« Le parent social est le grand oublié de la loi de 2013 »

Publié le 27/02/2019

Avocate au barreau de Paris depuis 8 ans, Me Émilie Duret exerce comme avocate en droit de la famille. Elle est spécialisée dans l’accompagnement des familles LGBT, qu’elle défend par l’exercice de sa profession mais aussi en tant que militante au sein de l’association des parents et futurs parents gays et lesbiens. Pour les Petites Affiches, elle revient sur son parcours et sur la situation des familles homoparentales depuis le vote de la loi ouvrant le mariage et l’adoption à tous les couples.

Les Petites Affiches

Comment se compose votre clientèle ?

Émilie Duret

Une bonne moitié d’entre eux sont des personnes LGBT, et cette part s’est accrue après l’adoption de la loi sur le mariage pour tous en 2013. Ma clientèle se développe principalement à l’aide du bouche-à-oreille, qui fonctionne très bien, notamment au sein de la communauté LGBT qui a besoin d’avoir des interlocuteurs de confiance. Je tiens toutefois à maintenir une stabilité au sein de ma clientèle et à conserver mon activité en droit de la famille « classique » : je ne souhaite pas que des clients imaginent qu’étant compétente en matière d’homoparentalité, je ne suis pas apte à m’occuper de leur divorce au sein d’un couple hétérosexuel ! C’est surprenant mais cela arrive : on m’a déjà demandé si je connaissais un avocat en droit de la famille « hétéro ».

LPA

Comment en êtes vous arrivée à vous spécialiser sur les questions LGBT ?

É. D.

Vivant moi-même en couple avec une femme et étant depuis toujours passionnée par le droit de la famille, il m’a semblé évident d’orienter une partie de mon activité sur les questions LGBT, et particulièrement sur l’homoparentalité. On dit souvent qu’un avocat a une clientèle qui lui ressemble – et réciproquement – et finalement pour moi c’est effectivement le cas ! Je suis moi-même mariée et jeune maman d’un petit garçon de 5 mois. Par ailleurs, il me semble que c’est un domaine où l’action de l’avocat peut encore faire avancer les droits des familles, et c’est un privilège de pouvoir, à ma petite mesure, participer à une telle avancée dans le cadre de ma pratique professionnelle. J’avais l’impression, même avant de prêter serment, qu’en me spécialisant dans cette matière, je pouvais « faire bouger les choses ».

LPA

Le mariage pour tous a-t-il fait évoluer votre activité ?

É. D.

Après le vote de la loi ouvrant le mariage et l’adoption à tous les couples, j’ai reçu de nombreux couples pour des demandes d’adoption. Les couples qui avaient déjà des enfants se mariaient rapidement afin de mettre en place les procédures d’adoption de l’enfant du conjoint. Cette vague de dossiers en la matière a duré pendant les trois années qui ont suivi le vote de la loi. Les choses se calment à présent, d’une part car le « flot » des familles a été régulé, et d’autre part car les difficultés rencontrées au début lors des procédures d’adoption ayant été en partie résolues, les personnes déposent bien souvent leur demande sans être représentées par un avocat.

LPA

Comment les magistrats ont-ils accompagné ce changement ?

É. D.

Il a parfois fallu faire preuve de pédagogie lors des premières procédures car des textes existants ont été élargis pour être utilisés dans les familles homoparentales. Or les magistrats n’avaient pas encore l’habitude de telles procédures. Par exemple, l’article 371-4 du Code civil qui fonde la demande de droit de visite du parent social non adoptant, était initialement le fondement du droit de visite des grands-parents. Un alinéa a été ajouté pour l’étendre au parent social : je me souviens d’une audience où la magistrate répétait à ma cliente « Mais vous êtes la grand-mère de l’enfant » alors que celle-ci avait une trentaine d’années et que je tentais de lui expliquer qu’il s’agissait d’un couple de femmes et qu’elle était la mère sociale de l’enfant. La situation s’est normalisée à présent et la plupart du temps les audiences se déroulent tout à fait normalement.

LPA

Avez-vous vu aussi émerger une concurrence ?

É. D.

