Maïder Lecomte Dufresne, avocate à très haut potentiel

Publié le 03/01/2025

Première avocate autiste plaidante atteinte de surdité, Maïder Lecomte Dufresne plaide depuis 18 ans en droit des affaires. En plus de s’occuper de son cabinet sur les Champs-Elysées, cette passionnée s’est formée à la sophrologie et fait du consulting pour une meilleure acceptation du handicap en entreprise. Rencontre.

Elle figure dans les 40 Françaises sélectionnées par Forbes au classement des femmes en 2023, année où son agence DYSruptive , qui offre un « conseil en santé mentale en entreprises et cabinets d’avocats pour accompagner les autres cabinets et entreprises sur la voie de la RSE, du handicap et de l’inclusion », a reçu le prix du public Transfodroit aux Grands prix de l’innovation des avocats. Maïder Lecomte Dufresne est un personnage solaire qui a fait de son neuroatypisme (autisme et TDAH) et de son handicap (une surdité) des forces insondables. Depuis son entrée dans le droit des affaires, ce couteau suisse, sourire sans faille, entend faire bouger les lignes dans les petits cabinets d’avocats comme les grandes entreprises du CAC 40. Associée fondatrice de Hominum Juris, un cabinet d’avocat dans le droit des affaires, elle gère également l’agence DYSruptive qui accompagne les cabinets et entreprises dans la mise en place ou le renforcement de leur politique RSE et l’inclusion des personnes neuroatypiques et handicapées, à travers des conférences à impact et des partenariats stratégiques. Grâce à sa politique, transposée de ses connaissances en sophrologie, elle œuvre pour une société plus équitable, où les atouts de l’intelligence autistique sont reconnus et valorisés au profit de toutes et tous. Cette super avocate a accepté de nous en dire un peu plus sur son parcours.

AJ : Quel parcours vous a menée au droit des affaires ?

Maïder Lecomte Dufresne : Je dois dire que dans mon cas, on peut parler de prédestination. Mon papy m’a malgré lui appris à vivre des aventures. Il avait un retard mental et volait dans le porte-monnaie de ma grand-mère, il m’apprenait à sonder les tiroirs, me donnait ses combines. J’avais 3 ou 4 ans. Il avait survécu aux camps de concentration et était revenu à 30 kg pour 1m80, il avait passé un an dans une ferme avant de rentrer en France, pour reprendre du poil de la bête. Il mettait les poules dans le pantalon, il utilisait le mépris des personnes pour le handicap mental pour s’en sortir. Tout ce que j’ai construit, c’est grâce à lui.

Ça, c’est pour mon caractère. Pour la profession, c’est une autre histoire. À 18 ans, je devais quitter la maison et j’étais inscrite en capacité en droit. J’étais très forte à l’école mais je m’ennuyais. Je ne suis jamais entrée en terminale. Au final, je suis devenue avocate sans mon bac. Avec ma capacité, je me suis retrouvée dans un des plus gros cabinets pénalistes de Seine-Saint-Denis. Je savais taper à l’ordinateur et dès le lendemain de mon arrivée, mon patron m’a confié des clients pendant 15 jours. Je me suis occupée des Roms de Montreuil, j’ai fait les accidents médicaux, le sang contaminé, du pénal. En parallèle, je suivais mes études en droit des affaires et j’accouchais de mon premier enfant. Après ma maîtrise et mon DESS, j’ai postulé à des cabinets et je me suis retrouvée en stage… après sept ans en poste ! Je suis passée chez Darrois, puis chez Rambaud Martel, que du politico-financier. Comme il était compliqué de me faire embaucher dans cette spécialité hyper compétitive, j’ai préféré monter directement mon cabinet.

AJ : À quel moment avez-vous pris conscience de votre différence ?

