« Les Hauts-de-Seine manquent de juges spécialisés en liquidation des régimes matrimoniaux »
Pendant des années, le département des Hauts-de-Seine a pâti de délais records en matière familiale. La mobilisation du barreau et l’arrivée d’un nouveau président au tribunal judiciaire ont permis de revenir à une situation plus apaisée. Des améliorations restent néanmoins possibles, notamment en matière de liquidation des régimes matrimoniaux, expliquent Mathilde Rouannet et Sonia Koutchouk, coprésidente de la commission Famille du conseil de l’ordre. Entretien.
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Actu-Juridique : Quelle est la mission de la commission Famille du barreau des Hauts-de-Seine ?
Mathilde Rouannet : Avocate spécialisée dans le droit de la famille depuis le début de ma carrière il y a 8 ans, j’ai rejoint le cabinet Semya porté sur le droit de la famille et très centré sur la résolution amiable des conflits familiaux. Nous abordons tous nos dossiers par ce prisme. Depuis un an, je copréside la commission Famille du barreau avec Sonia Koutchouk. Cette commission réunit régulièrement les avocats pratiquant le droit de la famille au barreau des Hauts-de-Seine, propose des formations, incite à réfléchir à cette matière de façon collégiale. Nous sommes à ce titre des interlocutrices privilégiées des juges aux affaires familiales de Nanterre.
Sonia Koutchouk : Je suis avocate, médiatrice et auditeur pour enfant, une nouvelle fonction qui existe depuis 3 ans et vise à recueillir la parole des enfants dont les parents se séparent. La commission Famille vise à développer une compétence par le biais d’échanges avec des invités et sur des sujets variés. Contrairement à d’autres barreaux, nous ne sommes qu’un tiers d’avocats plaidants. Il est donc important d’avoir des occasions de se retrouver. La question des délais a beaucoup mobilisé la commission ces dernières années. Nous avons échangé très régulièrement avec le président Benjamin Deparis et la vice-présidente du pôle famille de Nanterre.
AJ : Quelle est la situation du pôle des affaires familiales de Nanterre aujourd’hui ?
Mathilde Rouannet : Elle s’est considérablement améliorée. Après le Covid, le pôle Famille était très sinistré. En 2021-2022, il y avait un délai de 12 à 15 mois pour une prise de date dans un divorce. Même pour des affaires urgentes, il était impossible d’avoir une date rapprochée. Il fallait des violences extrêmement graves pour y parvenir. Les gens devaient cohabiter même dans des situations d’emprise et de violences. C’était catastrophique. Les relations avec les magistrats étaient tendues, il était devenu difficile d’exercer. On était dans l’impasse pour conseiller, nos clients connaissant les délais de recours. L’arrivée du nouveau président, Benjamin Deparis, à la tête du tribunal judiciaire de Nanterre, a aidé à porter les efforts sur le pôle Famille. Ce dernier a été renforcé, et restructuré avec des créations de cabinets de magistrats uniquement rédacteurs. Pour une audience de divorce, nous avons désormais un délai de l’ordre de 6 mois. Pour une séparation hors divorce, nous sommes sur des délais de l’ordre de 4 mois. C’est très correct pour cette matière.
AJ : Quel impact a eu la réforme de la procédure de divorce ?
Mathilde Rouannet : Le changement de la procédure de divorce au début de l’année 2021 a mis fin à la pratique de l’audience de non-conciliation et instauré le passage à une assignation à date. Pendant l’année suivant son entrée en vigueur début 2021, les deux procédures ont cohabité. Cela a d’abord entraîné des délais considérables pour les deux procédures. Les juges faisaient des audiences de non-conciliation pour les dossiers déposés avant la réforme. Quelques années après, les choses sont rentrées dans l’ordre. Magistrats et greffiers se sont familiarisés avec la nouvelle procédure. Maintenant que la réforme est mise en place, on constate qu’elle présente des avantages. La procédure permet d’aller plus vite dans les divorces quand les gens le souhaitent. Ils n’ont plus d’obligation d’avoir cessé de cohabiter pendant 2 ans avant de demander le divorce. Cela a donné de la liberté aux parties comme aux magistrats.
Sonia Koutchouk : L’intérêt est aussi de ne pas avoir de mesure provisoire et que la présence des parties à l’audience ne soit plus obligatoire. L’assignation comporte toutes les demandes, contrairement à l’ancienne procédure pour laquelle il y avait d’abord un prononcé de mesures provisoires et ensuite un prononcé des mesures au fond. Quand il n’y a pas d’enfant ou de patrimoine en commun, on peut demander un prononcé de divorce immédiat. Cela peut être résolu en quelque mois. Maintenant que la procédure est bien connue de tous, cela permet de déstocker.
AJ : Le pôle Famille se porte donc bien aujourd’hui ?
