Magistrats : une faute pénale n’emporte pas forcément une condamnation disciplinaire

Publié le 07/05/2025 à 9h00

Une magistrate a été condamnée pénalement pour des faits de violences à la suite d’une altercation dans un bar. Toutefois, le Conseil supérieur de la magistrature, statuant en conseil de discipline, dans sa décision du 10 avril 2025, refuse de qualifier la faute disciplinaire et de prononcer une condamnation, prenant en compte plusieurs circonstances.

Magistrats assis en rang lors d'une rentrée solennelle
Photo : ©P. Cluzeau

Les faits à l’origine des poursuites disciplinaires se sont déroulés le 26 novembre 2021 à 2 heurs du matin dans un bar. Lors d’une altercation avec un homme, une magistrate frappe le visage de son opposant avec un verre, lequel, selon les témoignages, a « explosé ». La mise en cause quitte le bar alors que la victime est prise en charge par les responsables, puis par les pompiers.

Le surlendemain, la victime dépose une plainte pour violences. Le médecin légal fixe l’incapacité totale de travail à six jours et constate également une gêne esthétique résultant de cicatrices visibles sur le crâne.

Une condamnation pénale pour violence relève-t-elle du disciplinaire ?

Par la suite, la magistrate est condamnée par la juridiction répressive de première instance puis par la Cour d’appel. Les juges du fond retiennent un geste de violence volontaire et réfutent tout état de légitime défense. Le ministre de la Justice saisit ensuite le Conseil supérieur de la magistrature le 22 mai 2024 d’une action disciplinaire sur ces faits. Dans une solution étonnante et assez inédite, le Conseil ne retient pas la faute disciplinaire et ne prononce pas de sanction à l’encontre de la magistrate fautive.

La première question que doit se poser le Conseil de discipline est de savoir si une condamnation pénale pour violences peut (ou doit) constituer une faute disciplinaire. La seconde question sous-jacente est de savoir si une qualification peut être retenue pour des faits relevant de la vie privée.

Le Recueil des obligations déontologiques[1], et l’ensemble des décisions disciplinaires[2] établissent clairement qu’une qualification disciplinaire peut être retenue pour des faits relevant de la vie privée du magistrat, dans l’hypothèse où ils portent atteinte aux devoirs de son état, et notamment au principe de dignité.

A fortiori, une condamnation pénale pour des faits relevant de la vie privée peut qualifier une faute disciplinaire. Dans la jurisprudence du CSM, on observe une certaine fermeté qui consiste à qualifier systématiquement la commission d’une infraction pénale ayant donné lieu à condamnation par une juridiction répressive en faute disciplinaire.

Par exemple, le Conseil a pu retenir la faute disciplinaire pour des faits de violences conjugales[3], conduite en état d’ivresse[4], harcèlement[5], ou vol[6]. Par ailleurs, la juridiction disciplinaire avait tendance à réclamer un devoir d’exemplarité dans l’hypothèse où un magistrat serait sanctionné pour une certaine infraction pénale, alors qu’il serait probablement amené à juger des faits similaires au sein d’une juridiction correctionnelle le lendemain[7].

Dans les faits d’espèce, semblant tout droit sortis d’un scénario de film d’action américain, il est difficile de ne pas y voir un manquement au principe de dignité. Il est évident que de tels faits portent atteinte à l’image de l’institution judiciaire.

Bien sûr, des faits de violences qui seraient commandés par la légitime défense ou par un état de nécessité ne seraient pas constitutifs d’une faute disciplinaire[8], mais ici, l’autorité de la chose jugée au pénal, force le Conseil à considérer les faits tels que constatés par la juridiction répressive[9], laquelle a refusé de qualifier l’état de légitime défense. Cependant, le Conseil rappelle que s’il est tenu des faits matériellement constatés par les juridictions pénales, la qualification de la faute disciplinaire est indépendante et libre[10].

« Un engagement professionnel constant et irréprochable »

Ici, dans cette décision inédite, le Conseil parvient à écarter la qualification de faute disciplinaire en cumulant les circonstances en faveur de la magistrate. Tout d’abord, il semble prendre en compte l’ensemble du parcours professionnel : le Conseil relève ici un « acte unique » et un « engagement professionnel constant et irréprochable », critère ayant déjà été utilisé pour apprécier concrètement la sanction la plus adaptée au profil du fautif[11]. Les circonstances dans lesquelles se sont déroulés les faits sont également retenus, le « cadre festif » est mentionné, ce qui peut paraitre étonnant. On pourrait au contraire s’attendre à ce qu’un « cadre festif » appelle de la part du magistrat un « surcroit d’éthique »[12] ou de retenue. Enfin, il est constaté par le Conseil qu’à aucun moment la fautive n’a fait état de sa qualité de magistrat. Il est vrai que le fait de brandir sa qualité de magistrat à la suite d’un comportement anti-déontologique est souvent sanctionné par le Conseil[13]. A contrario, ne pas en faire état est donc à ajouter à son crédit. Enfin, attitude souvent regardée comme appréciable, la magistrate reconnait avoir eu un « comportement inadapté ».

Même si l’ensemble de ces éléments – attitude du magistrat face à ses fautes ; son parcours professionnel ; la circonstance tenant à faire état de sa qualité en public – ont déjà été utilisés par le Conseil dans les précédents contentieux, à notre connaissance, c’est la première fois qu’il les utilise afin d’écarter la faute disciplinaire malgré une condamnation pénale. Cette décision appelle toutefois plusieurs remarques.

