Paris (75)

Le barreau de Paris engagé pour faire respecter l’égalité entre les genres

Publié le 03/05/2023

Le 8 mars dernier, le barreau de Paris organisait un événement à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, à la Maison du barreau. Julie Couturier, bâtonnière de Paris, revient pour Actu-Juridique sur les temps forts de cette édition mais également sur les enjeux liés au droit pour mieux protéger les femmes et davantage faire respecter l’égalité entre les genres. Une journée conclue par l’intervention du prix Nobel de la paix 2003, Shirin Ebadi.

Actu-Juridique : Pourquoi le barreau de Paris se positionnait-il sur l’égalité entre les genres le 8 mars dernier ?

Julie Couturier : Évidemment, on peut s’interroger sur la nécessité de s’intéresser aux droits des femmes 365 jours par an plutôt que de se concentrer sur la question à l’occasion de la journée du 8 mars… Mais cela reste une opportunité de mettre en lumière les difficultés que rencontrent les droits des femmes et leurs atteintes partout dans le monde. Il est notable que, lorsque des États traversent des crises, ce sont toujours les droits des femmes qui sont attaqués en premier. L’accent sur le prisme international a permis d’évoquer la situation en Iran ou en Afghanistan.

AJ : En termes de droit, il est de coutume de dire que ceux des femmes ne sont jamais acquis…

Julie Couturier : En cette matière, non, rien n’est jamais acquis. Seulement, il y a des États dans lesquels cette remise en question ne nous surprend pas, et d’autres dans lesquels cela est plus surprenant. Je pense à la Pologne, aux États-Unis : des États « occidentaux » où le droit à l’avortement, que l’on pensait acquis, est remis en question. Cela nous a poussé, par exemple, à nous positionner vivement après l’abrogation de l’arrêt Roe v. Wade (qui garantissait le droit fédéral à l’avortement aux États-Unis, Ndlr) ou à appeler pour la constitutionnalisation de l’avortement en France. Mais une chose est certaine : tous les pays sont concernés.

AJ : Pourquoi ces droits sont-ils particulièrement fragiles ?

Julie Couturier : Ce sont des avancées relativement récentes à l’échelle de l’histoire. À ce titre, la magistrate Gwenola Joly-Coz, première présidente de la cour d’appel de Poitiers, a replacé dans une perspective historique l’arrivée des femmes dans la magistrature en France. La première Française est devenue magistrate seulement en 1946, ce qui semble complètement incroyable ! C’est un raisonnement que l’on peut dupliquer au-delà du champ de la magistrature. Les droits des femmes, dont une partie repose sur le droit à disposer de son corps, sont récents, et donc plus fragiles. Peut-être est-ce la raison pour laquelle ils sont plus facilement menacés.

AJ : La profession d’avocat s’est considérablement féminisée, mais pour autant il reste des inégalités. Comment se positionne le barreau ? Que faire pour que la situation des avocates s’améliore encore ?

Julie Couturier : La première chose est de proposer un traitement contre la pathologie, c’est-à-dire les comportements discriminatoires et le harcèlement. À ce titre, nous avons renforcé notre Commission harcèlement et discrimination (Comhadis), en communiquant davantage sur son existence, afin de mieux la faire connaître et de faire en sorte que sa saisie, en cas de problème, soit systématique pour les plaignantes, qu’elles soient avocates ou stagiaires.

Ensuite, notre arme consiste en une politique disciplinaire claire sur la question : avec le vice-bâtonnier Me Vincent Nioré, nous sommes en faveur d’une tolérance zéro. Ce que nous avons souvent entendu comme reproche concernant un certain entre soi entre avocats n’est plus à l’ordre du jour. Nous nous inscrivons dans les pas de nos prédécesseurs pour faire cesser ce sentiment d’impunité, le but n’étant pas de faire des procès pour l’exemple et de se lancer dans des dénonciations aveugles mais de conserver notre objectivité en tant que juristes, en défendant les principes de la présomption d’innocence et du contradictoire. Mais nous sommes pour une justice ordinale qui s’exerce le mieux possible afin de faire en sorte que les jeunes avocats et avocates n’aient plus peur de représailles ou d’être « grillés » dans la profession.

AJ : La nouvelle génération est-elle plus sensible à ces questions d’égalité ?

