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Le garde des Sceaux veut diffuser les « bonnes pratiques »

Publié le 20/04/2021

Devenant garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti avait annoncé qu’il voulait diffuser « les bonnes pratiques » expérimentées par les fonctionnaires du ministère de la Justice. Un moteur de recherche vient d’être lancé à cette fin. Le 19 mars dernier, les agents du ministère ont tous reçu un message vidéo pour les avertir de l’existence de cette nouvelle base de données. La veille, elle était présentée à la presse.

Avocat pénaliste, Éric Dupond-Moretti n’avait pas son pareil pour dénoncer les errements de la machine judiciaire. Devenu garde des Sceaux, il veut montrer le meilleur visage de celle-ci. « Avant d’être ministre, j’ai vu ce qui dysfonctionnait dans la justice, mais aussi ce qu’elle pouvait faire de fantastique grâce à la bonne volonté et à l’ingéniosité de celles et ceux qui la servent », a-t-il déclaré. « En tant que ministre, j’ai voulu mettre en lumière toutes ces bonnes initiatives qui ne peuvent que profiter au justiciable ».

Définir les « bonnes pratiques »

Le garde des Sceaux a donc lancé un projet de « Google des bonnes pratiques » : un site internet recensant les meilleures initiatives mises en place dans les juridictions, mais également dans l’administration pénitentiaire et à la protection judiciaire de la jeunesse. « Éric Dupond-Moretti voulait aller chercher ces bonnes pratiques. C’est la même démarche qui préside quand il recrute 1 000 agents supplémentaires pour la justice de proximité », affirme Jonas Bayard, conseiller communication et médias du ministère.

Lors d’une conférence de presse en ligne, Emmanuelle Masson, porte-parole du ministère de la Justice, et Véronique Lanneau, conseillère modernisation et bonnes pratiques, sont revenues à deux voix sur la genèse de cette base de données. Le premier travail a consisté à définir ce qu’est une bonne pratique. « C’est l’action ou le dispositif mis en place qui rend le travail plus efficace ou améliore la qualité du service. Ce sont donc des mesures organisationnelles ou en lien avec le justiciable », a précisé Emmanuelle Masson. « Il faut également qu’elles aient été testées, qu’on ait la démonstration qu’elles fonctionnent et qu’elles soient exportables sur un autre territoire ».

Ce travail pour faire remonter les actions de terrain a mis à contribution toute l’institution. « Chaque direction du ministère s’est mobilisée sur ces recherches car cela valorise le travail et les initiatives des uns et des autres. Les directions judiciaires ont mobilisé les cours d’appel. La protection judiciaire de la jeunesse et la direction de l’administration pénitentiaire ont actionné leurs structures. Ces directions ont travaillé sur les rapports d’action publique et les rapports internes, des documents dans lesquels ont été recensées les initiatives des différents professionnels. Chaque direction a nommé un référent bonnes pratiques pour centraliser ce travail. Celui-ci a pour rôle d’ échanger avec les juridictions, les syndicats, les écoles », a détaillé la porte-parole du ministère. « Il faut aussi une expertise pour s’assurer que cela corresponde au cadre juridique, notamment de protection des données ».

Mettre en commun les initiatives

Une fois ces bonnes pratiques définies et recensées, les services du secrétariat général ont créé un moteur de recherches. « L’idée est de rendre accessible la bonne pratique mais aussi les outils qui vont avec », a expliqué Véronique Lanneau. Ancienne magistrate à l’instance, aujourd’hui conseillère modernisation du garde des Sceaux, elle a parlé d’expérience pour défendre l’intérêt du dispositif. « Quand j’ai été magistrate, je me suis posé la question de mettre en place des pratiques de conciliation en matière d’expulsion, car il y avait des accords quasi-systématiques à l’audience. J’y ai passé un temps infini avant de réaliser que cela existait déjà dans le nord de la France », a-t-elle témoigné. « L’idée de ce site est d’éviter que tout le monde réfléchisse sur la même chose chacun de son côté et de valoriser les initiatives ».

