Hauts-de-Seine (92)

« Les tensions retombent »

Publié le 16/03/2021

Les avocats des Hauts-de-Seine (92) ont un nouveau bâtonnier depuis le 1er janvier dernier. Comme son prédécesseur, Vincent Maurel, Michel Guichard est avocat spécialisé en droit des affaires. Après une période mouvementée du fait de la grève contre la réforme des retraites puis de la crise sanitaire, il veut resserrer les liens avec la juridiction.

Les Petites Affiches : Vous avez eu plusieurs vies professionnelles. Pouvez-vous nous les raconter ?

Michel Guichard : Je suis devenu avocat en 2000, après une précédente carrière au ministère du Budget. J’exerçais, dans cette première vie professionnelle, au service de la législation fiscale, dont la mission est de préparer les textes de loi et la doctrine administrative en matière de fiscalité. J’y suis resté 18 ans. J’étais en charge des questions liées à la TVA puis aux relations internationales. Nous suivions les évolutions de la législation sur la TVA, liée à l’irruption du droit communautaire dans la législation française. Lorsque je suis arrivé dans le service, le ministère considérait que la législation française était supérieure au droit européen. Il a fallu l’influence du Conseil d’État pour qu’on relise la directive. Il y avait plusieurs points de divergence et il a fallu s’adapter au droit communautaire. Ce fut un travail très intéressant : il s’agit de rencontrer le Conseil d’État pour participer à l’élaboration du texte de loi, de suivre le débat parlementaire et soutenir ou non les amendements. En charge ensuite des relations internationales, je faisais partie de l’équipe qui négociait les conventions fiscales internationales. J’étais en charge notamment des conventions américaine et japonaise. Je participais à des réunions avec les directeurs des impôts de chaque pays car ces conventions fiscales internationales ont une portée diplomatique. J’ai dû quitter ces fonctions car l’administration incite ses agents à changer de service. J’ai alors choisi de devenir avocat.

LPA : Qu’avez-vous aimé dans ce métier d’avocat ?

M.G. : J’ai commencé chez Arthur Andersen. J’y suis resté 3 ans. J’ai ensuite rejoint Deloitte pour créer ensuite le cabinet TAJ/Deloitte, un cabinet indépendant. J’étais membre du comité exécutif. J’ai refait de la TVA pendant plusieurs années, avant d’intervenir sur le contentieux fiscal de manière générale.

Changer de braquet est un exercice stimulant. J’ai vu pendant des années ce sujet à travers le prisme administratif, je le vois désormais à travers celui du client. Je défends leur point de vue avec la même énergie que je défendais celui de l’administration auparavant ! J’essaye de réconcilier l’administration et le contribuable, je cherche des solutions pour éviter le conflit. Connaître les rouages de l’administration me permet d’avoir les clés pour que les uns et les autres dialoguent au mieux.

LPA : Pourquoi des fonctions de représentation ?

M.G. : Je suis en fin de carrière. Je n’ai plus l’obligation de développer ma clientèle. J’ai donc voulu me mettre au service de mes confrères. J’ai fait ce choix, en sachant que je serai davantage disponible que d’autres avocats qui doivent mener de front leur cabinet et leurs fonctions de bâtonnier.

LPA : Que retirez-vous de votre année de dauphinat ?

M.G. : Ce fut une année très dense. Nous avons dû nous faire entendre pour défendre notre profession. Cela a donné lieu à des grèves dures. Je n’ai jamais autant manifesté qu’en une année ! Nous avons également rencontré des parlementaires, fait différentes opérations de communication. Nous avons eu la satisfaction que le projet de réforme des retraites soit mis sous l’éteignoir pour un moment. Les quatre derniers mois de l’année, j’ai suivi de près les activités de l’ancien bâtonnier Vincent Maurel.

J’ai pris mes fonctions le 1er janvier dernier avec une bonne connaissance du fonctionnement de notre barreau. Celui-ci est atypique, car il contient deux tiers de grandes structures internationales, et un tiers de structures que l’on dit judiciaires, plus petites. Tout avocat fait du conseil, propose des stratégies, avant de défendre. Il faut réussir à fédérer les avocats en robe, qui pratiquent la défense, et ceux en costume, qui font du conseil. Les premiers sont souvent au palais, les derniers n’y sont jamais. Il faut parvenir à ce que tous aillent dans le même sens alors qu’ils sont confrontés à des enjeux différents.

LPA : Comment faire pour les réunir ?

