Seine-Saint-Denis (93)

Marion Séclin : « Le rap et le droit sont des mondes d’hommes » !

Publié le 13/04/2022

Actrice et réalisatrice tout terrain, Marion Séclin s’est d’abord fait connaître sur internet par des vidéos. La jeune femme de 31 ans, féministe revendiquée, a récemment signé la série Diana Boss diffusée par France Télévisions. On y suit Malika, étudiante de 23 ans, avocate le jour et rappeuse la nuit. Brillante et passionnée, elle doit lutter pour gagner sa place dans ces deux mondes, peu enclins à reconnaître son talent. Le rap et le droit, même combat pour les femmes ? Rencontre.

Actu-Juridique : D’où vous est venue l’idée de cette série ?

Marion Séclin : Mon envie première était de parler d’une jeune femme qui fait une carrière de rappeuse et des difficultés qu’elle rencontre pour se faire une place dans ce milieu si peu féminin. Le droit est arrivé dans un second temps, car je souhaitais mettre l’univers du rap en parallèle avec un autre milieu professionnel. Le droit est comme le rap un monde où l’on revendique des choses, où l’on défend la justice. Et c’est aussi un milieu qui lui est diamétralement opposé en termes financiers et de classe sociale. Ce déséquilibre en termes d’images était intéressant. J’avais la sensation que chaque chanson pouvait être une plaidoirie et que chaque plaidoirie pouvait être une chanson. Au début du tournage, je ne connaissais rien du monde du droit. Je voulais situer la série dans une banlieue défavorisée de Seine-Saint-Denis. Finalement, on a trouvé un appartement où tourner à Pantin, et la série se déroule dans cette ville aux portes de Paris.

AJ : Ce sont aussi des mondes où la révolte a une place…

Marion Séclin : Il y a en effet une volonté commune de vouloir défendre des choses. Le droit est très installé dans un système de justice écrit alors que le rap, dont les initiales signifient « rébellion against power », est par essence un mouvement de rébellion contre le pouvoir. Les chansons comme la jurisprudence permettent de faire passer des messages. Personnellement, j’ai appris beaucoup plus de choses en écoutant Diam’s qu’en lisant la presse…

AJ : Lequel de ces deux mondes connaissez-vous le mieux ?

Marion Séclin : Le rap, qui est un milieu plus populaire, m’est plus familier. Moi, je n’ai pas fait de grandes études, je ne me sens pas très concernée par les milieux élitistes et intellectuels, comme je perçois le droit. J’aime le rap et cela me fend le cœur qu’il y ait si peu de rappeurs à ne pas écrire de textes sexistes. Même les rappeurs modernes, qui pourraient tout à fait s’en passer, le font. Aucun monde n’est accueillant pour les femmes…

AJ : Connaissiez-vous la difficulté des femmes avocates ?

Marion Séclin : Leur situation ne m’a guère surprise. Les femmes au barreau, c’est comme les femmes dans l’ébénisterie ! Quel que soit le domaine dans lequel on exerce, on vit dans un monde d’hommes. Il y a donc très peu de femmes à des hauts postes, et très peu de femmes dont c’est l’ambition. C’est un cercle vicieux : étant sous représentées, elles ne donnent pas de modèles aux autres. Je sais par exemple que les femmes sont davantage juristes qu’avocates. Ce n’est pas étonnant : depuis la maternelle on dit aux petites filles qu’elles doivent être dociles et obéissantes. Généralement, elles le sont, c’est pour cette raison qu’elles sont meilleures à l’école que les garçons jusqu’au bac. Post-bac, les études deviennent très compétitives, il faut jouer des coudes, voire être un peu sournoises… Les filles n’ont pas été encouragées à cela, contrairement aux garçons, et les études deviennent alors quelque chose de désagréable. Cela est documenté par de nombreuses études de sociologie.

AJ : N’est-ce pas en train de s’arranger ?

Marion Séclin : Il est vrai que dans le milieu du droit, de plus en plus de femmes se montrent. On entend davantage parler des pionnières. Enfin, on reconnaît dans l’histoire contemporaines ces femmes qui ont fait bouger les lignes. De même, on voit enfin des femmes émerger dans le rap mais elles doivent imiter un ego trip masculin. Ces mondes seront accueillants pour les femmes le jour où ces dernières auront l’aisance de s’y lancer sans demander la permission. Alors oui, les choses avancent, mais pas assez vite. Les femmes sont tout de même la moitié de l’humanité. J’ai envie de voir le verre à moitié plein, mais si on est honnête, il n’est même pas au quart plein, ce verre ! Si quand on réclame des droits et une égalité on se satisfait d’un « de plus en plus », on n’est pas rendus !

