Le réquisitoire de la procureure de Nanterre contre l’alourdissement des procédures

Publié le 07/02/2017

L’audience solennelle de rentrée du tribunal de grande instance de Nanterre avait lieu le 18 janvier dernier. À cette occasion, la procureure du parquet a souligné avec force détails les difficultés liées à la complexification des procédures et au contexte de pénuries de moyens.

L’audience solennelle de rentrée est un exercice extrêmement codifié, une tradition qui permet aux magistrats de se réunir pour dresser le bilan de l’année écoulée et exposer l’activité de la juridiction. Celle du tribunal de grande instance de Nanterre, présidée par Jacques Boulard, se tenait le 18 janvier dernier. La procureure de la République Catherine Denis a entamé son réquisitoire en rappelant une nouvelle fois le contexte défavorable des faibles moyens alloués à la justice, et par extension à sa juridiction. Prenant à témoin le rapport 2016 de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ), elle a souligné la dégradation de la situation au cours des années : « La France compte deux fois moins de juges, quatre fois moins de procureurs et deux fois moins de greffiers pour 100 000 habitants que la moyenne européenne ». Un chiffre que la procureure met en parallèle avec le nombre croissant de procédures reçues ainsi que les nombreuses fonctions différentes tenues par les magistrats. La surcharge permanente des magistrats du parquet lui fait aussi constater un effet collatéral inquiétant : « cela conduit une partie croissante de nos collègues à ne pas ou ne plus postuler pour ces fonctions, année après année on constate une désaffection grandissante pour les postes du parquet ».

Outre le thème de l’insuffisance des moyens, dont la procureure a déploré la récurrence, le réquisitoire était surtout l’occasion d’évoquer la simplification et la modernisation de la justice. Un sujet-clé qui a été au cœur des actions du ministère de la Justice au cours des deux dernières années. Et force est de constater que la procureure Catherine Denis a peu goûté aux efforts du Gouvernement en la matière. « Notre production normative est complexe et ambitieuse, mais illisible et peu efficace, voire inapplicable », explique-t-elle, avant de décrire des textes législatifs « bavards, touffus, qui génèrent des problèmes d’articulations avec d’autres textes », ce qui crée des difficultés que l’interprétation de la loi ne résout pas toujours.

Concernant la simplification, elle a tenu à évoquer les 102 circulaires et dépêches (soit deux par semaine) reçues par les procureurs généraux et de la République : « Si l’intention du législateur d’améliorer nos possibilités d’action est éminemment louable, sa traduction par des textes toujours plus sophistiqués entraîne une saturation intellectuelle chez ceux qui doivent les appliquer ». La loi du 3 juin 2016 a notamment été citée en exemple, avec ses 120 articles qui ont nécessité de nombreuses circulaires d’explication ou application au vu de la complexité du texte.

Une loi de modernisation en demi-teinte

Au sujet de la loi du 18 novembre 2016, dite de modernisation de la justice du XXIe siècle, la procureure l’a jugée en deçà des besoins. Si elle reconnait des avancées dans certains domaines pour la justice civile (déjudiciarisation du divorce par consentement mutuel, réforme du surendettement), à même de libérer le juge de certains contentieux, la procureure estime que « la justice pénale est une fois de plus restée sur le bord du chemin ». Elle dénonce des « mesures de simplification cosmétique » et redoute que l’usure des magistrats et les dernières dispositions législatives n’annoncent des difficultés majeures pour le futur.

Deux mesures sont dans son collimateur : le droit à un entretien avec un tiers, en vigueur depuis le 15 novembre 2016, et l’apparition de l’assistance obligatoire du mineur en garde à vue par un avocat, mise en place le 1er janvier 2017. Sur cette dernière, elle note que la mesure n’a eu le droit qu’à quelques minutes de débat parlementaire et n’a pas fait l’objet d’étude d’impact en termes de coût : « Cela représente 2 500 mesures de garde à vue qui devront être indemnisées au titre de l’aide juridictionnelle dans un budget croissant, mais insuffisant ».

Plus globalement, elle déplore le formalisme croissant de l’enquête et de la garde à vue qui est à ses yeux devenue « un temps limité, encadré, contrôlé, assisté qui compte désormais infiniment plus de droits pour le suspect que de devoirs ». Pour la procureure, ces modifications nuisent non seulement à l’efficacité de l’enquête pénale, mais pire encore, découragent les enquêteurs qui se détournent des services d’investigation face à la complexité croissante de la procédure pénale. Ainsi, les mécanismes juridiques deviendraient parfois des « nids à nullités » qui font perdre à la procédure d’enquête son sens et ses objectifs initiaux. « Dans sa phase initiale, [l’enquête] n’a pas vocation à être contradictoire, elle n’est pas le temps des droits de la défense tant que les poursuites ne sont pas encore engagées », précise-t-elle.

Des forces de police sous tension

Le contexte de tensions liées à l’état d’urgence et à la menace terroriste a également été évoqué, avec les charges supplémentaires qui sont logiquement induites aux forces de l’ordre. Catherine Denis a ainsi tenu à saluer « l’engagement des policiers dans la protection de nos concitoyens » et à réaffirmer « la fermeté de la politique pénale du parquet dans la poursuite des violences sur les policiers ». Une mobilisation des forces de l’ordre dans des tâches de sécurisation qui va hélas aussi de pair avec une baisse de résultats dans les missions de police judiciaire. Les effectifs contraints ou en baisse dans les Hauts-de-Seine n’aidant pas à l’amélioration de la situation. On note ainsi la diminution de 10 % de mis en cause dans les infractions commises en 2016 (avec 6 856 décisions rendues) en comparaison de l’année précédente.

Malgré ses nombreux griefs, la procureure de la République a exprimé sa satisfaction à diriger « un parquet en mouvement et en progrès ». Profitant ainsi pour féliciter l’engagement du garde des Sceaux, Jean-Jacques Urvoas, au déblocage de réserves budgétaires qui ont permis l’arrivée de deux juristes assistants : Sara Bisceglia, substitut qui a rejoint le pôle civil du parquet au mois d’octobre de l’année précédente, et Delphine Le Bail, nommée vice-procureure le 2 janvier et affectée au pôle stupéfiant et criminalité organisée.

Enfin, Catherine Denis a souligné le dynamisme et la vitalité d’un parquet dont les actions de modernisation se poursuivront en 2017.

Activité 2016 du TGI de Nanterre

2016

Évolution (2015)

Parquet

Décision de poursuites

9 297

+ 17 %

Poursuites devant le tribunal correctionnel

6 352

+ 12 %

Taux de réponse pénale

86,20 %

– 1,7 %

Activité juridictionnelle pénale

Jugements correctionnels

7 103

– 4 %

Décisions rendues par le JAP

5 148

– 7 %

Budget de fonctionnement pour le TGI

+ dépenses d’intérêt commun

4 741 790 €

+ 7 %

Effectif localisé

Effectif réel

Magistrats du siège

107

95,3

Magistrats du parquet

36

32,8

Fonctionnaires

278

258,8

L’audience solennelle de rentrée du TGI de Nanterre, le 18 janvier 2017.

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