Julie Couturier : Les mentalités évoluent mais cela s’inscrit dans un mouvement plus général de changement de rapport au monde du travail. De nos jours, les cabinets ont du mal à trouver des collaborateurs, alors qu’avant, l’inverse se produisait, de sorte que c’est aux cabinets de faire des efforts, d’offrir une meilleure conciliation entre la vie professionnelle et la vie personnelle de leurs collaborateurs et collaboratrices, avec des standards d’exigence qui leur offrent de réelles perspectives d’évolution. Je pense que l’égalité entre femmes et hommes peut désormais constituer un élément de « séduction » pour recruter les meilleures candidats et candidates.

AJ : Comment le droit peut-il être rendu encore plus efficient quand on parle des violences faites aux femmes ?

Julie Couturier : Je ne pense pas que ce soit au droit d’évoluer, mais aux institutions de s’adapter. Je reste attachée à la présomption d’innocence, au contradictoire et à la preuve. Il ne faut pas, au nom de la nécessité de mieux protéger les victimes, inverser la tendance. Mais toute la chaîne pénale – policiers, magistrats, avocats – doit être mieux formée à ces questions. La réalité sociétale va plus vite que les évolutions de nos institutions. Ces dernières doivent progresser sur la formation, par exemple sur la manière dont les plaintes sont reçues et celle dont les magistrats ou les avocats traitent les affaires de violences. On entend à tort et à travers des avocats « spécialistes » des violences sexistes et sexuelles, ou des violences intrafamiliales prendre la parole, mais je rappelle qu’il n’existe pas de spécialisation, seulement des formations sur le sujet. Attention donc aux avocats auto-proclamés spécialistes de ces violences, au risque de recevoir un signalement de la part de clients mécontents du traitement de leur dossier.

AJ : Dans quelle mesure les avocates travaillent davantage sur les questions de violences intrafamiliales ?

Julie Couturier : Nous n’avons pas d’outil de mesure, puisqu’il n’existe pas d’avocats spécialistes. Je ne suis pas certaine qu’il faille considérer que les femmes défendent mieux les femmes. C’est une question de compétences, de qualités, d’empathie, mais on ne peut pas envisager une forme de discrimination basée sur le genre des avocats. En revanche, on peut signaler que si la profession d’avocat et la magistrature se sont fortement féminisées, les postes à responsabilité ne sont pas encore exercés par des femmes.

AJ : Comment faire en sorte de briser ce plafond de verre ?

Julie Couturier : En travaillant sur les questions d’égalité dans les cabinets. Par exemple, pour les collaborateurs, comment envisager un exercice plus effectif du congé paternité, qui constitue un vrai levier vers plus d’égalité ? Sur la question de la garde des enfants, nous sommes en train de mener des chantiers de réflexion. En effet, le statut de salarié permet de bénéficier de leviers fiscaux qui rendent possible une déduction des frais de garde d’enfants, mais ce n’est pas le cas pour les libéraux. Les cabinets doivent faire davantage d’efforts pour que leurs collaborateurs et collaboratrices y trouvent un meilleur épanouissement.

Nous venons par exemple de renégocier notre contrat de prévoyance, instaurant une prime qui n’existait pas encore pour les avocates installées ou associées en cas de congé maternité. Jusqu’à présent, rien n’existait pour elles, contrairement aux collaboratrices qui bénéficient de la rétrocession de leurs honoraires versés par leur cabinet, permettant une prise en charge partielle de leur congé maternité.

AJ : Est-ce important aussi de discuter avec des avocats étrangers, afin de s’inspirer de bonnes pratiques ou d’initiatives ?

Julie Couturier : Le 8 mars dernier, nous avons eu le plaisir de recevoir deux défenseuses des droits humains, lauréates de l’initiative Marianne (lancée en 2021 par Emmanuel Macron, Ndlr), l’une Asma Darwish venant du Bahreïn, l’autre Estelle Ewoule Lobé, du Cameroun, qui ont pu raconter leur combat. Ce fut passionnant de recueillir leur témoignage. En revanche, nous sommes en contact avec des barreaux d’autres pays, par exemple des barreaux anglo-saxons très en avance sur les questions de diversités.

AJ : Que dire de la présence de Victoire Tuaillon, journaliste à l’origine du podcast féministe « Les Couilles sur la table », comme modératrice ?

Julie Couturier : Notre événement n’était pas une tribune politique, mais sa présence permettait d’avoir une voix jeune et très concernée, une voix un peu moins institutionnelle que d’habitude. Sur des droits des femmes, c’était bien d’avoir un peu de piquant. Il est très encourageant de constater que les jeunes avocates se sentent très concernées par les questions des droits des femmes, font preuve d’une grande prise de conscience et d’un engagement sans faille sur la question de l’égalité.

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