Louis le Foyer de Costil : « Le harcèlement scolaire est un angle mort de la politique pénale » !

Publié le 09/11/2023

Alors que les affaires de harcèlement scolaire se multiplient dans la sphère médiatique, Actu-Juridique s’est entretenu avec l’avocat parisien, Louis le Foyer de Costil, spécialiste de la question. Rencontre.

Actu-Juridique : Entend-on plus parler de harcèlement scolaire ou y en a-t-il plus, selon vous ?

Louis Le Foyer de Costil : Je ne sais pas s’il y a plus de harcèlements scolaires qu’avant mais ce qui est certain c’est que le seuil de tolérance a baissé. Les études d’opinion montrent que la société est moins violente qu’auparavant mais que paradoxalement, on tolère moins la violence. Je lis actuellement Oliver Twist, de Charles Dickens, et on se rend compte du degré de violences d’alors ! En ce qui concerne le harcèlement scolaire, on a pu considérer comme « normal » de se moquer du « petit gros ». C’est vieux comme le monde. Mais aujourd’hui, on ne tolère plus que des gamins soient humiliés parce qu’ils sont différents.

Par ailleurs, ce domaine se « juridicise ». Les textes existaient déjà, avec notamment une circulaire de 2013 sur la prévention et lutte contre le harcèlement à l’école puis une loi de 2019 pour une école de la confiance (L. n° 2019-791 du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance, https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000038829065/). Une nouvelle loi datant de 2022 (L. n° 2022-299 du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire) punit désormais plus strictement le harcèlement. Elle a durci les peines encourues en cas de harcèlement scolaire, punissant les faits de 3 à 10 ans de prison. Cependant dans la réalité, il n’y a, à l’heure actuelle, aucune condamnation ou presque au titre de cette infraction. Les plaintes pour harcèlement scolaire (non accompagnées de violence physique ou de harcèlement sexuel) sont presque systématiquement classées sans suite ou suivies d’un rappel à la loi. Personne ne souhaite en effet mettre des enfants de 10 ans en prison. Ce n’est pas en durcissant le volet pénal que le harcèlement pourra être éradiqué.

Symptôme de cet échec de la surenchère pénale, on envisage désormais de bannir les harceleurs des réseaux sociaux et les priver de leurs téléphones portables. Ce sont des mesures répressives symboliques, mais qui ne vont rien changer dans les faits (les portables peuvent d’ailleurs déjà être confisqués selon le Code de l’éducation). Confisquer des portables : ce n’est pas à la justice de mettre autant de moyens pour des choses aussi insignifiantes.

AJ : Aux yeux du ministère de la Justice, cette lutte est-elle autant une priorité que pour le ministre de l’Éducation nationale ?

Louis Le Foyer de Costil : C’est un sujet dont on parle dans les médias dès qu’il y a un suicide. Mais le harcèlement scolaire est un sujet qui existe même quand il ne fait pas les gros titres. Il est intéressant de lire la circulaire d’Éric Dupond-Moretti de début septembre 2023 qui définit comment réprimer les infractions commises dans les établissements scolaires : on n’y parle ni de harcèlement, ni de harcèlement scolaire, ni même d’aucune violence commise sur les enfants ! Le prisme de la politique pénale en milieu scolaire est de lutter contre les parents ou les enfants qui agressent les enseignants ou qui portent atteinte aux principes républicains. Il n’y a rien sur les principales victimes, qui sont les enfants. Le harcèlement scolaire est un angle mort de la politique pénale.

AJ : Que dire de cette réponse pénale justement ?

Louis Le Foyer de Costil : Je ne sais que dire sur la réponse pénale : les affaires sont presque toujours classées sans suite, sauf s’il y a du harcèlement sexuel ou que cela va jusqu’au suicide. Mais les suicides sont rares heureusement ! La majeure partie du temps, l’enfant harcelé va être déscolarisé, être en souffrance, consulter un psychologue ou un psychiatre. Dans ces cas-là, malgré leur gravité, la police ou la gendarmerie ont tendance à considérer que c’est le rôle des établissements de gérer la situation donc de renvoyer les élèves incriminés.