Des réseaux d’avocats « gay friendly » se sont créés, et c’est une très bonne chose. Les personnes LGBT ont besoin d’avoir à leur disposition des outils leur permettant de contacter des professionnels, avocats, notaires, médecins, qui les comprennent et à qui ils pourront exposer leur situation sans crainte d’être jugés ou de sentir un malaise chez leur interlocuteur : une « concurrence » a donc effectivement émergé. Il y a de la place pour tout le monde, le principal étant bien sûr d’être compétent car si le bouche-à-oreille fonctionne bien pour être recommandé, il est encore plus efficace pour critiquer !

LPA

Qu’est-ce qu’un bon avocat de la famille pour les personnes LGBT ?

É. D.

C’est avant tout un bon avocat en droit de la famille ! Notre activité est au service des personnes, il est fondamental de les écouter, de les comprendre et de conserver la distance nécessaire à l’égard du dossier pour diriger nos clients vers ce qui sera le mieux pour eux. Les procédures que nous mettons en place ne sont pas des procédures « spécifiques » aux personnes LGBT, ce sont des procédures classiques prévues par le Code civil et qu’on applique aux familles homoparentales. Il existe toutefois certaines subtilités et certains réflexes, notamment procéduraux, que seuls les avocats spécialisés, traitant un volume de dossiers conséquent en la matière, auront.

LPA

Y a-t-il des ponts entre votre activité de militante et votre activité d’avocate ?

É. D.

J’ai intégré la commission juridique de l’Association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL), qui propose une aide. J’ai par ailleurs co-fondé en début d’année 2018, avec mon confrère Florent Berdeaux et mes consœurs Clélia Richard et Catherine Clavin, l’Association française des avocats LGBT+ que j’ai la joie et l’honneur de co-présider. Mes deux activités sont tellement liées qu’elles influent nécessairement l’une envers l’autre. Par exemple, mon militantisme m’a amené à refuser certains dossiers contraires à mes convictions, et pour lesquels j’aurais été difficilement convaincante, puisque pas convaincue du tout ! J’ai ainsi décliné la demande d’une mère biologique qui, dans le cadre d’une séparation, refusait de maintenir le lien entre l’enfant et son ex-compagne en arguant que « c’est elle qui l’avait porté ». Il m’arrive de défendre des mères biologiques qui refusent le droit de visite de leur ex-compagne, quand la raison de leur choix trouve sa source ailleurs que dans le fait d’avoir porté l’enfant. En l’espèce, j’ai indiqué à cette personne que je ne pouvais accepter son dossier car je ne m’imaginais pas défendre sa posture devant un magistrat. C’est en quelque sorte l’équivalent d’une clause de conscience – je ne juge pas la personne, mais je ne souhaite pas participer à la procédure.

LPA

Après la vague d’adoption, avez-vous vu émerger une vague de divorce chez les personnes LGBT ?

É. D.

Je ne dirais pas qu’il y a eu une vague, mais effectivement dès 2015 j’ai pu traiter mes premiers dossiers de divorce de couples de même sexe. Il ne me semble pas que ces divorces aient des particularités, car « homo » ou « hétéro » quand on divorce, si on a envie de se faire souffrir, on sait tout aussi bien comment s’y prendre ! En revanche, certaines difficultés se rajoutent à celles rencontrées classiquement dans un divorce et notamment en présence d’enfants lorsque le parent social n’a pas pu établir sa filiation à l’égard des enfants. Procéduralement, le juge du divorce n’est pas compétent pour traiter de la demande de droit de visite du parent social non adoptant, et on assiste à des situations surréalistes où on vient débattre des mesures provisoires du divorce devant le juge, en laissant de côté la question de l’enfant en raison de l’incompétence du juge, alors même que les désaccords du couple portent sur l’enfant…

LPA

Pour quel type de problématiques êtes-vous saisie aujourd’hui ?

É. D.

