Hauts-de-Seine (92)

« Le statut d’avocat en entreprise est la seule solution envisageable »

Publié le 30/03/2021

Michel Guichard, avocat d’affaires au sein du cabinet Taj Deloitte, est également bâtonnier du barreau des Hauts-de-Seine (92). Il est signataire d’une résolution adoptée par le Conseil de l’ordre du barreau, le 11 février dernier, s’opposant à l’avant-projet de loi présenté par la Chancellerie pour la création de l’avocat salarié en entreprise. Un débat de longue date qui est loin de faire l’unanimité.

Les Petites Affiches : Que dit la motion signée le 11 février dernier ?

Michel Guichard : C’est une motion qui a été discutée avec les syndicats et qui disait  qu’on était conscient qu’il fallait à la fois maintenir l’attractivité des entreprises françaises et assurer la sécurité juridique des actes des entreprises, mais également que l’avant-projet présenté est un texte insuffisant. Nous avons écrit que le statut de l’avocat salarié en entreprise tel que proposé en l’état ne peut être accepté, et encore moins expérimenté, dans la mesure où ne sont garantis ni l’indépendance (principe essentiel de la profession) ni le respect du secret professionnel (absolu et sans limite). Cela étant, nous ne sommes pas opposés à l’avocat d’entreprise. Nous demandons à participer à la concertation et à travailler sur un texte en nous basant sur l’expérience internationale, à l’instar de l’Allemagne, des Pays-Bas ou encore de l’Espagne, pour bâtir un texte plus conforme au statut de l’avocat tel qu’il existe.

LPA : Y-a-t-il eu unanimité pour le vote de cette motion ?

M.G. : C’était une délibération minimale. Cela n’a pas été voté à l’unanimité. Le barreau de Paris a pris une décision claire en faveur de l’avocat en entreprise. Le Conseil national des barreaux a dit non sur le texte en l’état et la Conférence des bâtonniers s’y oppose.

LPA : Quel est le point de tension concernant cette loi ?

M.G. : Il s’agit du legal privilege, soit le fait d’accorder le secret professionnel à des juristes soumis à une déontologie propre. Autrement dit, ce serait la création d’une nouvelle profession réglementée. Or accorder un legal privilege aux juristes est insuffisant pour protéger les avis internes de l’entreprise. Même si c’est appliqué en Belgique, cela n’apporte pas la garantie du statut d’avocat. Selon moi, le statut d’avocat en entreprise est la seule solution envisageable. Il correspond aux besoins des entreprises. Ce statut peut être limité dans son contenu et pourrait par exemple ne concerner que certains actes civils ou commerciaux internes. On peut également envisager que des avocats omis exerçant en entreprise entrent dans la profession puisqu’ils connaissent les règles de déontologie. Pourquoi ne pas les réaccueillir ?

LPA : Le problème n’est donc pas lié au fait que l’avocat soit salarié d’une entreprise ?

M.G. : L’avocat salarié en entreprise ne pose pas de problème. Les avocats salariés dans des cabinets existent depuis longtemps. Nous revenons à des débats qui ont eu lieu lorsque nous avons fait entrer le conseil juridique dans la profession. Si le projet de loi garantit un avocat en plein exercice, je ne vois pas pourquoi je m’y opposerai d’un point de vue personnel.

LPA : Les Hauts-de-Seine et Paris sont annoncés comme les terrains d’expérimentation. Avez-vous eu une confirmation à ce propos ?

M.G. : Il n’y a rien eu d’officiel. C’est simplement logique. 14 sociétés du CAC 40 et de nombreux sièges de filiales étrangères sont installés dans les Hauts-de-Seine. Les avocats s’inscriraient donc dans notre barreau ou celui de Paris. Notre barreau compte 2 500 avocats dont les deux tiers travaillent au sein de grosses structures qu’on appelle les « Big 4 ». Les grandes entreprises sont nos clients. Nous comprenons donc leurs problématiques.

Avocat

LPA : Pourquoi est-il nécessaire de légiférer sur cette question ?

M.G. : Le besoin est immédiat en matière de protection des avis juridiques lorsque des administrations étrangères en font la demande. Nos entreprises ne peuvent pas se protéger.

Autre point important : la force du droit dans les entreprises françaises est limitée. Aux États-Unis, le legal counsel (conseiller juridique) intervient dans toutes les opérations. Il suit toute la vie juridique de l’entreprise. En France, un juriste a un rôle très limité au sein des entreprises . Le directeur juridique est consulté sur des projets mais il a beaucoup moins de poids. Si on crée le statut d’avocat en entreprise, tout le monde pourra en bénéficier. Cela ne couvrirait que certains actes donc nous aurons toujours besoin d’un avocat pour plaider. Je ne vois pas où est la perte de travail. Nous sommes dans un métier du droit où un certain nombre de personnes se dirigent vers le privé. 20 % des juristes d’entreprise sont d’anciens avocats. Pourquoi établir une étanchéité entre ces deux milieux ? On le voit dans nos cabinets : on forme des populations de jeunes collaborateurs qui, ayant été bien formés, font le bonheur d’entreprises et deviennent nos futurs clients.

LPA : Le député Raphaël Gauvain (LREM), a récemment déclaré que « La France est le dernier pays au monde à ne pas protéger la confidentialité des avis et consultations juridiques des entreprises ». Que lui répondez-vous ?

M.G. : C’est très juste. L’Espagne dispose d’un statut depuis 1845 et cela ne pose pas de problème. Nous sommes, en France, totalement en retard sur ce sujet.

LPA : Y-a-t-il des points positifs dans ce projet de loi ?

M.G. : Je trouve qu’il était trop inspiré par le Medef. En conservant le statut salarial de l’avocat d’entreprise, il peut rester sous la coupe du dirigeant. L’avocat d’entreprise doit dépendre de son bâtonnier mais rester indépendant vis-à-vis du dirigeant. C’est dans ce but que nous insistons sur le fait que les avocats d’entreprise doivent avoir tous les attributs des avocats. Il reste la question de la perquisition. Peut-être qu’il n’y aura pas la même protection pour les actes de l’avocat en entreprise mais tout le reste doit être commun.

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