Mathilde Rouannet : Cela va beaucoup mieux en effet. Des juges civils ont été affectés au pôle Famille. Néanmoins, le pan « liquidation des régimes matrimoniaux et successions » reste sinistré. Les dates de mise en état sont à 6 mois. De plus, la procédure est ensuite très longue : l’audience arrive plus d’un an après la clôture du dossier. Quand vous vous lancez devant une succession ou une liquidation du régime matrimonial devant le tribunal judiciaire de Nanterre, il faut aujourd’hui compter au minimum 3 ans. Ces procédures partent ensuite devant un notaire et reviennent au tribunal si les gens ne sont pas d’accord. Une liquidation peut donc durer 5 ou 7 ans ! Évidemment, ces délais ont moins de conséquences que lorsqu’il s’agit d’avoir une date dans un dossier comportant des violences conjugales. Mais cela crée parfois de graves problèmes financiers. Des ventes sont bloquées, des biens se dégradent. Cela peut représenter un préjudice de plusieurs centaines de milliers d’euros. Nous continuons donc d’alerter sur la partie liquidation et succession.
Sonia Koutchouk : Il y a 9 cabinets de juges aux affaires familiales à Nanterre, et seulement deux magistrats à mi-temps pour s’occuper des liquidations des régimes matrimoniaux pour toute la juridiction des Hauts-de-Seine. Cela crée un goulot d’étranglement car 80 % des affaires traitées par les JAF se retrouvent ensuite en liquidation. Comme Paris, les Hauts-de-Seine sont un département dans lequel certaines personnes ont de l’argent et du patrimoine. Il y a donc plus de besoins qu’ailleurs sur ce sujet dans le 92.
AJ : Pourquoi ce pôle « liquidation » est-il délaissé ?
Mathilde Rouannet : Il n’y a pas d’urgence humaine. Ces dossiers viennent après un divorce ou un décès. Vous ne mettez pas en danger la vie d’une famille en laissant traîner une succession. C’est moins urgent que les situations de cohabitation ou de pension alimentaire. Les magistrats ont donc concentré les moyens qu’ils ont reçus sur des dossiers qui leur semblaient plus urgents. Autre difficulté : le tribunal judiciaire de Nanterre manque de juges spécialisés sur ces sujets. Tant qu’il n’y en aura pas, ces dossiers seront délaissés. Peu de juges savent faire des liquidations et des successions. Il faut l’envie, la connaissance et le temps de prendre ces dossiers complexes sur le plan juridique. Ces dossiers prennent plus de temps que de fixer le montant d’une pension alimentaire. À Paris, le tribunal semble plus efficace sur ces sujets. Les délais n’ont en tout cas rien à voir.
Sonia Koutchouk : À l’issue du Covid, il y avait un stock monumental de dossiers de divorces et de séparations. On avait des clients qui nous appelaient et disaient ne plus pouvoir sortir ni cohabiter. Il n’y avait plus de structure d’accueil. Le tribunal a pris le parti de délaisser les dossiers de succession pour reporter les efforts sur le JAF et écluser des vieux dossiers, y compris certains suivant l’ancienne procédure de divorce. Il ne faut pas méconnaître non plus la question du réseau virtuel des avocats (RPVA). L’interface que nous avons n’est pas la même que celle des greffiers et magistrats. Cela crée des problèmes pour prendre des dates, et il y a des dates prises qui ne sont pas utilisées… Cela crée un engorgement et contribue aux délais très longs en matière de liquidation.
AJ : Vous êtes spécialisées dans les MARD. Est-ce une piste pour réduire les délais ?
Sonia Koutchouk : Oui, tout à fait. Quand un époux est d’origine étrangère ou que le mariage a été célébré à l’étranger, le recours au juge reste indispensable. Mais de plus en plus d’avocats se forment aux modes amiables, pour ne pas être tributaire des délais et permettre à leurs clients d’avoir des décisions sur mesure. Ces avocats maîtrisent des outils de négociation raisonnée. Ils arrivent à éviter le contentieux post-séparation. Nous sommes attentifs aux besoins de nos clients et de la partie adverse, ce qui permet d’éviter les contentieux post-séparation. Ces solutions sur-mesure peuvent être plus longues à mettre en place, mais elles permettent d’apaiser la société. Un avocat qui fait de l’amiable sait défendre mais aussi écouter. C’est aussi efficace car dans le judiciaire il y a un aléa important. Quand le juge rend une décision, une des deux parties est déçue, parfois même les deux. En novembre, nous avons participé à un colloque sur la justice amiable en présentant de nouveaux outils qui intéressent les magistrats, comme le consensus parental, le coaching parental, ou l’audition d’enfant. Les magistrats sont sensibilisés aux exemples étrangers et de l’efficacité d’une approche interdisciplinaire dans les dossiers de séparation : en Belgique, une magistrate pratique le « consensus parental », elle fait de la pédagogie en plus du droit. Cette approche a inspiré d’autres juridictions, celles d’Arras et de Montpellier, par exemple. Les avocats s’y habituent. À Nanterre, une cinquantaine d’avocats pratiquent la médiation. Ce n’est pas encore beaucoup, mais ils y trouvent des satisfactions. C’est une autre façon de rendre la justice.
Référence : AJU016j0