Le barreau du 93 anticipe une augmentation de l’activité pénale pendant les Jeux

Publié le 17/07/2024

Du 26 juillet au 11 août, la Seine-Saint-Denis accueillera l’essentiel des épreuves et des participants des Jeux olympiques. Alors que le département sera sous le feu des projecteurs, la juridiction de Bobigny s’organise. Le barreau également, qui s’apprête à faire face à une augmentation de l’activité pénale. Le point avec Agathe Grenouillet, avocate au barreau de Seine-Saint-Denis.

AJ : Comment le barreau de Seine-Saint-Denis anticipe-t-il les Jeux olympiques ?

Agathe Grenouillet : En temps normal, nous avons 8 coordinateurs pénaux qui interviennent chacun pour un mandat de 6 mois, allant de début février à fin juillet. Une telle organisation aurait impliqué que l’on change d’équipe au milieu des JO, ce qui posait problème pour la continuité de la défense pénale. La commission pénale a donc proposé à Madame le bâtonnier et au conseil de l’ordre une organisation reposant sur 16 coordinateurs nommés pour un an. Leur mission prendra fin en 2025. Cela nous semblait important de nous organiser en vue d’une augmentation de l’activité pénale. La juridiction se prépare en termes d’effectifs et de déferrement. Le tribunal a prévu de transformer pendant la période des Jeux une chambre qui traite habituellement des dossiers qui ont fait l’objet d’une information judiciaire en une troisième chambre de comparution immédiate du 29 juillet au 15 août en plus de la 17e et 18e chambre, si le nombre de déferrements rend cela nécessaire. La majorité du personnel du tribunal de Bobigny s’est engagée à rester présente pendant toute la durée des Jeux. Les 16 coordinateurs pénaux du barreau de Seine-Saint-Denis font de même.

AJ : Avez-vous noté des changements de politique pénale, dans cette période pré-Jeux olympiques ?

Agathe Grenouillet : Le département de Seine-Saint-Denis accueille un grand nombre des épreuves sportives, ainsi que le village olympique et celui des journalistes. Le tribunal judiciaire de Bobigny va à l’évidence être attendu et extrêmement regardé pendant toute la période. Il pâtit de difficultés structurelles qui n’évolueront pas : un dépôt sous-dimensionné, avec un accès compliqué pour les avocats qui veulent accéder à leurs clients. Depuis plusieurs mois, nous observons des déferrements sur des infractions dites « visibles » comme la vente à la sauvette ou le trafic de stup. Elles concernent souvent des personnes qui ont des casiers judiciaires vierges, auteurs de petits délits qui habituellement auraient fait l’objet d’une convocation par un officier de police judiciaire (COPJ). Des personnes ont été déférées pour la vente de quelques paquets de cigarettes avec des procédures à l’issue desquelles le procureur demandait quasi systématiquement des interdictions de territoire de plusieurs années et de lourdes peines d’emprisonnement. Cela ne nous semble pas anodin, car au même moment les politiques annonçaient qu’ils voulaient mettre en avant le territoire pour la durée des Jeux, la « vitrine JO » doit donc être reluisante pour les touristes qui arriveraient.

AJ : Quelle est la mission des 16 coordinateurs du barreau pénal ?

Agathe Grenouillet : Ils devront bien sûr faire face à l’augmentation attendue de l’activité pénale. Ils se sont également donnés pour mission de produire des statistiques sur l’avant, le pendant et l’après Jeux olympiques en termes de nombre de déferrements, d’infractions poursuivies et de peines prononcées. Le parquet du tribunal de Bobigny communique régulièrement sur des chiffres, nous souhaitons disposer des nôtres. Pour ce faire, nous avons établi un questionnaire afin de recenser le type d’infractions poursuivies, le profil des auteurs, s’ils avaient des antécédents ou non, quelles peines avaient été proposées puis prononcées. Nous remplissons tous les jours de permanence ces fiches-là. Ainsi, à la fin de la période des Jeux, nous pourrons exprimer notre point de vue sur ce qui se sera passé pendant cette période sur le plan judiciaire.

Enfin, nous avons mis en place des réunions mensuelles de notre équipe de 16 coordinateurs. Chacun peut parler des pratiques dont il est témoin. Nous réfléchissons à des stratégies de défense, élaborons des modèles de conclusions. Nous avons notamment pu alerter et réfléchir ensemble à une pratique dont nous avons été les témoins, à savoir la rétention sur ordre de la préfecture, hors de tout cadre légal, de personnes libérées par la justice, afin d’être placées en centres de rétention administrative. Certains magistrats ont pu s’insurger comme nous contre ces pratiques, mais nous craignons qu’elles ne s’intensifient dans les jours et semaines à venir. Nous pensons que ce phénomène est également dû à l’approche des JO, qui engendrent une forme de « nettoyage social », qui se traduit au quotidien dans la manière dont sont menées les politiques publiques.

AJ : Pensez-vous que ces changements liés aux Jeux puissent s’inscrire dans la durée ?

Agathe Grenouillet : Cela dépend de ceux dont on parle. Je ne pense pas que le tribunal ait les moyens de faire durer la troisième chambre des comparutions immédiates au-delà de l’été. En termes de politique pénale, en revanche, je crains que ce qui a été initié ces derniers mois ait tendance à perdurer. Les coordinateurs et les équipes de défense pénale quotidiennement présentes au tribunal ne cesseront de rappeler que la justice ne doit pas céder aux sirènes répressives concernant les populations les plus fragiles.

AJ : La politique pénale de Bobigny prendrait donc un virage répressif ?

Agathe Grenouillet : C’est un fantasme de penser que la juridiction de Bobigny serait plus laxiste que les autres. Les magistrats et les avocats qui font le choix d’y exercer sont ancrés dans le réel. Mais à Bobigny comme dans bien d’autres juridictions, une forme de « pression répressive » est ressentie pour répondre à des procès de laxisme intentés à tort.

AJ : Que pensez-vous de cette nouvelle chambre temporairement dédiée aux comparutions immédiates ?

Agathe Grenouillet : Bien que la grande majorité des magistrats présidant les chambres des comparutions immédiates mettent tout en œuvre pour rendre une justice de qualité, il est à mon sens indéniable que la comparution immédiate reste par essence une forme de répression de classes. Ceux qui y comparaissent ont des problématiques sociales et sanitaires, qui souvent se cumulent. Créer une troisième chambre de comparutions immédiates implique de facto une augmentation du nombre d’incarcérations. Cela est d’autant plus problématique que, dans toutes les prisons d’Île-de-France, le taux d’occupation explose. Il atteint plus de 170 % d’occupation à Villepinte. Nous redoutons également, comme lors de certains événements sociaux, une répression accrue avec des peines d’emprisonnement courtes, de 2 mois, pour donner un coup d’arrêt à la délinquance qui pourrait avoir lieu pendant les Jeux. Nous ne l’avons pas observé à ce jour, mais nous avons déjà vu cela lors des mouvements concernant les retraites ou les révoltes qui avaient suivi la mort de Nahel. Nous sommes très vigilants sur ce point, car le caractère désocialisant et inutile des courtes peines n’est plus à démontrer.

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