AJ : Vous êtes-vous documentée sur ce monde que vous ne connaissiez pas ?

Marion Séclin : Tout ce que je savais de la justice, je l’avais appris dans les séries américaines. Le droit américain et français ne sont pourtant pas les mêmes. Mais ces séries m’avaient quand même permis de me rendre compte que c’est un peu bête de dire des choses comme : « Ah mais moi je ne pourrais pas être avocate pour quelqu’un qui est coupable ! ». Tout l’intérêt du droit, c’est la nuance et la complexité avec laquelle on peut défendre au mieux quelqu’un. Il s’agit de faire en sorte que les intérêts d’une personne soient les mieux défendus, ce qui n’implique pas forcément de nier sa culpabilité. Je ne voulais pas que Malika soit un personnage naïf qui ne voudrait défendre que des gentils ou des gens qui lui ressemblent. Je voulais en faire une avocate capable de faire son métier : défendre les intérêts de ceux qui l’embauchent. Pour autant je ne voulais pas en faire quelqu’un d’insensible aux injustices que vivent ceux qui lui ressemblent. C’est pour cela que je la montre dans la difficulté de s’intégrer dans un milieu blanc, bourgeois et masculin.

AJ : Êtes-vous allée voir comment se passait la vie dans les cabinets d’avocats ?

Marion Séclin : Non, je n’y suis pas allée ! En revanche, j’ai fait relire le scénario par un avocat qui a pointé ce qui était vraisemblable ou non. Je ne nie pas avoir une partie de ma série qui est un peu téléphonée. Mais je divertis un public de personnes qui n’ont pas tous fait du droit. J’ai besoin à certains moments de me permettre certaines facilités ou raccourcis qui peut-être feront rouler des yeux certains experts. De la même manière, la série n’aborde pas les réalités de l’industrie de la musique alors qu’elle se situe dans le milieu du rap. Mon idée est de parler aux femmes qui ont du mal à se défendre dans un milieu masculin. Ce que j’ai à raconter est plus important que le fait que ce soit vraisemblable.

AJ : Qu’est-ce que le monde du rap et du droit ont en commun ?

Marion Séclin : Ce sont des mondes d’hommes, des mondes d’éloquence, dans lesquels plus on est à l’aise avec soi, plus on est capable de cabotiner, de jouer avec la langue et avec les regards, plus on a de chances de réussir. Ces critères font que les femmes ne s’y sentent pas accueillies à bras ouverts. Quand elles réussissent néanmoins, elles sont obligées d’emprunter ce costume de zèle qu’elles n’ont pas l’habitude d’avoir. Je ne dis pas que celui-ci est fondamentalement plus masculin – je ne pense pas que ces choses-là soient gérées au fond. Je dis simplement que c’est plus habituel de voir des hommes avoir cette aisance, comme si le monde leur appartenait – de fait, le monde leur appartient, notamment dans le rap et dans le droit. Je suis souvent fascinée de les voir s’exprimer avec tant d’aisance en dépit, parfois, de leur médiocrité. J’ai rarement vu des femmes avoir l’audace de dire des énormités avec un aplomb complètement déplacé. Cela est manifeste dans le monde politique. Sans parler des idées des hommes politiques, je suis toujours étonnée de voir certains d’entre eux asséner des aberrations – de fausses dates, des statistiques erronées – avec aisance. Le droit et le rap accueillent à bras ouverts ces hommes suffisants, et ne sont pas accueillants pour les femmes et la diversité…

AJ : Quels retours avez-vous sur la série ?

Marion Séclin : Je n’ai pas eu tellement de retours des avocats, alors que 80 % de mes amis travaillent dans le milieu du droit. Dans cette série, le droit et le rap ne sont que des accessoires pour raconter la violence du monde quand on est une femme non blanche. Je pense que ce message transcende le milieu, et que de ce fait la série n’invite pas aux retours professionnels sur le mode de l’expertise. Est-ce qu’il y aura une saison 2 ? Je l’espère, mais ce n’est pas entre mes mains. Mon co-auteur et moi-même espérons qu’il y aura une suite. Si c’est le cas, le droit aura toujours une place importante. On essaiera d’être plus nuancé. On a tendance à penser que quand on travaille pro-bono, ou dans le social, c’est plus intéressant, plus juste. Mais pas forcément. Le droit est un business, même quand il y a du cœur. Et puis ce n’est pas parce qu’il y a des femmes qu’elles ont compris comment le monde fonctionnait ou qu’elles veulent lutter contre.

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