Les premières avocates du barreau de Versailles
Créé le 27 décembre 1825, le barreau de Versailles comprenait seulement sept membres à ses débuts. Tous des hommes, en concurrence avec son barreau voisin, celui de Paris. Il faudra attendre le XXe siècle, soit près d’un siècle, pour que les femmes accèdent enfin à la profession. Jeanne Chauvin et Sophie Balachowsky-Petit sont les premières à prêter serment en 1900 à Paris. Mais Versailles n’est pas en reste, ce barreau a également eu son lot de pionnières.
Dans l’article « Les premières avocates du barreau de Paris » (Mil Neuf Cent, revue d’histoire intellectuelle, 1998), l’historienne Anne-Laure Catinat rappelle que la Première Guerre mondiale a marqué « un tournant dans les possibilités d’accès aux professions pour les femmes » avec l’ouverture d’écoles commerciales et d’ingénieurs et la création en 1919 d’un Bac féminin qui permet l’accès à l’université. Vers 1920, on assiste à « l’arrivée massive des jeunes filles dans les universités de droit parisiennes et provinciales » après des « combats acharnés pour « récupérer » le droit de prêter serment. « Récupérer », car ce droit n’avait jamais été officiellement interdit aux femmes depuis l’Antiquité. » De 1900 à 1917, la France compte seulement dix-huit avocates. À Paris comme à Versailles, l’accueil « masculin » fut « parfois hostile aux étudiantes, puis aux avocates stagiaires » mais, écrit l’historienne, « ces dernières ont su faire abstraction de railleries et des reproches, qui témoignaient tant d’une mentalité alors quasi générale, que d’une inquiétude face à des concurrentes potentiellement dangereuses ». Après la Première Guerre mondiale, « les pionnières, par leur persévérance et leur travail avaient balisé le terrain, et conquis une légitimité ».
Sur les traces de Maître Julia Le Roy
Bien qu’il soit plutôt facile de trouver des informations sur les premières avocates parisiennes, il est chose moins aisée lorsqu’il s’agit du barreau de Versailles. D’autant plus que la plupart ont prêté serment à Paris avant d’exercer à Versailles. Il faut alors se plonger dans des coupures de presse de l’époque. Dans L’Écho de Paris du 25 avril 1920, c’est une annonce de mariage qui nous met sur la piste de « Julia Le Roy, avocate au barreau de Versailles ». Elle annonce ses noces qui auront lieu deux jours plus tard, le 27 avril avec Martial Tricaud, attaché au ministère des Finances. En remontant le fil, on découvre que Julia Maria Olive Le Roy a prêté serment le 7 juillet 1910 devant la première chambre de la Cour, présidée par le premier président Forichon. Fille d’un attaché à une compagnie d’assurances, elle est la « treizième avocate inscrite au barreau de Paris », comme le relatent bon nombre de journaux.
L’année suivante, elle publie une lettre ouverte dans La Démocratie, demandant aux magistrats de ne pas poursuivre Lucien Guillemette, un adolescent ayant tué son père au Vésinet (78). Elle écrit : « Lucien Guillemette a tué dans le cas de légitime défense. Il a tué pour délivrer sa mère de la tyrannie d’une brute ; Lucien Guillemette n’est pas un assassin ». Défendu par Maître Grandcollot, avocat du barreau de Paris, Lucien est finalement acquitté. Julia Le Roy participe la même année à la Conférence des avocats de la cour d’appel de Paris et le 31 octobre, elle est aux assises de Versailles pour sa première plaidoirie – « c’était la première fois que l’on voyait à Versailles plaider une avocate », écrit le journal L’Action du 1er novembre 1911. Elle y assure la défense de treize « faiseuses d’anges » auprès de « Me Lebreton, Blondel, de Brissac, Dubois, Dion, Picard, Cousin, Pic, Camille Beer ». L’année suivante, le journal La Libre Parole retient sa « plaidoirie humoristique » dans une affaire de « détournement d’objets saisis ». En 1913, elle défend des parents accusés de maltraitance sur enfants, condamnés à deux ans de prison pour la mère et six mois pour le père. Mais après son mariage en 1920, les sources accessibles ne font plus mention de son travail d’avocate. Seul un faire-part annonce la naissance d’un quatrième enfant, le 30 octobre 1927. Et l’on perd sa trace…
Maîtres Thalamas, Gille, et les autres
Si Julia Le Roy prête serment en 1910, le site du barreau de Versailles accorde la primauté à Maître Thalamas, qui prête serment en 1912. Mais, mis à part son accident de bicyclette ou certains déboires avec un procès en diffamation contre deux journaux, la carrière de Maître Thalamas n’est pas beaucoup suivie par la presse.
