La garde des Sceaux visite le TGI de Créteil

Publié le 12/10/2017

Deux heures de visite au pas de charge pour mieux comprendre les rouages d’un tribunal de grande instance en petite couronne  : voilà ce qui attendait la nouvelle garde des Sceaux, Nicole Belloubet, invitée le 7 septembre dernier au TGI de Créteil. La ministre a visité les principaux services du palais de justice, escortée par un aéropage de professionnels du droit.

Le programme de la matinée était minuté : en deux heures à peine, Nicole Belloubet devait être en mesure de se faire une idée des besoins des juridictions de la petite couronne. Pendant deux heures, elle a arpenté les salles et couloirs du tribunal, guidée par magistrats du Val-de-Marne soucieux de donner l’image d’une juridiction dynamique, prête à se mettre en quatre pour rendre justice dans de bonnes conditions en dépit de ses moyens matériels et humains limités. Si le TGI de Créteil n’est plus officiellement en situation dégradée, tous les postes étant aujourd’hui pourvus, les magistrats ont néanmoins du mal à recevoir les justiciables dans des délais raisonnables, et à trouver des salles et du temps d’audience disponible. 

Emmenée par Stéphane Noël, le dynamique président du TGI arrivé à Créteil en décembre 2015, Catherine Champrenault, procureure générale de Paris, et Chantal Arens, première présidente de la cour d’appel de Paris, la visite commence au pôle famille, où la juridiction  cherche à développer la médiation. Les juges aux affaires familiales s’appuient pour cela sur le travail de cinq associations locales. Un premier rendez-vous est proposé aux parents, afin de leur présenter le concept d’une médiation dont ils n’ont, pour la plupart, jamais entendu parler. « Les juges peuvent trancher, mais ils sont les mieux placés pour organiser leur vie de famille. La médiation permet de redonner aux parents du pouvoir sur leur vie », assure Carole Bizouarn, magistrate coordinatrice du service affaires familiales. L’année dernière, plus de 1 600 entretiens se sont tenus dans cet espace. 24 % d’entre eux  ont donné lieu à une médiation, permettant presque toutes d’aboutir à un accord. Le pôle famille du TGI accueille également les parents dans le cadre de réunions collectives. « Les parents séparés peuvent alors parler des conséquences émotionnelles de la séparation, ou évoquer le concept d’autorité parentale », précise Céline Meyer, présidente de l’association Espace droit famille. « C’est un moment d’échange et de questionnement commun dans un cadre bienveillant. Cela leur permet de réaliser qu’ils ne sont pas seuls dans leur situation. C’est une valeur ajoutée  importante ». Intéressante d’un point de vue humain, la médiation a aussi pour vertu de faire diminuer le stock de dossiers en souffrance. À Créteil, le service des affaires familiales a beau rendre plus de 7 000 décisions par an, le délai d’attente pour un premier rendez-vous avec un juge est encore de neuf mois, « ce qui est très long pour les familles », souligne Stéphane Noël. Nicole Belloubet montre un vif intérêt pour le dispositif, pose des questions d’élève appliquée portant aussi bien sur la durée des rendez-vous que sur la formation des médiateurs.

