Les avocats du sport ont le vent en poupe
Le droit du sport est un domaine juridique transversal mais qui a ses spécificités propres. À l’occasion d’une actualité sportive brûlante, celle de la Coupe du Monde de football, nous avons rencontré trois avocats du droit du sport qui ont lié leur passion à leurs compétences juridiques.
Depuis longtemps, le sport-business, avec ses enjeux colossaux, a fait la une des journaux. Dernièrement, l’évasion fiscale de Ronaldo, condamné à une amende de 18 millions d’euros et à deux ans de prison (réalisés sous le régime de la probation), mais aussi la question du dopage en cyclisme avec le délicat cas de Christopher Froome ou encore celle de la présence des Ultras lors des matchs, autant de problématiques juridiques qui constellent le sport. Mais derrière l’arbre se cache aussi la forêt : petits clubs, ruptures de contrats abusives contre des sportifs de l’ombre mal protégés… En réalité, dans le sport, le droit est partout ! Pour le cabinet RMS, le « sport est un domaine polyvalent mais hautement valorisé », explique Me Redouane Mahrach. Ce dernier, avocat depuis 1996, découvre au début des années 2000 que le droit du sport est une discipline à part entière, à l’occasion d’un dossier concernant le droit des marques. À partir de ce constat, il décide de se spécialiser dans le droit du sport qu’il définit comme une « activité économique et non économique, qui découle de la pratique sportive ». Oui, reconnaît-il, cela « peut être très large ! » Droit du travail, des contrats, de la propriété intellectuelle, droit des sociétés, droit fiscal, droit de la communication, les secteurs sont nombreux. Et recouvrent tous les aspects des procédures juridiques : droit disciplinaire, droit pénal, droit administratif.
Mais à ses yeux, l’avocat spécialiste du droit du sport apporte évidemment une plus-value. « Pour être un bon avocat spécialiste, il faut une connaissance générale qui permette d’appréhender l’ensemble de ces matières. À défaut, cela vide le droit du sport de sa substance ». Certains pensent qu’il n’existe pas de pertinence à se spécialiser dans le droit du sport, mais Me Redouane Mahrach affirme au contraire que cela apporte une « expertise plus approfondie ». Et de prendre l’exemple simple d’un entraîneur qui serait remercié par son club et souhaiterait aller aux prud’hommes. « Certes, il pourrait se contenter d’un avocat généraliste, mais il se peut qu’il soit nécessaire de connaître la matière pour envisager toutes les problématiques qui n’apparaîtraient pas immédiatement. Car il se trouve que s’il est en club de 3e division, il n’y a pas de contrat de travail, la Fédération l’interdit : le code réglementaire du football et le droit du travail peuvent s’entrechoquer », poursuit-il.
De même, Me Sevan Karian, avocat spécialisé depuis six ans, dont l’activité majeure se concentre sur le football (il est l’avocat d’Antoine Griezmann) constate l’intérêt grandissant pour le droit du sport. « Il y a dix ans, quand j’étais étudiant, il n’existait pas de master dans cette matière. Aujourd’hui, il s’en créé de nouveaux tous les ans ! », précise-t-il, signe que les temps ont changé et que le monde universitaire reconnaît la pertinence de telles formations. Il est convaincu, aussi, du rôle unique de l’avocat. « Sans critiquer les agents, la licence FFF peut s’obtenir avec un niveau de droit basique. Pour moi, les agents et les avocats sont complémentaires ». À l’agent le suivi quotidien du joueur, les conseils techniques, à l’avocat les négociations et les points juridiques plus précis. « En plus des questions évidentes comme le temps de travail, le salaire, les primes, je réfléchis à toutes les hypothèses possibles. En cas de blessure par exemple, en France, le maintien de salaire intégral du joueur est de 90 jours, puis seule une partie est ensuite prise en charge par la Sécurité sociale. Mais si la durée de convalescence dépasse ces 90 jours ? Je pense donc négocier avec les clubs une durée supérieure à la durée légale. En cas de descente du club en division moindre, je pense à obtenir que le joueur puisse résilier son contrat ou garder son salaire dans des proportions plus avantageuses que celles prévues dans la charte », détaille Me Sevan Karian. Cette question de répartition des rôles entre avocats et agents prend toute son ampleur avec la problématique des avocats mandataires sportifs. « Il existe à ce titre deux écoles : les avocats qui considèrent que les avocats n’ont pas le droit de faire du commercial, et ceux qui considèrent que pour exercer cette fonction pleinement, ils n’ont juste pas le choix ». Intéressant aussi de constater que pour certains joueurs prestigieux, avoir un agent n’est plus indispensable puisque trouver un club n’est pas un problème, au contraire… « Des joueurs comme Cavani, Griezmann ou Mbappé reçoivent au contraire beaucoup de sollicitations. La tendance est donc de s’attacher les services d’un membre de leur famille comme agent au quotidien, et un avocat spécialisé en droit du sport pour sécuriser leurs intérêts de manière beaucoup plus sûre ».
