« Le droit français doit apprendre à s’exporter »

Publié le 01/02/2018

Marc Mossé, vice-président de l’Association française des juristes d’entreprise (AFJE), affiche volontiers sa fierté d’avoir réussi à organiser un Grenelle du Droit en novembre dernier, un événement où les professionnels du droit étaient invités à réfléchir sur les enjeux du métier. L’origine de l’événement remonte à la campagne présidentielle, lorsque l’AFJE envoie un questionnaire à tous les candidats abordant les questions d’attractivité du droit français, de formation, de réforme de la justice, etc. Pour Marc Mossé, Emmanuel Macron semble avoir été sur la même ligne que l’association sur de nombreux points. C’est donc à la Maison de la Mutualité que ce Grenelle a été lancé — en attendant sans doute une seconde édition au vu du succès de la première. Marc Mossé, qui possède également la casquette d’avocat, et qui fut attaché parlementaire de Robert Badinter, exerce actuellement chez Microsoft EMEA, où il est en charge des affaires gouvernementales et conseiller général associé. Il s’intéresse particulièrement aux nouvelles technologies et à la cybersécurité.

Les Petites Affiches

Quel bilan dressez-vous de l’organisation du Grenelle du Droit ?

Marc Mossé

Sans langue de bois, ce fut un vrai succès ! Nous l’avons mesuré au succès public, puisque plus de mille personnes se sont inscrites et sont restées du matin jusqu’au soir, lors des plénières et des ateliers, alors que la journée était très intense. Ce fut aussi un succès au vu des différentes professions présentes, juristes, avocats, notaires mais aussi une forte présence de l’Université : le pari qui était celui d’une implication de tous est remporté. Ce qui a frappé tout le monde était l’énergie dégagée et l’envie de travailler ensemble. Dernier élément : l’annonce du lancement par Stéphanie Fougou d’un do tank « Tous Droit Devant », avec des fondateurs très emblématiques du monde du droit, afin de mieux aborder les nouveaux challenges. Il existe une volonté profonde des professionnels du droit de faire évoluer les choses. À nous de construire cette transformation au-delà de certaines tentations conservatrices.

LPA

Vous parlez beaucoup de la compétitivité du droit français. Comment l’améliorer ?

M.M.

Le droit français est de grande qualité, très réputé. Mais il doit savoir s’exporter dans une économie mondialisée. L’enjeu, est-il d’avoir d’un côté le droit continental versus la common law, ou bien d’envisager une forme d’hybridation des systèmes juridiques ? Dans ce cas, comment notre droit peut-il trouver sa place et influencer cette hybridation ? La confidentialité des avis des juristes d’entreprise et l’internationalisation de certaines de nos juridictions y contribueront. Cette influence passe aussi par un travail autour d’une grande profession du droit. D’où l’importance de la formation initiale comme continue. Les juristes doivent non seulement être formés aux matières juridiques, comme aux langues étrangères, essentiel, ou encore aux soft skills (communication, management, conduite de projet multi parties prenantes…) afin qu’ils deviennent de vrais ambassadeurs de notre droit.

LPA

Le rôle des juristes d’entreprise s’adapte aux modifications inhérentes au monde de l’entreprise. Comment évolue la profession ?

M.M.

Entre 2010 et 2017, on voit que le nombre de juristes pour les entreprises de plus de 100 employés, a augmenté de 7 % (contre 2,4 % au niveau des autres emplois) ; soit aujourd’hui plus de 17 000. On peut imaginer que c’est même davantage, car les entreprises de moins de 100 employés se dotent souvent aussi de juristes d’entreprise. Cette donnée se double avec un rattachement de plus en plus fréquent des juristes aux directions générales : ils sont donc considérés comme exerçant une fonction cruciale dans l’entreprise, car le droit est un facteur important dans l’économie. La globalisation exige que la fonction stratégique du juriste d’entreprise soit renforcée. Il est de plus en plus vu comme un business partner à part entière, qui contribue à la stratégie de l’entreprise. Cela rejoint le sujet de la compétitivité. Si cette tendance n’est pas nouvelle, elle s’affirme de plus en plus.

LPA

Le renforcement des responsabilités participe-t-il à l’attractivité du métier ?

M.M.

Oui ! L’évolution de nos métiers va contribuer à renforcer leur attractivité, notamment en direction des jeunes générations. À l’AFJE, les jeunes sont d’ailleurs très actifs. Nous traitons de sujets de plus en plus variés et intéressants, y compris la compliance, les affaires publiques, et demain la cybersécurité et plein d’autres sujets. Le juriste sera de plus en plus acteur de la fabrication du droit de A à Z.

LPA

L’idée d’une grande profession du droit fait-elle consensus ?

M.M.

Tout d’abord, quand je parle d’une grande profession du droit, je pense aux juristes d’entreprise et avocats. Cette question d’une grande profession du droit sera certainement  abordée par le Do tank « Tous droit devant ». Chez certains avocats, il existe encore des réticences mais il faut continuer à expliquer que cette évolution sera gagnant-gagnant pour les avocats et les juristes d’entreprise. Si les idées avancées lors du Grenelle se concrétisent, alors le droit irriguera davantage la société, générera plus d’activités pour les avocats. La question n’est pas « est-ce que cela va se faire », mais plutôt quand et comment. Les jeunes générations sont dans la mobilité : de plus en plus d’avocats veulent exercer comme juristes, puis redevenir avocats au cours de leur carrière et inversement. Elles appréhendent déjà le monde tel qu’il sera. Il faut poursuivre le dialogue !

LPA

Dans quelle mesure la formation est-elle essentielle ?

M.M.

C’est une question cruciale, fondamentale ! Nous sommes en fait en train de préparer le droit du futur, rempli d’opportunités pour le droit français et ses acteurs. Il faut penser collectif et non en village gaulois. Lors du Grenelle, le thème de la formation initiale et continue a été au cœur des débats. Des propositions originales ont été formulées telles celle d’un enseignement de la déontologie dès l’ Université en tronc commun pour les étudiants, puis une déontologie spécifique à certains exercices pourrait être enseignée. Il nous faut être créatifs sur la formation aussi.

LPA

Dans quelle mesure les nouvelles technologies ont-elles déjà un impact sur la façon d’exercer ?

M.M.

La transformation digitale est en cours, et va toucher tous les métiers. Il faut la maîtriser et ne pas la subir. Les technologies numériques représentent des opportunités, alors même qu’elles suscitent des questionnements. D’ores et déjà, elles ont un impact sur notre façon de travailler, modifient les business model et les relations avec les clients, qu’ils soient internes ou externes, et modifient l’organisation de l’entreprise. Dans les entreprises, le numérique est de plus en plus souvent présent, et favorise le travail collaboratif, l’accès à davantage d’informations, offre des possibilités d’un management plus agile. Cela permet aussi de faire traiter par la machine les tâches les moins intéressantes d’un point de vue intellectuel, les plus répétitives. L’intelligence artificielle va permettre aux juristes d’affirmer leur rôle de stratège au sein de l’entreprise. Le numérique devrait faire partie de la formation initiale des étudiants, ainsi que de la formation continue. Le juriste doit s’interroger sur comment il utilise ces technologies, se demander s’il comprend comment elles fonctionnent, comment elles fournissent leurs résultats. Il doit comprendre cette nouvelle grammaire, et enfin, rester attentif aux questions éthiques qui sont soulevées. À l’avenir, les juristes d’entreprise seront de plus en plus amenés à travailler avec d’autres professions, des data scientists, des développeurs ou des ingénieurs, et ils devront entretenir le dialogue pour continuer à maîtriser ces outils.