Magali Delacourt-Plessix : « En matière de séparation, le droit ne peut pas tout » !

Publié le 16/04/2024

Une carrière d’avocat est rarement une ligne droite. Celle de Magali Delacourt-Plessix, devenue avocate en droit des personnes après une formation de publiciste, en est un bon exemple. Elle a accepté de nous recevoir, dans un cabinet élégant du boulevard Malesherbes à Paris, pour évoquer ce métier qu’elle aime et qu’elle a découvert par la pratique. Rencontre.

Actu-Juridique : Quelle est votre activité d’avocate ?

Magali Delacourt-Plessix : Je suis avocat au barreau de Paris depuis janvier 2002. Depuis plus de 20 ans, j’exerce en droit de la famille, champ très vaste au centre duquel se trouve l’individu et la famille qu’il a construite, dont il vient ou dont il veut s’éloigner. Ma pratique est donc diverse entre divorces, pacs, adoption et filiation, changement de nom ou de prénom, régimes matrimoniaux, successions. Il arrive que certains dossiers aient un volet pénal, notamment en cas de non-présentation d’enfant ou d’abandon de famille ou lorsqu’il existe des violences intrafamiliales ou conjugales. Je suis un avocat qu’on pourrait qualifier de « classique », entre cabinet, rendez-vous extérieurs, expertises chez les notaires et plaidoiries. J’aime avoir cette variété d’interlocuteurs.

AJ : Vous destiniez-vous à cette matière ?

Magali Delacourt-Plessix : Pas du tout ! Collégienne puis lycéenne, je n’ai jamais pensé ni souhaité être avocat. J’étais attirée par la diplomatie ou la carrière préfectorale, et j’avais un fort attrait pour le service public. J’ai passé mon baccalauréat dans l’Oise, et je me suis inscrite en faculté de droit, à l’université Paris-Panthéon-Assas. Je pensais bifurquer vers Sciences Po ou une carrière administrative, d’autant que j’avais comme  professeur de droit administratif Pierre Delvolvé, qui était excellent, quasi magnétique ! J’avais eu un coup de cœur pour cette matière. Jusqu’en maîtrise, j’ai privilégié le droit public. J’ai poursuivi avec un DEA de droit public interne et j’ai même entamé la rédaction d’une thèse, mais cela s’est révélé être un exercice trop solitaire pour moi. En cours d’année, un ami m’a suggéré de faire un stage dans le cabinet de sa mère avocate, Me Françoise Mouet-Barat, avant d’intégrer un IEJ et de passer le CAPA à la rentrée suivante. J’ai suivi son conseil, et je suis arrivée dans le cabinet d’un couple d’avocats, situé dans le IVe arrondissement de Paris. Lui était spécialiste du droit immobilier, elle intervenait essentiellement en droit des personnes. J’ai passé plusieurs mois à leurs côtés, et ce métier a été une révélation pour moi. Après avoir passé le CAPA et prêté serment, je suis devenue leur collaboratrice, et je me suis consacrée à mon tour au droit des personnes, de la famille et du patrimoine. Cela m’a tout de suite beaucoup plu même si j’étais loin de ma formation académique dont je reste cependant étroitement liée au quotidien, mon époux étant professeur de droit public dans l’université où nous nous sommes croisés, lui parvenant à achever sa thèse !

AJ : Ne pas avoir fait le cursus de droit des personnes vous a-t-il posé problème ?

Magali Delacourt-Plessix : Je suis publiciste de formation, j’ai suivi les enseignements de droit administratif, public international, du contentieux administratif, du droit administratif des biens… Mais finalement je suis juriste et bien que n’ayant pas suivi de manière approfondie les matières telles que le droit des régimes matrimoniaux ou des successions, je m’y suis mise, formée par Me Françoise Mouet-Barat. En 2013, après plus de 10 ans de collaboration, je me suis installée à mon compte. Après une association de quelques années, j’exerce de nouveau individuellement dans des locaux partagés par une quinzaine d’avocats, aux spécialités différentes. Mes études de droit public n’ont pas été un obstacle sur le fond ou la technique : la formation juridique est là ! De toute façon, le droit et les procédures évoluant tellement et souvent, on est en formation permanente !

