Les récents modes alternatifs de règlement des conflits accordent une place privilégiée aux notaires et aux avocats. Cette justice douce ne renouerait-elle pas, d’une certaine manière, avec la proximité judiciaire ?
La proximité a longtemps habité l’esprit judiciaire français. Ce terme sans nuance recouvre plusieurs dimensions : symbolique, sociale, économique, géographique et temporelle1. Il appelle, sans nul doute, la justice à être proche des justiciables2. Cette petite phrase aurait pu s’adresser à l’ancien droit tout entier ; l’histoire laisse en effet deviner l’existence d’instances locales chargées de réguler socialement les différends du quotidien. Chacune de ses périodes, du Moyen-Âge3 aux XVIIIe-XIXe siècles4, en dévoile des exemples. De ces formes variées, le juge de paix, institué en 1790, est le plus connu5. Mais ce mode de fonctionnement a perdu de sa santé au début du XXe siècle. La proximité n’était plus la priorité6 ; c’était déjà devenu le temps des revendications de l’égal traitement des litiges et de l’exigence des compétences juridiques des juges de paix. On supprima donc leur statut en 19587. Mais la profusion du contentieux, survenue depuis lors, a encouragé les praticiens du XXe siècle à vouloir faire revivre ce juge défunt8. Les justiciables, eux, n’ont pas manqué de trouver un peu sévère « l’anonymat oppressant du quotidien9 » auquel le manque de communication dans la sphère judiciaire les contraignait. Ce fut tout, mais c’en était assez pour inaugurer de nouveau la figure ancienne et exemplaire de l’institution de proximité. Des juges éponymes furent alors intégrés au système judiciaire10. À ce besoin de proximité11 répondait ainsi le souci du travail social de la justice12. Le projet, évidemment, était séduisant. Nul magistrat n’avait rendu comme lui une justice aussi peu répressive. On a, d’ailleurs, rapidement pensé abandonner le raisonnement binaire (avoir raison ou tort) pour dépasser les conflits13. Mais cet idéal organisationnel14 a avoué un bilan pessimiste15 ; la notion de justice de proximité fut sacrifiée sur « l’autel économique et budgétaire16 », pire encore, les estimations politiques l’auraient rendu parfois illégitime17. Sa suppression atteste de la nécessité d’y apporter des améliorations techniques.
Désormais, c’est dans les MARC que l’ambition se prolonge18. C’est un phénomène remarquable de notre temps qui mérite une attention particulière. La justice douce, en opposition à la violence du jugement : voilà où semble être la mise en œuvre actuelle de l’esprit de proximité19. Le siècle qui vient sourit au conciliateur ; présent dans tous les cantons, au plus près des justiciables, il est désormais le seul représentant officiel de la justice de proximité20, si bien que la doctrine prône l’idée de la création d’un juge conciliateur pour remplacer le juge de proximité21. Il est vrai, disons-le, que les conciliateurs sont déjà présents dans les maisons de justice et du droit (MJD)22. Instituées officiellement en 199823 et placées sous le contrôle du tribunal de grande instance, elles disposent d’une triple mission : assurer une présence judiciaire de proximité, concourir à la prévention de la délinquance, à l’aide aux victimes et à l’accès au droit, et développer des mesures alternatives de traitement pénal24. Ainsi la justice française commençait-elle, il y a 15 ans, à se hausser d’une volonté de proximité à l’art de bien répartir géographiquement ses institutions. Cette politique pénale, souvent guidée par les maires25, fut un succès auprès des justiciables26.
La doctrine juridique aperçoit peut-être un peu trop exclusivement les causes de cette transformation dans une volonté d’investir le champ social27. Mais, à la vérité, c’est un nouvel effort marquant avant tout la réappropriation urbaine du rôle judiciaire28. Ce mouvement contraire qui valorise le niveau local dans la lutte contre la délinquance et le sentiment d’insécurité29 dessine, d’une main sûre, un retour à la proximité judiciaire. Pour preuve, le rôle croissant accordé aux avocats et aux notaires dans le règlement des différends et la recherche d’une solution avant d’aller devant le juge30.
La fonction naturellement préventive du notaire, qui contribue à éviter les futurs litiges, le destinait assurément à tenir une place de choix dans les MARC31. Outre les clauses contractuelles de conciliation ou de médiation qu’il peut proposer aux parties32 et qui les tiennent33, il bénéficie à leur égard d’un devoir de conseil34. Mais depuis peu, il n’a cessé de s’élever dans l’encadrement des litiges déjà nés. On a encore peu parlé des notaires conciliateurs, mais ils existent. À la demande d’un magistrat, la chambre des notaires peut être chargée d’assigner à l’un d’entre eux la mission de rechercher, avec les parties, une solution amiable au conflit qui les avait menées en justice35. Une même logique est constatée chez les avocats. La procédure participative, reconnue comme une forme finement aboutie de la justice contractuelle36, leur permet en effet de diriger une discussion entre deux parties en conflit et de les mener à une solution amiable37. Jadis l’homme du procès, l’avocat se fait désormais l’homme du consensus38. C’est une place nouvelle que lui accorde la procédure judiciaire39 et qu’il entend bien saisir dans un contexte de déjudiciarisation40.