Je suis très souvent consultée pour les problématiques relatives au statut du parent social. Hier encore, une maman sociale qui a élevé sa fille pendant 5 ans jusqu’à la séparation du couple parental, et qui a vu son ex-compagne partir avec sa fille en Bretagne et faire obstacle à l’exercice d’un droit de visite de ma cliente. Je vais donc faire délivrer une assignation en urgence afin de voir rétablir le lien entre ma cliente et sa fille. Ces situations sont hélas très courantes…

LPA

Après le mariage pour tous, y a-t-il des vides juridiques qui demeurent ?

É. D.

La loi de 2013, si elle a constitué une avancée considérable des droits des personnes LGBT, reste cruellement incomplète. J’estime qu’ouvrir l’adoption sans ouvrir la PMA a été d’une hypocrisie rare, car cela encourage les couples et les femmes célibataires à se rendre à l’étranger afin de concevoir leurs enfants en toute clandestinité, avant de revenir accoucher et élever les enfants en France. Mais c’est surtout la filiation qui a été la grande oubliée de la loi : en effet, la loi a fermé les modes classiques d’établissement de la filiation tels que la présomption de paternité et la reconnaissance aux familles homoparentales, et a restreint l’établissement de la filiation à l’adoption. Aujourd’hui, lorsqu’un enfant nait dans un couple hétérosexuel, si le couple est marié il existe une présomption de paternité, et si le couple ne l’est pas, le père doit effectuer une reconnaissance de paternité en mairie – il s’agit d’une simple formalité déclarative. En revanche, lorsqu’un enfant nait dans un couple homosexuel, si le couple n’est pas marié il est impossible d’établir la filiation à l’égard du second parent, et si le couple est marié, il faut passer par la procédure d’adoption.

LPA

Quelles conséquences cela a-t-il pour les familles ?

É. D.

Ces lacunes de la loi constituent des difficultés au quotidien pour les familles, et pour les avocats qui les représentent. Beaucoup l’ignorent, mais la procédure d’adoption est longue et lourde administrativement. Il y a beaucoup d’étapes : consentement auprès du notaire, délai de rétractation de 2 mois, dépôt d’un dossier documenté auprès du tribunal comportant attestations, photographies et parfois même convocation au commissariat pour enquête précèdent l’audience. Tout cela fragilise les familles et n’est évidemment pas dans l’intérêt de l’enfant. La loi actuelle n’offre aucune solution pour les couples qui n’ont pas souhaité se marier, pour les couples séparés avant le vote de la loi, pour les couples mariés dont la mère légale refuse finalement de donner son consentement devant le notaire ou se rétracte… Cela impacte finalement beaucoup de personnes. On arrive à des cas comme celui que je décrivais tout à l’heure où, en raison de l’absence de mariage et donc d’adoption, une maman voit son lien rompu avec son enfant lors d’une séparation. Le parent social est le grand oublié de la loi de 2013.

LPA

Quelles sont les évolutions législatives que vous attendez ?

É. D.

Bien sûr, on attend depuis 2013 ! Il est fondamental que la loi de révision des lois bioéthiques ouvre la PMA à toutes les femmes, et s’accompagne de mesures concernant la filiation, ainsi que l’accès aux origines. Il ne s’agit pas de révolutionner le Code civil, mais de permettre à toutes les familles d’établir la filiation à l’égard des enfants selon les mêmes modalités : se borner à ouvrir le PMA tout en conservant l’adoption comme seul mode d’établissement de la filiation serait à mon sens une coquille vide. La loi à venir devra donc prévoir l’ouverture des modes classiques d’établissement de la filiation à toutes les familles afin de permettre au parent social qui a été à l’origine du projet, qui a été présent, qui s’occupe de l’enfant dès sa naissance, de voir sa filiation établie également dès la naissance de l’enfant, et ce dans l’intérêt de l’enfant. Par ailleurs, il est indispensable de réfléchir à la question de l’anonymat du don et de l’accès aux origines, mesure qui n’a pas de sens pour les familles homoparentales puisque le secret n’existe pas – contrairement à ce qui a été martelé par certains, on ne ment pas aux enfants sur leur histoire et sur leur conception lorsqu’on a deux papas ou deux mamans ! Et bien sûr, la prise en charge par la sécurité sociale devra être la même pour toutes et tous. Il reste donc du travail !