AJ : À quoi ressemblait cette avocate qui vous a formée ?

Magali Delacourt-Plessix : Elle avait prêté serment en 1971. C’était une femme vive, pétillante, énergique, qui avait de beaux dossiers. Elle a été très inspirante, encourageante. Quand je suis arrivée à son cabinet, elle finissait son mandat en tant que membre du conseil de l’ordre. Elle exerçait seule, comme la plupart des avocats spécialisés dans le droit des personnes, qui étaient alors majoritairement des femmes. Ce stage, qui devait m’occuper quelques mois au départ, a finalement été un moment-clé de ma vie professionnelle. Cette avocate a aujourd’hui près de 80 ans et bien qu’officiellement à la retraite, elle continue d’exercer. Je travaille parfois avec elle sur certains dossiers, et on se croise chaque année aux États généraux du droit de la famille.

AJ : Vous rappelez-vous de vos premiers dossiers ?

Magali Delacourt-Plessix : Ma première plaidoirie en tout cas était un dossier de divorce devant la cour d’appel de Paris, avec un volet financier important. D’autres m’ont humainement marqué comme celui d’un couple franco-anglais qui pour des raisons professionnelles, vivait en Angleterre. Au moment de la séparation et du retour de la mère en France, il fallait fixer la résidence des enfants âgés d’une dizaine d’années. Comme trop souvent dans nos dossiers, ils avaient été instrumentalisés et abîmés. Le père avait scindé la fratrie et attiré l’aîné à lui, le second résidait avec sa mère. Après des années de procédure, la cour d’appel avait permis de fixer la résidence des garçons chez la mère, qui très vite est tombée malade et est décédée peu après. Les enfants ont regagné l’Angleterre et le domicile de leur père… C’était un dossier poignant, dur. J’ai eu d’autres dossiers marquants : l’un avec un enlèvement d’enfant par la mère après une séparation difficile. Avant l’audience correctionnelle, devant le tribunal de Soissons puis devant la cour d’appel d’Amiens, il y avait eu enquête de police, instruction et filature pendant des mois, avec un détective privé, pour retrouver l’enfant en Sicile. Mais il y a plein de dossiers plus « simples », en apparence « plus classiques », qui sont toujours intéressants et à chaque fois engageants.

AJ : Qu’est-ce qui vous plaît dans cette matière ?

Magali Delacourt-Plessix : L’utilité directe de notre action. L’impression d’aider à reconstruire ce qui est abîmé ou qui s’est parfois complètement effondré. Il nous arrive bien sûr d’être désavoués par les magistrats, mais on accompagne, on conseille, on seconde les gens. Le retour est assez immédiat. J’aime aussi la diversité des interlocuteurs : juges aux affaires familiales, juges des enfants, juges pénaux, notaires, et bien sûr confrères ! On est vite pris dans la machine du dossier. Chaque dossier est très spécifique et repose sur des ressorts humains, des ressentis, des vies qu’on ne connaît pas, qu’on ne juge pas. Nous avons une version, la partie adverse en a une autre, et les faits rapportés se passent toujours à huis clos. C’est une matière éminemment humaine, avec des déceptions, des attentes, des trahisons. L’avocat doit s’impliquer au maximum tout en restant en retrait et en hauteur par rapport au dossier sur lequel il intervient. Aussi triste ou grave puisse être la situation de notre client, on ne lui apporte rien si on « pleure avec lui ». Notre plus-value est notre boîte à outils juridique très utile dans cette matière pour objectiver et dépassionner les choses. Le droit encadre, limite, permet de résoudre des conflits. Mais il ne sera jamais tout à fait satisfaisant. En matière de séparation, certains ressorts ne seront jamais apaisés par l’application du droit. C’est à la fois l’intérêt et la limite de cette matière : le droit ne peut pas tout ! Cela n’a rien à voir avec le droit des contrats où des clauses vous protègent. On peut obtenir des choses pour nos clients, mais cela ne compensera jamais un bonheur ou une illusion perdue. Les nouveaux modes de règlements des conflits dont la médiation peuvent être un relais et un complément utile.