Parfois, le harcèlement commence par des choses anodines, c’est un tel qui ne veut plus parler à untel, c’est un autre gamin qui se fait insulter. Ce n’est pas les faits que la police gère habituellement. De plus, il est très compliqué d’entendre 25 enfants de 12 ans. Déjà que les établissements ont du mal à gérer alors qu’ils connaissent les élèves. Quand il y a violence physique, quand il y a des coups, des ITT, des certificats médicaux, les policiers savent faire. Le harcèlement a justement été inventé pour faire face aux situations qui ne relèvent pas forcément de la violence physique, mais là-dessus les forces de police me semblent moins formées et parfois perdues.

AJ : Quelles difficultés identifiez-vous dans les affaires de harcèlement scolaire ?

Louis Le Foyer de Costil : Globalement, les établissements commencent à mieux savoir gérer ces situations. Faire venir des personnes pour en parler, mettre en place un protocole (protocole PHARE), c’est bien et clairement cela est mieux qu’une loi qui punit de 10 ans d’emprisonnement les faits de harcèlement scolaire. Mais il y a des problèmes de fond : il n’y a pas forcément de médecin ou de psychologue scolaire. Lors d’une dernière audience, où nous défendions une victime, on nous a rétorqué : « Ils ne sont pas allés voir le psy ou médecin scolaire » pour prouver la situation de harcèlement. Et la maman a hurlé ! Elle avait fait cette demande, mais il n’y en avait pas dans son établissement. Certains parents, qui ont un peu d’argent, pourront donc en consulter un de leur côté en libéral, ainsi qu’un avocat, mais d’autres n’ont ni les moyens ni le réflexe. C’est compliqué aussi pour les surveillants : il est plus facile d’instruire des cas de violences ou d’incivilités « simples », contrairement au harcèlement où les traces sont plus insidieuses et difficiles à recueillir.

Le harcèlement scolaire, c’est un vrai paquet de nœuds. Les parents ne savent pas forcément comment gérer. Pour les parents d’enfants accusés, ils considèrent que les accusations sont fausses car c’est la chair de leur chair, ils sont perdus ou dans le déni. Parfois, ils sont furieux que la souffrance de leur enfant n’ait pas été assez entendue. En effet, la parole des enfants (harceleurs ou harcelés) n’est trop souvent pas bien prise en compte. C’est pourquoi, nous devons passer par des psychologues ou des pédopsychiatres pour recueillir leur parole. Car quand un parent affirme simplement à l’école « mon enfant a subi du harcèlement », l’école si elle n’a rien vu, met en doute cette parole et rétorque qu’elle connaît mieux leur enfant qu’eux. C’est également vrai quand des sanctions sont prises : je pense à des procédures disciplinaires où on n’a même pas entendu la parole de la victime présumée. Bien sûr les chefs d’établissement manquent de temps, ce qui peut entraîner des enquêtes bâclées. En effet, il leur est difficile de caractériser les faits.

AJ : Vous dénoncez un espace où le contradictoire n’a pas sa place…

Louis Le Foyer de Costil : Parfois, les sanctions sont données à la tête du client, de manière expéditive, un enfant dissipé va faire office de bouc émissaire. Ce qui compte pour l’école n’est pas toujours de sanctionner l’enfant fautif mais de rétablir la paix dans l’établissement.

En tant qu’avocat de la défense, on tombe parfois de notre chaise en conseil disciplinaire : il y a des dossiers non communiqués, des témoignages anonymes, parfois des témoins juges et parties. Comme ce n’est pas une juridiction, il n’y a pas de droit au procès équitable. Le droit au procès équitable ne s’applique pas en matière disciplinaire. Et c’est encore pire dans les établissements privés qui ne garantissent même pas les principes du Code de l’éducation.

AJ : Et quid du harcèlement en ligne ?

