance massive. Les projections en termes d’effectifs doivent être évaluées par rapport à la croissance démographique, aux spécificités du département. On peut à juste titre estimer qu’il faut accompagner l’évolution démographique et socio-économique du département et augmenter l’effectif, pour renforcer, en priorité, le pénal, l’instruction, et les affaires familiales.
LPA – Dans quelle mesure faudrait-il augmenter les effectifs ?
S. N. – De manière macro, on estime qu’il faudrait un juge supplémentaire par an pour compenser l’évolution démographique. C’est d’ailleurs ce que fait le ministère quand il le peut. Quand on observe l’évolution des effectifs sur de longues périodes, on voit que le rattrapage des effectifs se fait par à-coups. Lorsque je suis arrivé, nous avions à Créteil 4 juges des libertés et de la détention, nous en avons désormais 5. De même, nous avions 9 juges de l’application des peines et en avons désormais 10. On peut en déduire que la parole et l’analyse de Créteil ont été écoutées.
LPA – Quel est votre objectif pour la juridiction ?
S. N. – Je souhaiterais que Créteil bénéficie d’une nouvelle image. Pour cela, il faut que nous ayons les moyens de bien travailler, en termes d’effectifs, mais aussi de ressource immobilière et informatique. La manière d’envisager Créteil change peu à peu. Alors que j’étais en poste depuis neuf mois, de très bons collègues, parmi les meilleurs magistrats parisiens, m’ont appelé pour me faire part de leur souhait de venir travailler à Créteil. Je constate avec une grande satisfaction que la juridiction redevient dynamique.