Paris (75)

Le barreau de Paris veut mieux contrôler les contrats de collaboration

Publié le 05/07/2023

Le 17 janvier 2023, le barreau de Paris a voté la mise en œuvre d’un contrôle des contrats de collaboration par l’envoi d’un questionnaire aux 13 564 collaborateurs parisiens. Ce système d’autoévaluation permet de mieux comprendre les conditions d’exercice des avocats-collaborateurs, et in fine de prévenir le mal-être au travail. Les données analysées par le Conseil de l’ordre ont révélé des résultats positifs pour les avocats-collaborateurs, contrairement aux idées reçues. Analyse de ces résultats avec Me Carole Painblanc, avocate et secrétaire de la commission collaboration au Conseil de l’ordre.

Actu-juridique : Comment est née cette initiative ?

Carole Painblanc : Depuis 2020, le CNB a initié une obligation de contrôle a posteriori, déclinable par chaque barreau pour en définir les modalités. Au barreau de Paris, la commission collaboration, dont je suis secrétaire, a élaboré ce questionnaire que nous avons fait voter par le Conseil de l’ordre le 17 janvier 2023. Nous pensions que seuls les collaborateurs mécontents allaient participer, mais nous avons eu la bonne surprise de constater que ce n’était pas le cas. Parmi les réponses, nous avons aussi collecté pas mal d’informations positives.

AJ : Cela a-t-il constitué un travail considérable ?

Carole Painblanc : Même si le travail avait été fait en amont, cela a constitué un gros effort, compte tenu du volume de collaborateurs à contacter. C’est la direction des services informatiques qui a permis l’envoi ciblé du questionnaire, uniquement aux collaborateurs, ce qui nous fait dire que les collaborants ont moins pu influencer les collaborateurs. Cela a conféré toute liberté aux collaborateurs de répondre sans contraintes. Les participants ont pu répondre directement en ligne. À la fin, nous avons eu un énorme fichier Excel à gérer, puisque 915 personnes ont répondu.

AJ : Cela correspond à un taux de réponse de 6,75 %, ce qui est supérieur aux taux habituels. Comment expliquez-vous un tel enthousiasme ?

Carole Painblanc : Oui, en effet, c’est un bon taux de réponse. Je pense que cela s’inscrit dans la continuité des Chantiers de la collaboration qui avaient été organisés en septembre 2022 par le barreau de Paris, un temps de rencontres où l’on a pu parler librement dans le cadre d’ateliers, avec des restitutions en assemblée plénière, où les cabinets comme les collaborateurs ont pu prendre la parole. Ce format était inédit et a bien fonctionné. Je crois que le succès de ce questionnaire est la preuve que les collaborateurs ont compris que nos efforts n’étaient pas vains. Les Chantiers ont été lancés en septembre, le questionnaire a été envoyé en mars, nous ferons un point d’étape du suivi des propositions qui ont été faites à la suite des Chantiers en octobre prochain. Je crois que les collaborateurs voient que les choses avancent.

AJ : Comment expliquez-vous que les réponses soient négatives mais aussi positives ?

Carole Painblanc : Nous avons eu des débats au sein du Conseil, certains pensaient que nous ne tirerions rien de ce questionnaire. Pourtant, il est nécessaire pour faire un état des lieux de l’exercice de la collaboration. Il faut dire que lorsque nous l’avons envoyé, nous avions précisé qu’il s’agissait autant de recueillir les éventuelles difficultés des collaborateurs que de tirer des enseignements de leurs pratiques.

AJ : 58,53 % des répondants considèrent qu’ils sont libres dans l’organisation de leur travail. Que dire de ce chiffre ?

Carole Painblanc : À mes yeux ce n’est pas assez. Cela montre que beaucoup n’exercent pas réellement dans une collaboration libérale. Ils ont des horaires imposés là où ils devraient ne pas en avoir. Ils devraient, s’ils préviennent, pouvoir s’absenter pour une audience sans poser un congé. Ce chiffre illustre que le poids des horaires est encore là. Pourtant, les études le montrent, à l’instar d’un article rédigé par Anne-Laure Casado : être là pour être là ne sert à rien, c’est la qualité du travail rendu qui compte. La question complémentaire est : leur impose-t-on ces horaires ou ne s’autorisent-ils pas à décider de leurs horaires ? Dans tous les cas, cela traduit une pression directe ou indirecte.

AJ : 75 % déclarent pouvoir faire du télétravail. Est-ce antithétique du chiffre précédent ?

Carole Painblanc : Non, ce chiffre est décorrélé du précédent. Les collaborateurs peuvent avoir des horaires imposés mais pour autant avoir aussi droit à du télétravail. Aujourd’hui, le télétravail est indispensable. Si un cabinet ne l’autorisait pas, il aurait à terme des problèmes pour recruter, car il s’agit d’une vraie attente des collaborateurs. Dans le modèle des contrats de collaboration du barreau de Paris, le télétravail est prévu comme une modalité d’exercice de la collaboration et ce modèle a été voté par le Conseil de l’ordre en fin d’année dernière.

AJ : 86 % des répondants déclarent pouvoir prendre leurs semaines de congés rémunérés. Qu’en dites-vous ?