Les deux représentantes du ministère ont, lors d’une démonstration, précisé le fonctionnement du site. Outre les bonnes pratiques, celui-ci met en ligne « des modèles de convention, des vidéos de témoignages de justiciables ou d’acteurs de la justice qui ont mis en place ces bonnes pratiques », a expliqué Véronique Lanneau. Il sera uniquement consultable en interne. Les agents du ministère trouvent le lien en Une de l’intranet justice. Le menu déroulant propose de grands thèmes : former/informer, réinsertion, organisation du travail, partenariats, conventions, reconnaissance des victimes, administration des services, justice de proximité, lutte contre les violences conjugales… Des recherches plus ciblées peuvent être faites par mots-clés.

Le garde des Sceaux veut diffuser les « bonnes pratiques »
Ricochet64 / AdobeStock

Des modèles de « bonnes pratiques » déjà mises en œuvre

La conférence a ensuite été consacrée à des exemples précis, concernant les juridictions de Bordeaux et d’Angoulême, dans lesquelles le garde des Sceaux était attendu le lendemain.

Premier exemple de bonne pratique : l’attribution des scellés à des associations caritatives. « Reims a initié cette pratique et depuis plusieurs tribunaux s’en sont saisis », a explicité Véronique Lanneau. « Le tribunal de Bordeaux a ainsi remis des scellés à la Croix-Rouge. L’association a récupéré des rasoirs, du parfum, des téléviseurs, des vêtements, des consoles de jeux, etc. ». Cette bonne pratique a un double intérêt. « Les scellés prennent beaucoup de place dans les tribunaux alors qu’ils ont vocation à être détruits. Cela va permettre de rationaliser l’espace et de rendre service aux associations qui vont pouvoir récupérer des objets neufs ou en très bon état. La direction des services judiciaires et des affaires criminelles et des grâces a conclu une convention avec les associations au niveau national. Celle-ci permet aux juridictions de contracter localement avec leurs interlocuteurs. Il y a sur le site des exemples de conventions qui sont signées par les parquets ». Les tribunaux peuvent donc s’engager dans cette voie avec la certitude que « juridiquement, cela ne pose aucune difficulté ».

Autre bonne pratique présentée : le rappel des audiences par SMS. « Cela a été mis en œuvre dans certaines juridictions pour les comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité. Pour qu’elles aient lieu, il faut absolument que le justiciable soit présent ». Le travail des magistrats pourrait facilement se trouver fluidifié par cette simple mesure organisationnelle.

Deux autres mesures ont été citées en exemples. Les deux femmes ont loué « le travail fait entre l’administration pénitentiaire, le SPIP 33 et la juridiction pour mettre en œuvre le placement extérieur dans un délai très court. Souvent, cela prend plusieurs semaines ou mois pour que cela soit mis en œuvre. Le SPIP 33 s’est organisé pour que, dès que la décision est prise, l’ association SOS Solidarité réserve la place d’hébergement dans le dispositif d’accueil ». De tels partenariats permettraient, ont-elles dit, de voir se développer le prononcé de ces peines alternatives à la prison. « La juridiction a davantage tendance à les prononcer quand on sait qu’il y a de la place dans les structures et qu’il va y avoir un suivi par des associations ».

À Angoulême toujours, une convention a été passée entre l’association France Victimes, le parquet et la gendarmerie, afin que les victimes venant déposer plainte soient mises en relation avec les associations par le biais de visioconférence. « C’est un pas énorme qui est franchi. Une victime doit être informée. Quand une personne vient porter plainte, on lui remet habituellement une liasse de papier. Elle ne peut évidemment pas absorber toutes ces informations. Là, elle a un premier contact direct et rassurant », a souligné Emmanuelle Masson.

Le site compte actuellement près de 108 fiches. Il devrait continuer à s’étoffer. « C’est un outil vivant. Les bonnes pratiques continuent à remonter », ont assuré les représentantes du ministère.

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