Sans perdre de temps, le cortège se dirige vers les chambres pénales et entame une discussion à bâtons rompus au milieu d’une pièce encombrée. Nicole Belloubet, élégante dans sa robe estivale, se tient, l’air un peu interloqué, devant un bureau sur lequel s’entassent des piles de chemises colorées. « On ne va pas faire de misérabilisme », désamorce d’emblée Laure Beccuau la procureure du Val-de-Marne, avant de détailler les nombreuses mesures déjà prises par une juridiction soucieuse, au pénal aussi, de proposer des solutions pour réduire le nombre de dossiers en attente. « Nous avons fait le choix des ordonnances pénales, procédé à la création d’audiences de plaider coupable, fait évoluer la politique pénale pour les petits trafics de stupéfiants pour ne pas saisir les juges d’instruction », détaille-t-elle. « Malgré cela, la pile de dossiers demeure », explique-t-elle. Le procureur adjoint Philippe Astruc poursuit, décrivant le Val-de-Marne comme un « département dual », pourvu d’un « contentieux de droit public massif ». Dans ce département scindé entre une « façade aisée, pavillonnaire à l’Est » et une « population paupérisée à l’Ouest, qui s’attaque aux biens de l’Est », les cambriolages sont importants. À ces délits s’ajoutent le contentieux routier, qui prend, dit-il, une dimension particulière sur un territoire où le permis de conduire est pour beaucoup « le seul diplôme ». Si Philippe Astruc assure que le TGI « arrive à encaisser ce contentieux de masse », il prévient  qu’il en va complètement autrement pour « la délinquance plus organisée » et « l’économie de moins en moins souterraine » de la drogue. Là, le magistrat déplore ne pas avoir « la capacité de transformer l’investissement policier en réponse pénale ». Pourtant, la juridiction ne chôme pas. Le président Stéphane Noël fait état de 800 audiences annuelles et 7 000 jugements rendus. « Nous avons encore 3 500 dossiers en stock, soit un an d’activité en rayon », complète-t-il en jetant un regard circulaire autour de lui. Pour redresser la situation, les magistrats de Créteil disent avoir besoin à la fois de « matière grise » et de « choses plus pragmatiques », telles que des salles disponibles ou des agents de catégorie C pour taper les jugements. Nicole Belloubet écoute, attentive, tente un début de brainstorming. « Pourquoi ne pas envisager des réponses type forfaitisation sur les infractions de permis de conduire ou les stupéfiants ? ». La procureure de la République réfute la proposition de manière courtoise mais catégorique : « C’est très risqué si le taux d’amende forfaitaire est élevé, car le département est très paupérisé. Et cela ne permet pas de mettre en œuvre des procédures d’injonctions thérapeutiques », souligne-t-elle.

La dernière partie de la visite est consacrée à la question très pratique  du manque de salles d’audiences adaptées. Celles-ci sont pour la plupart inaccessibles aux personnes en fauteuil roulant, et souvent mal sonorisées. Elles sont par ailleurs trop peu nombreuses. Où donc trouver de la place pour organiser les procès dans lesquels comparaissent plusieurs prévenus ? Ou pour audiencier en urgence des détenus avant que le délai de comparution de deux mois n’expire ? Cela a tout l’air d’un casse-tête, et la cohorte de magistrats passera du temps à discuter de cet épineux problème immobilier. Pour les grosses affaires économiques et financières et les procès médiatiques, le personnel du TGI a une solution, portée par Christine Laï, première vice-procureure en charge du pôle criminel.Il s’agit de déplacer les procès d’assises en salle correctionnelle et de réquisitionner la salle d’assises pour les grands procès de correctionnelles. La démonstration, précise, prend de longues minutes. « Cela me semble très judicieux », tranche Nicole Belloubet.

Avant de repartir en hâte vers son ministère, la ministre dresse le bilan de cette visite du TGI. Elle pointe l’évidente « volonté de faire au mieux » des professionnels du tribunal. « Je vois d’abord une juridiction qui s’organise pour répondre aux attentes de la société », affirme-t-elle. « J’entends ensuite les difficultés », insiste-t-elle également. Elle estime impossible d’avoir « une réponse univoque » pour pallier le manque de moyens matériels et humains, et avance d’ores et déjà trois pistes de réponses. La première consiste en une simplification des procédures pénales et civiles. « J’aimerais qu’au printemps 2018, on puisse apporter des réponses législatives », précise-t-elle. La seconde, à laquelle elle se dit « très attachée », est la numérisation des données. « J’y mettrai toute mon énergie », promet-elle. « Je m’étonne qu’au XXIe siècle, on voie encore ces énormes dossiers papiers », poursuit-elle. La troisième et dernière piste évoquée reste néanmoins celle des ressources humaines. « Je ferai le maximum pour que des efforts soient faits en matière de personnel », promet-elle encore.

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