Maïder Lecomte Dufresne : Enfant, j’avais des diagnostics qui évoquaient déjà un autisme, mais ma mère n’était jamais revenue dessus. Bien sûr, je voyais des différences, mon attention pour le boulot super bien fait, les grandes responsabilités. Ce diagnostic d’autisme est revenu quand je suis tombée malade, peu après avoir monté mon cabinet et bien sûr cela a influencé ma pratique. Je me suis formée à la sophrologie et passé un DU Démocratie et santé à l’Université des patients de la fac de médecine de Paris. J’ai également fait un DU en éducation thérapeutique du patient à Caen, pour apprendre aux médecins à créer une alliance harmonieuse avec les patients… Tout ce que fait l’avocat en vérité. Le juridique n’est que l’habillage d’une relation de compréhension humaine, comme la médecine. Tout cela pour dire que ces ouvertures provoquées par l’adversité ont modifié ma pratique du droit. Je m’en sers aussi dans mes approches avec les confrères, en juridiction, je suis une plaidante et je ne plaide plus du tout de la même façon qu’avant, c’est ce que j’essaie de transmettre dans les cours que je dispense à l’EFB où je travaille sur la gestion du stress. Entre le droit et la pratique du droit, il y a une très grande différence et cela s’acquiert avec l’expérience. Je ne fais pas de TedX, je n’utilise pas de rétroprojecteur ou de maquette toute faite, je dispose les chaises en ronds et pendant 1h45 on pratique de la sophrologie. Les retours sont magiques.

AJ : C’est en cela que le cabinet Hominum Juris et l’agence DYSruptive sont deux activités complémentaires ?

Maïder Lecomte Dufresne : En entreprise, j’amène autre chose. Quand je fais un audit juridique, je les aide dans la continuité à s’assurer d’être informés sur l’inclusion des personnes atteintes de maladie mentale, sur les risques psychosociaux. Aujourd’hui, je suis le premier cabinet en droit des affaires spécialisé dans le droit du handicap et des RSE. Nombre de mes clients sont neuro-atypiques et cherchent à être accompagnés par une personne ayant le même profil. En tant que personne autiste mon cerveau va sur le signal faible, il cherche des angles d’attaque différents de ce que les juges sont habitués à entendre.

AJ : Diriez-vous que la profession s’est ouverte aux personnes neuro-atypiques et handicapées ?

Maïder Lecomte Dufresne : Je ne dirais pas que la profession soit ouverte, déjà parce qu’il n’existe aucun recensement des personnes handicapées, aucun outil spécifique. Quelques associations existent mais dépendent des instances ordinales. Mais d’une certaine façon, la norme me sert car avec la déontologie, nous avons inventé ce qu’il y a de mieux pour protéger nos clients et nous protéger aussi. La déontologie est un très bon outil : conditions générales remises, facturation, les clients signent tout, selon le texte du Code de la consommation, on ne peut pas donner plus de trois mois de délais de paiement, et il y a le principe du contradictoire ! D’autre part, aujourd’hui dans les entreprises de plus de 200 salariés, il y a un référent handicap, pourquoi l’avocat ne se saisit pas de ce poste de référent handicap, pourquoi ce sont des consultants extérieurs alors que le dialogue est notre cœur de métier ? Dans nos métiers, nous exerçons les premiers soins en santé mentale, qu’il s’agisse de prévention, de droit du travail, de travail en pénal. Il y a des référents mission locale en milieu carcéral : pourquoi les avocats ne sont-ils pas référents en milieux carcéraux alors que ce sont les mieux placés pour individualiser les conseils ? Ce sont des associations qui font ça aujourd’hui. Mon cabinet en droit des affaires est le premier en France dédié à la santé mentale en entreprise (le volet juridique étant associé à la sophrologie, l’éducation thérapeutique et les notions de premier secours en santé mentale).

AJ : Vous avez été reconnue par le magazine Forbes, mais aussi grâce au prix Transfodroit, que cela vous fait-il ?

Maïder Lecomte Dufresne : Je ne m’y attendais pas, c’est une reconnaissance, pas tant de ce que je fais, mais de ce que je peux apporter. C’est aussi une grande visibilité pour les personnes en situation de handicap, et je suis heureuse à mon humble niveau de contribuer à redonner de la légitimité aux porteurs et porteuses de handicap. Après ces distinctions, on m’a demandé de participer à des colloques pour peut-être mettre en place des accords de branches, des contrats pour aménager le handicap. J’ai été conviée à un colloque handicap, autisme et agriculture où je suis intervenue avec des professionnels au niveau européen. On reconnaît qu’un avocat peut être expert dans ce domaine et je trouve cela important pour la profession.

Plan