« L’ACE est aujourd’hui le syndicat de tous les avocats »

Publié le 15/11/2018

Avocate en droit des sociétés au barreau de Marseille, Delphine Gallin est la nouvelle présidente de l’ACE depuis le dernier congrès du syndicat qui se tenait à Antibes les 27 et 28 septembre derniers. Une élection qui vient consacrer un long cheminement au côté de l’ACE. Rencontre avec une femme engagée, bien décidée à œuvrer pour libéraliser la profession d’avocat.

Les Petites Affiches

Comment avez-vous découvert l’ACE ?

Delphine Gallin

J’ai intégré l’ACE très tôt en tant qu’élève-avocate à l’école du barreau de Marseille. Fiscaliste de formation, j’avais alors déjà une pratique orientée vers le droit des affaires. N’étant pas Marseillaise, je ne connaissais pas grand monde en arrivant à l’école. J’ai cherché une structure dans laquelle m’investir et rencontrer des gens. Comme je ne me reconnaissais pas dans l’offre des syndicats classiques, j’ai été voir du côté de l’ACE. J’ai demandé s’il y avait une section jeune à Marseille, on m’a répondu que cela n’existait pas. J’ai donc créé cette section jeune, et je l’ai présidée. J’ai ensuite présidé la section jeune au niveau national. Après cela, j’ai été élue pour représenter l’ACE au Conseil national des barreaux (CNB) pendant deux mandats consécutifs. Je présidais, au CNB, la commission sur le statut de l’avocat. J’ai donc énormément travaillé sur la loi Macron et l’exercice des professions réglementées. À la fin de mon second mandat, en 2017, j’ai été désignée première vice-présidente de l’ACE.

LPA

Qu’est-ce qui vous a plu dans ce syndicat ?

D. G.

Jeune avocate, j’ai assisté à des réunions des trois syndicats d’avocats majoritaires dans la profession : le SAF, l’UJA et l’ACE. Je n’étais pas un avocat judiciaire pur jus, j’ai tout de suite eu envie de développer mon cabinet avec un esprit entrepreneurial. L’ACE aborde depuis toujours le management, l’accompagnement des cabinets. À l’époque, c’était vraiment le seul syndicat à aborder les questions entrepreneuriales auxquelles est confronté l’avocat.

LPA

Vous êtes aussi au conseil de l’ordre de Marseille…

D. G.

Oui, je suis devenue membre du conseil de l’Ordre en janvier 2018. C’est donc une expérience récente. J’ai des fonctions de membre du conseil de l’Ordre classiques : j’assure les permanences déontologiques, et j’ai été chargée par le bâtonnier de concourir à la mise en œuvre du réseau national des incubateurs. Cette expérience au conseil de l’Ordre m’apprend à connaître le quotidien de mes confrères et la vie dans un barreau de province. C’est très différent d’un syndicat, qui réunit des gens ayant a priori des profils un peu similaires. Notre profession est très diverse, avoir un mandat ordinal est une bonne manière de s’en rendre compte.

LPA

D’où vous vient ce besoin d’engagement dans la profession ?

D. G.

C’est dans mon caractère ! Enfant déjà, j’avais besoin de m’engager. J’ai fait partie d’associations d’élèves au collège et au lycée, puis à l’université. Je me suis toujours épanouie dans le collectif. Dès que j’arrivais dans un établissement ou une profession, c’était pour moi un réflexe de chercher à rejoindre un mouvement commun, un corpus associatif qui me convienne. Je suis d’ailleurs engagée également hors de la profession. J’ai ainsi eu l’occasion de m’investir dans la fondation d’AG2R La Mondiale, qui œuvre pour la réinsertion et le retour à l’emploi. J’étais membre de la commission de sélection des projets à soutenir. J’ai aidé des associations à monter leur dossier pour pouvoir prétendre à leurs financements. Actuellement, je suis également investie dans un programme de prévention du VIH au Cambodge, qui est très loin de mon domaine d’activité et de mon quotidien. Je travaille avec des épidémiologistes, j’interviens sur le droit des victimes et le droit des patients dans la prévention.

LPA

À l’ACE, quelles vont être vos priorités ?