L.F.D.C. : Au regard de ma pratique d’avocat en droit de l’éducation, je constate plutôt du harcèlement scolaire qui se poursuit sur les réseaux sociaux à la maison. En théorie, les élèves n’ont pas leur téléphone à l’école. Au sein de mon cabinet, on ne traite pas les cas de harcèlement en ligne, qui est un vrai fléau, avec des personnalités, des influenceurs qui vont appeler au raid contre quelqu’un mais, mais plus à la poursuite sur les réseaux de ce qui se passe déjà dans le cadre de l’école.

AJ : Le lien avec le numérique n’est donc pas évident ?

Louis Le Foyer de Costil : Non, pas forcément, du moins au regard des dossiers traités par mon cabinet qui n’est pas nécessairement représentatif. Les élèves que je vois, n’ont même parfois pas encore de téléphone. Mais il arrive qu’un enfant soit harcelé, que son harceleur soit exclu et qu’il le harcèle ensuite via Snapchat ou d’autres réseaux. Ce qui change, c’est que des insultes écrites ou sous forme d’audio, sur les réseaux sociaux, même si elles ne sont pas systématiques, laissent des traces, constituent des preuves exploitables. Mais malgré cela, les affaires sont trop souvent classées sans suite.

AJ : Êtes-vous davantage contacté ces dernières années ?

Louis Le Foyer de Costil :Nous traitons beaucoup de dossiers de harcèlement scolaire mais cela est lié à l’activité du cabinet, nous sommes identifiés là-dessus. Les parents ne veulent pas se laisser faire et veulent se défendre qu’ils soient parents de victimes ou d’accusés. Quand il y a des règles, il faut qu’elles soient respectées. Avant, les élèves rentraient avec des lunettes cassées, on leur demandait d’arrêter de pleurer, de ne pas se plaindre. Aujourd’hui, les parents se disent qu’il n’est pas normal que leur enfant vive ça, qu’ils tombent en phobie scolaire, qu’ils se fassent du mal à lui-même ou aux autres.

AJ : Vous dites que l’arsenal législatif est suffisant. Mais quels sont les freins ?

Louis Le Foyer de Costil : Ce n’est pas le droit, le problème, c’est sa mise en œuvre. Ce sont les moyens humains. C’est également un problème « culturel » des rectorats dans la manière de traiter les mises en cause de l’établissement et des agents. Quand un enfant est harcelé et que les parents se plaignent de manière trop insistante, le réflexe des établissements consiste trop souvent à faire un signalement à l’aide sociale à l’enfance, une manière de renvoyer la responsabilité aux parents. Le clash arrive avec les parents quand l’institution ne fait pas acte de transparence alors qu’eux ne voient que leur enfant qui va à l’école avec la boule au ventre tous les matins. Ils savent que cela peut arriver, mais ils en veulent à l’institution qui n’a pas su le protéger. Du dialogue, des explications, des excuses même, plutôt que de « faire bloc » permettraient parfois de désamorcer les situations.

AJ : En quoi le manque de moyens dans l’éducation aggrave-t-il encore la situation ?

Louis Le Foyer de Costil : Dans le primaire, il n’existe même pas de vie scolaire. Au collège, le surveillant n’a pas le temps pour faire une enquête. C’est souvent du bricolage. Le manque de psychologue ou de médecin scolaire est énorme.

Les AESH qui s’occupent d’enfants différents ou souffrant de handicap visible ou invisible sont en nombre très insuffisant. Personne ne se bouscule au portillon pour 800 euros par mois et accompagner ces enfants, qui deviennent parfois harcelés, parfois harceleurs. La question de la carte scolaire enfonce le clou : car les écoles privées sous contrat choisissent leurs élèves, les enfants compliqués sont refusés ou exclus des écoles privées. Cela peut aggraver la situation des écoles publiques qui doivent gérer le harcèlement d’un élève ou tout l’établissement gangrené par les violences, avec davantage d’enfants en souffrance ou harceleurs. Une certitude : le harcèlement, c’est partout, dans le public, le privé, chez les filles comme chez les garçons, de tous les âges. C’est universel !

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