AJ : Votre métier a-t-il évolué ?

Magali Delacourt-Plessix : Oui, la famille a évolué donc le droit de la famille a évolué ! La famille, ce n’est plus uniquement un père, une mère et des enfants. La famille peut être monoparentale, les parents être hétérosexuels ou de même sexes, mariés, pacsés, en union de fait. On parle d’ailleurs désormais de « droit des familles », avec un « S ». Néanmoins, les problématiques sont les mêmes que l’on soit deux hommes, deux femmes, ou un homme et une femme. L’attachement pour les enfants pour lesquels on se bat et les questions patrimoniales sont les mêmes. Dans tous les divorces et dans toutes les séparations, les deux grands enjeux sont les enfants et le patrimoine. Si Les problématiques sont les mêmes, en revanche leur coloration, leur intensité, leur spécificité variera en fonction de la famille dont il s’agit. En plus du fond, la forme et la pratique du métier ont évolué notamment depuis la réforme du divorce par consentement mutuel, totalement hors du tribunal. Cela a changé nos habitudes de travail et notre rapport entre avocats et avec les notaires avec lesquels nous travaillons beaucoup et tissons des liens utiles et efficaces au service des clients.

AJ : Avez-vous vu une montée des affaires de violences conjugales ?

Magali Delacourt-Plessix : Ces violences sont désormais verbalisées et extériorisées. L’ordonnance de protection permet de protéger vite. Ce sont des outils importants. Personnellement, et il s’agit bien sûr de hasard, je n’ai pas assisté de femmes dénonçant de telles violences mais à plusieurs reprises, défendu des hommes assignés en ordonnance de protection.

AJ : Avez-vous des modèles d’avocats ?

Magali Delacourt-Plessix : Les pénalistes sont souvent très inspirés par leurs pairs. C’est peut-être moins le cas des autres avocats, dont ceux exerçant en droit de la famille. Mais je suis réceptive, je continue à apprendre en audience des belles plaidoiries de mes confrères, même lorsqu’il s’agit de mes adversaires. La lecture est également source d’inspiration, surtout pour préparer un procès pénal, ce qui m’arrive ponctuellement même si cela n’est pas mon cœur d’activité. À la fin de l’année dernière, j’ai ainsi été l’avocate d’une jeune fille victime de viol devant la cour d’assises de Paris. Lire, rechercher, s’inspirer, est primordial pour comprendre et appréhender les ressorts humains. Dans mon métier, la vie en général est une source d’inspiration. Pour autant, il faut être étanche entre les dossiers et sa propre vie.

AJ : Pensez-vous que les enfants doivent avoir leur propre avocat ?

Magali Delacourt-Plessix : Oui, et je suis d’ailleurs en train de suivre la formation pour intégrer l’antenne des mineurs du barreau de Paris, regroupant des avocats dédiés aux enfants. Pour l’intégrer, il faut valider une formation théorique et un tutorat pratique. C’est un processus assez long. Les avocats d’enfants ont pour mission de défendre l’enfant qu’il soit victime ou auteur, de l’assister s’il veut être entendu par le juge aux affaires familiales dans le cadre de la séparation de ses parents, de l’accompagner lorsqu’il relève de l’aide sociale à l’enfance, ou de l’accueillir et l’aider quand il s’agit de mineur non accompagné, ayant fui son pays et arrivant isolé. Avocat d’enfant c’est être pénaliste, civiliste, voire publiciste. La boucle est bouclée !

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