Carole Painblanc : Cela signifie que les cabinets laissent bien partir leurs collaborateurs en vacances, s’ils le souhaitent. Mais je note que 14 % ne le peuvent pas. Pourtant, nous ne parlons que de 5 semaines par an, ce n’est pas un énorme volume. Ce chiffre nous a interpellés : ces 14 %, ne peuvent-ils pas ou ne veulent-ils pas les prendre ?

AJ : Le questionnaire révèle que 15,44 % des répondants ont été victimes ou témoins de faits de harcèlement. C’est beaucoup…

Carole Painblanc : Dans les 3/4 des cas, il s’agit de cas datant de collaborations antérieures. Nous avons très peu de dénonciations de collaborations actuelles. Comme ce n’est pas anonyme, nous pouvons recouper les informations, savoir dans quel cabinet les collaborateurs ont exercé, constater si certains noms reviennent plusieurs fois… Chaque personne peut être recontactée par la suite. Les collaborateurs en difficulté peuvent saisir la ComHaDis. Et de notre côté, si nous obtenons beaucoup d’informations concordantes, nous pouvons lancer une enquête déontologique. D’ailleurs, que le questionnaire ne soit pas anonyme est déterminant, sinon il s’agirait d’un sondage et non pas d’un contrôle. Force est de constater que nos résultats sont similaires à ceux obtenus l’année dernière lors de l’enquête réalisée par la commission harcèlement et discrimination du barreau de Paris.

AJ : Sur cette question du harcèlement et des discriminations, avez-vous genré les questions ?

Carole Painblanc : Non, nous ne l’avons pas fait, mais nous avons reçu plus de réponses provenant de femmes. Elles parlent d’énorme pression, de dénigrement, de discrimination liée à la maternité. Mais des hommes aussi font état de harcèlement.

AJ : 85,37 % indiquent pouvoir développer leur clientèle personnelle mais seulement 34,50 % considèrent avoir le temps pour le faire…

Carole Painblanc : Les cabinets n’interdisent pas de développer sa propre clientèle, contrairement à ce que l’on pensait, mais la quantité de travail à fournir pour les cabinets ne permet pas aux collaborateurs d’en avoir le temps. En filigrane, on peut aussi se demander si les collaborateurs préfèrent obtenir un bonus plus intéressant en travaillant davantage au sein de leur cabinet.

AJ : 87,64 % s’estiment libres d’exercer leur droit à la formation continue ; 98,65 % reçoivent la rétrocession d’honoraires prévue contractuellement. Qu’en dites-vous ?

Carole Painblanc : Pour la formation continue, cela devrait être 100 % ! Car je rappelle que c’est une obligation déontologique. Et concernant la rétrocession, les 2 % restants pourraient correspondre à des collaborateurs rémunérés davantage, car rémunérer moins que ce qui est prévu dans le contrat de collaboration constitue un manquement déontologique qui pourrait entraîner une démission du collaborateur mais aussi une condamnation par l’ordre. Mais ce qui apparaît positivement, c’est que le tarif de l’ordre n’est quasiment jamais appliqué.

AJ : Enfin, sur l’exercice de la clause de conscience, 85 % se sentent en droit de l’exercer. Cela vous satisfait-il ?

Carole Painblanc : Ce chiffre est bon et nous en avons été un peu surpris, car il signifie que dans 85 % des cas, les collaborateurs se sentent suffisamment libres pour exprimer et expliquer un désaccord sur un dossier. Il traduit une communication assez fluide au sein du cabinet pour mettre en œuvre concrètement cette clause de conscience. Car la clause de conscience, ce n’est pas seulement une simple déclaration mais un échange complet argumenté entre le collaborateur et le collaborant.

AJ : Que vont devenir ces chiffres ?

Carole Painblanc : Nous notons des formulations que nous pourrions améliorer pour les années suivantes, notamment les occurrences « peuvent », qui ne traduisent pas assez clairement ce qui relève de la possibilité ou de l’autocensure. Ce questionnaire sera en effet amené à être envoyé chaque année lors d’une campagne se déroulant entre le 15 mars et le 15 avril.

Une donnée que l’on n’a pas encore serait l’ancienneté, car sur certaines questions – par exemple à quel point les collaborateurs se sentent libres dans leur collaboration – le fait d’être junior ou senior peut influencer le ressenti. Nous allons finir d’analyser plus finement les chiffres, car nous avons pour le moment livré une première analyse globale, là où nous souhaitons aller dans l’individuel. Nous allons faire un premier point d’étape en octobre. Actuellement, nous avons déjà mis en ligne une vidéo sur le site du barreau, et envisageons une communication dans le Bulletin. Ces chiffres peuvent aussi permettre de rencontrer les office manager des plus gros cabinets d’avocats, de les interpeller, de voir où ils en sont, ce qui se passe bien et moins bien.

AJ : De manière globale, les chiffres ne sont pas si mauvais. Or la profession est soumise à un grand turnover. Comment l’expliquer ?

Carole Painblanc : Il faut rester vigilant. Il existe des pratiques vertueuses au sein des collaborations, et d’autres qui le sont moins, et c’est la raison pour laquelle le contrôle doit s’exercer tous les ans. L’ordre doit mieux savoir comment se passe l’exercice de la collaboration, et plus il en aura l’habitude, plus cela permettra que la parole se libère. Je pense que cela peut aussi engendrer une récurrence de l’entretien annuel et donner un coup de pouce à cette pratique.

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