M.G. : Je connais les gros cabinets et je sais qu’ils disposent d’un potentiel qui peut être mis à disposition des petites structures. Ils ont en effet des formations toutes prêtes, que je leur ai demandé de proposer à des confrères de structures plus petites, qui pratiquent à plus petite échelle le droit fiscal, le droit des contrats ou des obligations. Dans cet esprit, j’ai créé l’école de la fiscalité.

Je souhaite également mettre davantage les grandes structures à contribution dans les réflexions sur le futur de la profession. Le gouvernement a le projet d’obliger les avocats à dénoncer des schémas fiscaux agressifs des entreprises qu’ils conseillent. Nous estimons que cela provoquerait la rupture du secret professionnel qui fonde notre profession. Le barreau des Hauts-de-Seine s’est d’ailleurs adjoint à un recours fait par le CNB et l’Ordre des avocats de Paris contre cette ordonnance. Nous aimerions pouvoir compter sur les compétences et la technicité des grosses structures sur ces sujets.

Je souhaiterais également qu’elles renforcent leur déontologie. Bien que n’exerçant pas au palais, les obligations de la profession s’appliquent à elles. J’ai prévu des formations pour leur rappeler la portée du secret professionnel, le rôle du bâtonnier qu’elles peuvent avoir tendance à oublier puisqu’il ne s’agit pas de plaider.

Les locaux de l’ordre ont été rénovés. Nous allons disposer d’une grande salle de conférences, dans laquelle j’espère pouvoir organiser des événements festifs réunissant tous types de structures.

LPA : Vous dites également vouloir renforcer les liens avec la juridiction…

M.G. : Cela me semble fondamental. Le conseil des prud’hommes et certains pôles du tribunal judiciaire connaissent une situation difficile, qui a un impact sur le travail des avocats. Le conseil des prud’hommes a ainsi des délais d’audiencement de trois ans ! Nous avons pris l’initiative, avec la présidente du tribunal judiciaire, de faire une campagne d’information pour obtenir qu’il y ait à Nanterre davantage de magistrats et de greffiers. Le garde des Sceaux a octroyé des moyens supplémentaires au pénal à des juridictions comme Bobigny et Marseille. Mais le pénal, ce n’est pas tout ! La taille des tribunaux et la population de leur ressort n’ont pas été suffisamment prises en compte. Pour le tribunal de Nanterre, les moyens mis en place ne correspondent pas aux besoins.

LPA : Les relations entre magistrats et avocats ont été très tendues en 2020. Comment se portent-elles aujourd’hui ?

M.G. : Les tensions liées à la grève retombent. Les relations sont bien meilleures, et nous venons de lancer des commissions réunissant magistrats et avocats. Ceux-ci vont réfléchir ensemble sur différents sujets : le pénal, la famille, les obligations, la déontologie, etc. Ils vont tenter de donner des réponses communes aux sujets qui peuvent être clivants. Ces commissions devraient se réunir au moins une fois par mois. Percevoir les problèmes de l’autre devrait fluidifier les échanges.

Avocat

LPA : Comment allez-vous encourager la dimension internationale de la juridiction ?

M.G. : Nous avons beaucoup de jumelages avec de nombreux barreaux dans le monde, en Europe mais aussi à Beyrouth ou en Haïti. Ces partenariats ont débuté par des concours d’éloquence francophone. Je voudrais qu’on les recentre autour des droits de l’Homme, et qu’on se mobilise pour aider les barreaux et les confrères en difficulté. Une commission « Droits de l’Homme et solidarité » vient de se monter à cette fin. Il faut faire vivre ces partenariats, qu’ils servent à quelque chose.

LPA : Le barreau va-t-il développer le numérique ?

M.G. : Nous disposons aujourd’hui de tous les moyens nécessaires pour cela. Nous sommes équipées pour faire n’importe quel type de réunion dématérialisée. Nous allons développer l’incubateur créé en 2020. Il aura une première fonction : incuber des jeunes start-up créées par les avocats et pour les avocats, car on s’aperçoit que le domaine du droit est dévoyé par des personnes qui ne sont pas des avocats et ont pour but de faire non pas du droit mais de l’argent. Il faut que les avocats reprennent la main ! Nous allons faire un concours d’innovation et sélectionner une ou deux start-up que nous accompagnerons. Cet incubateur aura une deuxième mission : celle de former les confrères sur les moyens informatiques et les réseaux, afin qu’ils puissent faire des sites internet intéressants pour leurs clients et des présentations attractives. Le Covid a permis aux avocats de mieux utiliser les outils à leur disposition. Il faut les aider à aller plus loin, notamment en termes de communication.

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