Le cas des « sportifs de l’ombre »
Derrière les affaires retentissantes de transferts à plusieurs centaines de millions d’euros, se trouvent une myriade de situations moins médiatiques, mais qui témoignent des injustices vécues au quotidien par des sportifs mal protégés ou accompagnés. « On voit beaucoup d’argent circuler, mais ce n’est que la pierre visible de l’édifice : le nombre de personnes qui dépendent de cette économie est énorme ». Me Redouane Mahrach se rappelle, par exemple, d’une escrimeuse qui a subi du harcèlement pendant trois ans dans son club. Ce n’est qu’après ce laps de temps très long qu’elle a décidé que « sa relation sportive comportait des problématiques qui nécessitaient un traitement par un spécialiste ». Selon lui, et pour en revenir à la place de l’agent, « les sportifs font plus confiance à leurs agents qui vont pointer leur dossier, alors que les intérêts de l’agent ne se confondent pas avec ceux du sportif ». Il estime que les relations tripartites entre les clubs, les agents et les joueurs ont créé des situations de conflit d’intérêts, alors que « l’avocat ne défend que les intérêts de son client », précise Me Redouane Mahrach.
Généralement, les raisons pour lesquelles les sportifs font appel aux services d’un avocat sont multiples : avant la fin de carrière, c’est pour un accompagnement. En fin de carrière, c’est parce qu’ils réalisent qu’ils « se sont fait poignarder dans le dos, ont compris beaucoup de choses, ne font plus confiance à l’agent ». Ce peut être, d’après Me Redouane Mahrach une période de regrets et d’amertume, l’heure de faire le bilan, de comprendre qu’ils ont fait les mauvais choix dans la gestion de leur carrière. « Si j’avais su… » revient comme une litanie dans la bouche des sportifs. Et c’est un bien triste constat que dresse l’avocat : « Après avoir été trop entourés, certains découvrent la solitude, quand la vache à lait s’est tarie ».
Parfois, le sportif de l’ombre est … une sportive de l’ombre. Me Sevan Karian représente également une trentaine de joueuses de football. Il s’offusque de la différence de traitement existant encore entre joueurs et joueuses. « Il y a quelques années, ces joueuses n’avaient même ni agent, ni conseiller ». Même au PSG, elles étaient uniquement considérées comme amateures, et jouaient sans contrat. Les choses changent doucement, même si, contrairement à leurs homologues masculins, elles sont encore rattachées à la FFF (et non à la Ligue de football professionnel) et que le ratio salaire féminin-masculin (en D1) est de 1 à 10, soit une moyenne d’environ 3 000 euros par mois chez les femmes contre 35 000 euros par mois chez les hommes ». Et de proposer des solutions déjà appliquées en Angleterre, dans le but de réduire ces inégalités : « là-bas, on oblige les clubs à reverser un petit pourcentage des droits TV à la section féminine, ce qui permet d’augmenter la masse budgétaire, donc de mieux rémunérer les joueuses ».
Le football cristallise les problématiques
Si 80 % des activités de Me Redouane Mahrach se concentrent sur le football, c’est que ce sport est devenu hors norme, hors budget, et s’inscrit dans une démesure parfois choquante. « Depuis 2015 et la réforme de la Fifa, le statut d’agent sportif a disparu au profit de celui d’intermédiaire sportif », ce qui signifie une absence de relations contractuelles. « En cas de rupture de contrat de mandat, la résiliation se fait facilement et les dommages et intérêts sont plutôt faibles pour l’agent », s’inquiète Me Redouane Mahrach. Conséquences : parce que ces contrats se résilient facilement, « les joueurs ne veulent plus être liés contractuellement et ne veulent plus être accompagnés par personne ». Le statut d’intermédiaire pose dès lors problème : en France, certes, il faut une licence pour exercer, mais dans le monde, il suffit de s’enregistrer auprès de la Fifa qui donne un numéro, sans réelle régulation ».