D. G.

La première mission que l’on attend d’un président d’association, c’est de communiquer. Mon rôle va donc être de faire connaître l’ACE, et de faire de la pédagogie sur ce qu’elle est devenue. C’est un syndicat qui a beaucoup évolué dans les dix dernières années. Historiquement, c’est une structure liée au conseil juridique. L’ACE est restée centrée sur le conseil en droit des affaires, mais a néanmoins opéré un mouvement d’ouverture bien au-delà des barreaux d’affaires. Nous avons aujourd’hui 26 commissions extrêmement performantes dans des domaines aussi variés que le droit de la famille, le droit pénal, la procédure civile. Il faut le faire savoir aux confrères, et leur dire que si l’ACE a autrefois été le syndicat des conseils, c’est maintenant le syndicat de tous les avocats. Ma deuxième priorité sera de travailler sur l’accès à la formation. Nous avons, à l’ACE, une plate-forme de formation très importante, avec une à deux formations par jour en France. Nous abordons quotidiennement des thèmes comme les soft skills ou la gestion de carrière. Nous voulons désormais dématérialiser cette offre pour pouvoir la proposer aux confrères, où qu’ils se trouvent. Enfin, nous voulons être le syndicat de référence pour accompagner le renouveau de la profession d’avocat, en pleine mutation.

LPA

Comment voyez-vous l’évolution de la profession ?

D. G.

Nous sommes un syndicat libéral et prospectif, et voulons œuvrer pour une profession moderne. Je fais partie des personnes qui pensent que les lois Macron ont été une chance. Or pour la majorité des confrères, c’est au mieux exaltant, au pire angoissant, et en tout cas facteur d’inquiétudes. Beaucoup d’avocats sont perdus. Nous voulons les accompagner. Nous voulons rendre effective l’interprofessionalisation dessinée par la loi Macron. Notre profession est de plus en plus mobile, et les passerelles sont nombreuses entre le barreau et l’entreprise. Il faut tenir compte de la carrière des jeunes avocats, qui sont très nombreux à rejoindre le monde de l’entreprise dans leurs premières années d’activité. Nous devons répondre à cela. Nous souhaitons que la majorité des avocats comprennent les opportunités crées par les réformes, au lieu de les voir comme des contraintes. Toutes les études disent que le marché du droit n’a jamais été aussi en forme, il faut s’en réjouir !

LPA

Que fait l’ACE pour encourager l’interprofesionalité ?

D. G.

On souhaite vraiment être acteurs de cette interprofessionalisation. Denis Raynal, mon prédécesseur à la tête de l’ACE, nous a déjà rapproché des syndicats de notaires. Nous croyons que le changement, à court ou moyen terme, c’est la grande profession du droit. Tous les outils existent pour créer cette interprofessionnalité. On peut avoir une société qui exerce à la fois l’activité d’avocat et celle de notaire. Et pourtant, dans les faits, c’est compliqué. Les notaires qui se lancent dans ce type d’activité rencontrent tous types de résistances. C’est pour moi le rôle d’un syndicat de faire en sorte de soutenir ces projets et de faire céder ces réticences et ces barrières qui n’ont plus lieu d’être. On est d’ailleurs en train d’organiser un colloque avec les notaires, les experts-comptables, les huissiers, sur ces questions d’interprofessionnalité. Nous ne sommes pas tous obligés d’exercer en structure interprofessionelle mais ceux qui le souhaitent doivent pouvoir le faire !

LPA

Défendez-vous toujours le statut de juriste d’entreprise inscrit au barreau ?

D. G.

Oui, bien sûr ! Les entreprises expriment de manière récurrente le besoin de sécuriser les échanges de leur service juridique en les rendant confidentiels. Il est important que notre profession s’interroge sur ce besoin et y apporte des réponses en concertation avec les juristes d’entreprises. La proposition faite par l’ACE de créer un juriste d’entreprise inscrit au barreau permettrait au juriste d’entreprise d’avoir des échanges confidentiels au même titre que les avocats qui bénéficient du secret professionnel. C’est la seule proposition concrète qui a été faite à ce jour pour répondre à cette demande des entreprises. Notre volonté était de proposer un statut intermédiaire, qui puisse mettre tout le monde d’accord. À ce jour, la question n’est pas réglée, mais si on nous interroge sur ces questions, nous sommes toujours là et prêts à défendre notre ligne.

LPA

Vous êtes la première femme à présider l’ACE. Quel sens cela a-t-il pour vous ?

D. G.

Cela veut peut-être dire que l’ACE a atteint l’âge de la maturité ! Nous fêtons nos vingt-six ans d’existence, tout comme le CNB, qui est également présidé par une femme pour la première fois. Les instances évoluent. Je vous disais tout à l’heure que l’ACE avait su évoluer et se renouveler ces dernières années. Élire une femme en est une nouvelle démonstration.