« Le droit permet une gymnastique intellectuelle très amusante »
Elle a 34 ans et un parcours sans faute : Clémence Fallet, associée du prestigieux cabinet Bredin Prat, est passée par les bancs d’HEC, par la fac de droit puis par le barreau de Versailles, en embrassant un double cursus droit économie qu’elle revendique aujourd’hui et qui fait sa force. Spécialisée en fusion-acquisition, privatisation et droit boursier, elle vient de recevoir le Prix du Juriste HEC — dont Lextenso est partenaire—, sous le parrainage de Pascal Cagni, ancien vice-président d’Apple et président de Business France. Le jury, présidé par Antoine Lemétais, a récompensé la rapide ascension de l’avocate.
Les Petites Affiches
Comment avez-vous découvert le droit ?
Clémence Fallet
J’ai découvert le droit un peu par hasard. La première année à HEC après deux années de stimulation constante en classe préparatoire, je me suis un peu ennuyée. Une de mes amies avait envie de faire du droit parallèlement à HEC en s’inscrivant à la faculté, et elle m’en a donné l’idée. J’ai donc commencé à apprendre le droit à HEC et à la faculté, mais c’est la pratique, lors des stages, qui a été déterminante pour mon orientation. Tout d’abord, chez White & Case, pendant mon année de césure. Puis, j’ai fait un stage chez Bredin Prat et un autre chez Skadden avant de revenir chez Bredin Prat. J’y suis toujours aujourd’hui. Au sein de ce cabinet, j’ai été agréablement surprise de découvrir la grande diversité du travail et des dossiers abordés. J’ai beaucoup apprécié la qualité des personnes que je côtoyais : associés, collaborateurs, clients… tout cela rend cette profession passionnante et pousse à se dépasser.
LPA
D’HEC, quels souvenirs gardez-vous ?
C.F.
J’ai adoré HEC ! Bien sûr, pour la découverte des matières professorales, mais aussi pour la vie sur le campus. J’y ai rencontré mes meilleurs amis, mon mari, des gens de tous horizons. La vie sur un campus est une parenthèse formidable, intellectuellement et humainement. On en ressort plus mature, plus ouvert. On voyage, on côtoie des nationalités différentes. Je dois énormément à HEC. Ce double cursus, en droit et en économie, est un atout énorme dans ce que je fais aujourd’hui. Je travaille essentiellement sur des questions de droit des affaires et de négociation contractuelle, mais je connais aussi la finance et le fonctionnement d’une entreprise.
LPA
Qu’aimez-vous particulièrement dans votre métier ?
C.F.
Le droit et la rigueur sont les bases indispensables pour être un bon avocat, mais il faut aussi être créatif, trouver des solutions, être à l’écoute du client et de la contrepartie pour faire aboutir une transaction. J’aime cette gymnastique intellectuelle.
J’arrive souvent le matin au cabinet sans savoir comment va se dérouler ma journée. Comme me l’a dit l’un de mes associés : « In every job that must be done, there is an element of fun » (Mary Poppins). Je ne m’ennuie jamais.
LPA
En quelques années de carrière, quelles évolutions avez-vous déjà pu observer dans l’exercice de votre métier ?
C.F.
Nous accompagnons de plus en plus de clients à l’étranger, ou de clients étrangers en France. Je dirais qu’environ 2/3 de nos dossiers ont désormais une composante internationale qui va continuer de croître. Cela est dû aux mouvements des clients que nous accompagnons, au réseau de cabinets « best friends » que nous avons mis en place avec lesquels nous avons noué des relations très fortes.
Par ailleurs, ayant beaucoup travaillé pour la sphère publique – notamment en tant que jeune collaboratrice, j’ai travaillé sur le plan de sauvetage des banques par l’État en 2009 puis, sur la restructuration de Dexia, j’observe un certain mouvement de retrait de l’État français, qui était très interventionniste dans le cadre de la crise de 2008.
LPA
Quel rapport entretenez-vous avec les nouvelles technologies ?
C.F.
Il est clair que la façon dont nous travaillons est aujourd’hui très différente d’il y a dix ans, avec des outils de connexion à distance qui permettent de mieux s’organiser. Les nouvelles technologies sont un outil très efficace, qu’il faut aussi savoir utiliser avec modération.
Les nouvelles technologies et l’intelligence artificielle vont également bouleverser certains aspects du métier d’avocats, par exemple la revue de documents, permettant pour le client de bénéficier de coûts avantageux et pour les avocats de se concentrer sur des tâches à plus forte valeur ajoutée. Je suis d’avis de voir les nouvelles technologies comme un atout et non comme une menace.
Au-delà de l’organisation de notre travail, les nouvelles technologies deviennent un aspect important des dossiers que nous traitons avec l’essor de la data protection ou des aspects IT de plus en plus complexes.
LPA
Les nouvelles technologies profitent-elles d’un vide juridique ?
C.F.
On voit bien que le bitcoin ou la blockchain par exemple sont des objets qui suscitent réflexion, comme en atteste la consultation lancée en fin d’année dernière par l’Autorité des marchés financiers (AMF). Sans être une spécialiste, je m’intéresse à ces nouveaux processus qui peuvent à terme entraîner une mutation profonde de l’économie, notamment dans le secteur bancaire et financier ou dans le domaine de l’assurance. Les nouvelles technologies sont en avance sur la réglementation et ont vocation à « disrupter » un secteur. Mais le législateur veille et les économies s’adaptent. Il s’agit d’un défi intéressant, pas d’un sujet d’inquiétude particulière à mon sens.
LPA
En décembre, vous avez reçu le Prix du juriste HEC (qui promeut les liens entre HEC et le monde juridique). Comment avez-vous réagi ?
C.F.
Ce qui est très enthousiasmant dans ce prix, c’est que ce sont des étudiants qui font la sélection des candidats. Cette reconnaissance des étudiants m’a beaucoup touchée et est encourageante pour l’avenir de notre profession. Elle confirme que les étudiants continuent de se projeter dans le métier d’avocats avec enthousiasme. C’est un signal très positif car les futurs avocats sont l’avenir du cabinet et il est déterminant de recruter les meilleurs profils.
LPA
En tant que trentenaire, enceinte de votre deuxième enfant, représentez-vous un visage de la féminisation de la profession ?
C.F.
Je ne suis pas la seule femme associée du cabinet. Chez Bredin Prat, être une femme avec des enfants n’est pas un sujet. Nous sommes une quinzaine de femmes sur une quarantaine d’associés. Il est vrai qu’on a une vie familiale parfois un peu difficile à organiser. Mon mari, entrepreneur, me soutient beaucoup. Notons également que la France est en avance : au Royaume-Uni, en Allemagne, les femmes associées sont moins nombreuses !