Le football, économie gigantesque qui brasserait 5 milliards d’euros annuels en France et environ 400 dans le monde, n’est pas épargné par des dérives comme l’évasion fiscale. Pour Me Redouane Mahrach, il convient de faire la distinction entre des joueurs mal accompagnés, « qui à 16 ou 17 ans se retrouvent à gagner des fortunes, et à la fin de leur carrière, sont sur la paille », et des personnalités qui, comme Ronaldo, sont clairement dans une démarche d’évasion fiscale.
Dernière affaire en date pour cet avocat : un joueur coincé au Qatar, titulaire mais mis de côté au sein de son propre club, au profit d’un nouveau joueur, venu pour le « remplacer ». « Quand vous arrivez au Qatar, vous remettez votre passeport. Ce joueur a donc reçu des pressions pour qu’il signe un document où il stipulait renoncer à toute indemnité, en échange de son passeport ». Un mauvais pas dont le joueur a été tiré, à titre individuel, mais peut-être aussi de façon un peu politique : pour rappel, le Qatar accueillera la Coupe du monde de football de 2022.
Du côté des supporters
Mais quand on parle de sport, il n’y a pas que les joueurs… Il y a les supporters des joueurs. Me Cyril Dubois, avocat et fan absolu de football, est devenu l’avocat attitré des Ultras, catégorie particulière de supporters. Mouvement né en Italie dans les années 1960, il correspond à des supporters qui soutiennent de façon fanatique leur équipe de prédilection. À son actif, plusieurs victoires, comme celle obtenue contre les interdictions illégales de stade pour les Ultras du PSG. « Le plan Leproux (principales mesures de pacification lancées à l’été 2010 par l’ancien président du PSG) a puni 13 000 abonnés pour 300 supporters violents ou racistes ». Étant fan de football, Me Cyril Dubois a pris conscience des injustices qui pénalisaient ces supporters à la mauvaise réputation, comme les interdictions aléatoires de stade ou l’annulation de billets sans raison. La Cnil a d’ailleurs été épinglée pour ses « black list » en 2014, ce qui a donné lieu à plusieurs procès et à des constats d’huissiers à l’entrée des stades. « Le droit était avec nous, les deux parties (Ultras et PSG) se sont rapprochées », se réjouit l’avocat, qui reconnaît que « depuis deux ans, les Ultras ont pu revenir dans des conditions acceptables, sans subir d’actes illégaux de la part des clubs ». Mais un problème en chasse un autre. « Aujourd’hui, je pense que la loi devrait évoluer, notamment sur la question des fumigènes, et les autoriser dans un cadre festif », à certaines conditions (en créant un périmètre de sécurité, par exemple). Me Cyril Dubois ressent un « frémissement » du côté de la loi, avec plusieurs signes encourageants à ses yeux, comme l’évocation par Laura Flessel, la ministre des Sports, d’une possible réouverture du débat en décembre prochain, et des juges qui comprennent de plus en plus l’inutilité de criminaliser des étudiants ou des futurs ingénieurs, traités « comme des délinquants entre les dealers et les agresseurs sexuels ». À ses yeux, quel intérêt de pointer au commissariat au début de match, et à la mi-temps pour des suspendus de stade, ce qui les pénalise dans leur vie professionnelle ? Pour ces fans absolus, « ne plus assister aux matchs de PSG, c’est une mort sociale », punition suprême.
Des passionnés… raisonnés
Point commun entre tous ces avocats : être des passionnés de sport. Ils concilient donc leur passion et leurs compétences juridiques. Mais cela peut ébranler des certitudes. « Travailler dans le sport a clairement changé mon regard sur le sport. Il est très difficile de rester passionné face au sport-business, devenu un secteur marchand avec toutes les dérives, les escroqueries et le blanchiment d’argent, et des abus de faiblesse que l’on n’imagine même pas », lâche Me Redouane Mahrach. Pour Me Sevan Karian, passionné de football et de surf, le sport reste un outil d’émancipation et d’épanouissement auquel il croit encore. D’ici l’automne, il lancera une académie de football en Arménie – pays où il a ses racines – pour permettre à des enfants de villages arméniens très pauvres de bénéficier des valeurs positives liées au sport : partage, discipline, entraînement, effort « Et peut-être, pour une minorité, de sortir des joueurs pro ». Son but serait, à terme, de créer un pont entre l’Arménie et les clubs pro en Europe : nul doute que, côté juridique, ces joueurs ne manqueraient pas d’encadrement.