C’est également le cas pour les autres avocates du barreau qui font parfois irruption dans les colonnes, sans pour autant que l’on ait de détails sur leur personne. Elles n’étaient pas nombreuses entre 1910 et 1940. Il y avait par exemple Maître Hélène Gille, qui prête serment le 10 octobre 1935 et que l’on retrouve à la défense de « la veuve Cauchois », condamnée à deux mois de prison avec sursis par le tribunal correctionnel de Versailles pour maltraitance sur son enfant en 1921 (Le Matin). Ou encore Maître Pauline David, citée en 1939 pour la défense de Georges Boittin aux assises de Seine-et-Oise – ce peintre qui « tua sa femme à coups de fusil » et qui fut condamné à cinq ans de prison – ou pour celle de Jacques Gaouyard, 19 ans, pour le meurtre d’un adolescent de 15 ans, condamné aux travaux forcés à perpétuité.
D’autres noms apparaissent dans les tableaux des membres de l’ordre du barreau de Versailles, comme celui de Madeleine Marie Virginie Boutet, ayant prêté serment le 16 octobre 1930, de Marie Thérèse Marguerite Bouchard avec une prestation de serment le 26 novembre 1931 ou encore Ginette Synave, qui prête serment le 24 janvier 1931. Cette dernière deviendra la première bâtonnière du barreau de Versailles en 1959. Un portrait lui a déjà été consacré (https://www.actu-juridique.fr/professions/ginette-synave-premiere-batonniere-du-barreau-de-versailles/). Difficile de ne pas évoquer l’avocate Renée Jardin (prestation de serment le 15 juillet 1924), qui assura notamment la défense du tueur en série Weidmann à Versailles. Certes, elle a été l’une des figures du barreau durant un temps, mais la Seconde Guerre mondiale mit fin à sa carrière pour des faits de collaboration. En 1944, elle quitte la France pour les États-Unis. En juillet 1945, elle est condamnée par contumace par la cour de justice de Seine-et-Oise pour « intelligence avec l’ennemi et propagande antinationale » d’après le journal Ce Soir. Elle est aussi rayée de l’Ordre des avocats.
Ces quelques exemples apportent une vision un peu plus précise de l’activité des avocates à Versailles dans la première moitié du XXe siècle. Comme le note Anne-Laure Catinat, « les causes plaidées sont loin d’être toujours des causes de « femmes », défense de la veuve et de l’orphelin ou des causes de « pauvre » en commission d’offices, comme le suggère une caricature de Marcel Picaud représentant une avocate recoiffant un « apache » en guenilles. » Elle ajoute : « Les avocates ne se sont cantonnées ni au droit de la famille, ni à une clientèle exclusivement féminine. » Si elles n’ont pas toutes eu un engagement féministe, la plupart de ces pionnières ont milité « pour leur cause, la cause des femmes et ont combattu pour l’élargissement des droits politiques (droit de vote) ou civils. L’avocate qui avait l’habitude de s’exprimer à la barre était incontestablement une recrue efficace pour le mouvement féministe. »
Référence : AJU015y0