Tout d’abord, cette décision semble justifiée au regard des principes de nécessité et de personnalisation de la peine. Et pour cause, le temps faisant office de mise à l’épreuve, les faits se sont déroulés en 2021. Entendue par le rapporteur du Conseil en 2024 et jugée en 2025, l’acte est resté unique dans le parcours de la magistrate.

Aucune faute disciplinaire

Ensuite, dans ses motivations, le Conseil indique « aucune faute disciplinaire ne se trouve caractérisée ». Or, le fait qu’il écarte la qualification de faute pour une magistrate s’étant bagarrée dans un bar à 2 heures du matin en frappant un homme avec un verre est assez discutable. Il eut été préférable, pour un souci de cohérence jurisprudentielle, de qualifier la faute tout en s’abstenant de prononcer une sanction au regard des éléments exposés. Ce procédé a déjà été pratiqué, par exemple, à l’occasion d’une tragique affaire jugée en 2017, des magistrats avaient, par une négligence, maintenu un détenu en détention provisoire, lequel s’était donné la mort. Le Conseil avait alors considéré le manquement comme fautif mais s’était abstenu de prononcer des sanctions, et ce, aussi bien dans ses motifs que dans le dispositif qui exposait « nonobstant l’existence d’une faute disciplinaire, n’y a pas lieu à sanction » [14]. Ou encore, il serait peut-être opportun de créer une sanction en deçà du blâme inscrit au dossier qui consisterait en un « avertissement avec rappel aux obligations déontologiques », dont l’utilité serait principalement pédagogique et sans effet disproportionné pour la suite de la carrière du magistrat fautif.

[1] CSM, Recueil des obligations déontologiques des magistrats, 2019, chap. 5, « La dignité », p. 49, n° 3. « Le magistrat a droit au respect de sa vie privée. Néanmoins, dans son expression et son comportement publics, il s’oblige à la prudence afin de ne pas porter atteinte à la dignité de sa fonction et à la crédibilité de l’institution judiciaire ».

[2] V. par ex. CSM – Siège, 17 nov. 2022, S256, note L. PELISSIER, LPA, fév. 2023, p. 59 au sujet des relations personnelles problématiques d’un magistrat ; Sur un magistrat ayant des difficultés financières notoires conduisant ses créanciers à engager des actions en justice CSM – Siège, 21 juill. 2010, S184 ou CSM – Parquet 22 sept. 2019, P086.

[3] CSM – Siège, 15 mai 2001, S116 ; CSM – Siège, 1er juill. 2010, S182 ;

[4] CSM – Siège, 20 janv. 2011, S192 ; CSM – Siège, 19 févr. 2010, S176.

[5] CSM – Siège 25 nov. 2010, S188 pour des faits de harcèlement au sein d’un conflit de voisinage ; pour des faits d’harcèlement sexuel, v. CSM – Parquet, 23 mars 2021, P092 ; CSM – Parquet, 12 mars 2023, P104.

[6] CSM – Siège, 11 janv. 2023, S257.

[7] V.not. CSM – Siège,18 juill. 2003, S127 concernant des faits de conduite en état d’ivresse et un refus pour le magistrat de se prêter à un test d’alcoolémie « que de tels manquements (étaient) d’autant plus graves qu’ils émanent d’un magistrat ayant assuré la présidence d’une formation de la cour d’appel spécialement compétente en matière de délinquance routière ».

[8] Rappelons ici qu’un certain François Molins a pu arrêter la fuite d’un prévenu en le plaquant au sol dans les couloirs d’un tribunal (F. MOLINS, Au nom du peuple français, Flammarion, 2024, p. 28 et 29 « Le substitut arrête un braqueur en fuite »).

[9] E. RUBI-CAVAGNA, « La faute disciplinaire et droit pénal », dans J. MORET-BAILLY et P. ANCEL (Dir.), Vers un droit commun disciplinaire ?, colloque des 27 et 28 janv. 2005, Publications de l’Université de Saint-Etienne, 2007, p. 215 et s. spéc. p. 220 et P. DEUMIER, « La sanction disciplinaire, un concept unifié ? », ouvrage précit. p. 239 et s.

[10] Principe constant rappelé par la présente décision « La matérialité des faits de violences constatés par l’arrêt de la cour d’appel (…), à laquelle s’attache l’autorité de la chose jugée, étant établie, elle s’impose au conseil de discipline. Toutefois, au regard de l’autonomie de la procédure disciplinaire, la faute pénale se rattachant à la vie privée du magistrat n’engage sa responsabilité disciplinaire que si, selon les circonstances, les faits commis mettent en cause son aptitude à exercer ses fonctions ou s’ils ont pour effet de perturber le fonctionnement de la juridiction ou de jeter le discrédit sur l’institution judiciaire ».

[11] CSM – Parquet, 16 juill. 2017, P085 et CSM – Siège, 13 juill. 2017, S228.

[12] P. TRUCHE, Juger, être jugé, Fayard, 2001.

[13] CSM – Siège, 11 janv. 2023, S257.

[14] CSM – Parquet, 16 juill. 2017, P085 et CSM – Siège, 13 juill. 2017, S228.

Plan