Médicys : la plate-forme de médiation des huissiers de justice

Publié le 20/05/2019

Le développement des modes amiables de résolution des conflits constitue un enjeu de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

En 2015, Médicys a été créée à l’initiative de la Chambre nationale des huissiers de justice pour encourager la médiation sous toutes ses formes, encadrée par des huissiers de justice. Rencontre avec Bruno Chupin, directeur du développement, et Rémy Kaestlé, huissier de justice et médiateur de Médicys. 

La loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice renforce l’obligation de conciliation et de médiation avant la saisine des juridictions civiles, notamment pour les litiges de voisinage. Ces dispositifs de règlement amiable des conflits ont été voulus par le législateur pour désengorger les tribunaux des contentieux du quotidien. L’idée est de proposer une alternative non judiciaire simple, rapide et moins chère. Depuis 2015, l’association Médicys, regroupant 250 huissiers de justice médiateurs, sur une plate-forme offre plusieurs types de médiations pour traiter les litiges entre deux parties. La plate-forme a été créée à l’initiative de la Chambre nationale des huissiers de justice et en collaboration avec le laboratoire de cyberjustice de l’université de Montréal. Au Canada, la médiation est en effet davantage utilisée qu’en France, ce qui les a amené à développer des outils pour rendre plus efficaces et rapides les processus de médiation.

La médiation la plus utilisée sur la plate-forme est la médiation de consommation qui est obligatoire depuis 2016 à la suite d’une directive européenne de 2013. Elle oblige l’ensemble des entreprises en contact avec les consommateurs de désigner un médiateur de la consommation et d’en informer leurs clients. Il s’agit d’un service gratuit pour les consommateurs et à la charge de l’entreprise. Avec Médicys, ils doivent souscrire un abonnement de 60 € par an, incluant deux médiations, les suivantes sont facturées 60 € chacune. En 2018, Médicys a traité environ 3 000 demandes de médiation de consommation par rapport à l’année 2016 où il y en a eu moins de 300 ! Ils interviennent sur tous les types de secteurs, tels que l’alimentaire, l’immobilier, le bâtiment, le service à la personne, etc. « Les litiges de la consommation auxquels nous sommes confrontés concernent souvent des retards de livraison, des produits non conformes ou des opérations marketing qui n’ont pas fonctionné », précise Bruno Chupin, directeur du développement de Médicys. « À partir du moment où les deux parties ont accepté la médiation, 2/3 des demandes aboutissent à un accord », ajoute-t-il.

Il existe également la médiation judiciaire qui a lieu sur la proposition du magistrat lorsqu’il est saisi d’un dossier et qu’il considère que le conflit peut être résolu avec l’aide d’un médiateur référencé auprès de la cour d’appel. La médiation conventionnelle est moins connue par le grand public ; elle peut être utilisée pour régler toutes sortes de litiges entre des particuliers ou des professionnels avec l’aide d’un médiateur, sans passer par une procédure judiciaire. Sur la plate-forme Médicys, le tarif est de 180 euros pour une médiation simple. «  Il s’agit d’une démarche coopérative, chaque partie participe à l’élaboration de la solution finale par rapport à une juridiction classique où les deux parties subissent la décision du juge. De plus, cela permet à des personnes qui n’auraient pas sollicité l’institution judiciaire pour des petits litiges d’obtenir une écoute et une voie vers une solution  », explique Rémy Kaestlé, huissier de justice-médiateur de consommation, présent sur la plate-forme depuis quatre ans.

Bruno Chupin, directeur de développement de Médicys, et Rémy Kaestlé, huissier de justice-médiateur sur la plate-forme, reviennent pour les Petites Affiches sur cette nouvelle initiative.

LPA

Pourquoi la médiation se développe-t-elle ces dernières années ?

Bruno Chupin

Depuis plusieurs années, il y a une volonté politique collective de la part des pouvoirs publics et des instances européennes de voir le système de la médiation se développer. C’est une alternative dans le règlement des différends sur tous les champs d’application possibles tels que la consommation, les litiges entre entreprises, à l’intérieur des entreprises, les conflits de voisinage, etc. L’objectif premier est de désengorger les tribunaux d’affaires de litiges du quotidien qui n’ont pas forcément besoin d’avoir une procédure en justice. Le bénéfice pour l’entreprise d’accepter la médiation est de pouvoir rapidement, efficacement et à faible coût régler un litige qui peut aussi avoir un impact sur son image.

LPA

Quelles sont les compétences d’un huissier de justice – médiateur ?

Rémy Kaestlé

La formation initiale pour être médiateur est de 60 heures. Nous devons respecter des règles de neutralité et de confidentialité. La première compétence est donc la neutralité, ce qui est naturel pour un huissier de justice. Dans ses fonctions habituelles, l’huissier est une personne tierce qui vient constater mais il ne donne pas d’avis. Donc, la première chose est de se positionner en tiers de confiance qui va observer la situation, écouter les parties et garder une neutralité parfaite, sans intervenir pour le compte de l’une ou de l’autre. Le deuxième point est celui de la transaction, l’huissier a cette capacité d’exécuter le jugement qui est rendu et celle d’aménager la réalisation des obligations sur le terrain. En fonction de la situation, il est courant d’accorder des délais, de négocier avec le créancier des remises d’intérêts, par exemple.

B.C.

L’huissier de justice médiateur exerce son activité de médiateur en ayant l’obligation de respecter son propre code de déontologie d’officier ministériel et public, donc il a ce devoir d’être professionnel. C’est une garantie de sérieux et de qualité.

LPA

Comment parvient-on à trouver un accord ?

R.K.

D’abord, l’écoute et la reconnaissance du problème des parties sont essentielles. Ce que souhaite une personne qui rentre en médiation, c’est rencontrer un interlocuteur qui va comprendre qu’elle est face à une difficulté. La technique la plus basique est la reformulation entre les deux parties. Chacune va exprimer sa perception du litige et notre rôle est de reformuler, car, souvent, elles ont une vision de la situation qui est complètement différente. Ensuite, elles comprennent la difficulté de l’autre et cela peut découler sur un accord. Notre rôle n’est pas de trancher le litige ou de conseiller les parties sur la décision qu’il faudrait qu’elles prennent. Il n’y a pas d’obligation de résultat, le but n’est pas de les forcer à trouver un accord, mais d’être un facilitateur et de réussir à remettre la communication en place entre les deux.

 

LPA

Que se passe-t-il en cas de désaccord ?

R.K

Une entreprise peut refuser la médiation si elle considère que la demande est disproportionnée par rapport au litige. En cas de désaccord après la médiation, un constat d’échec est rédigé par le médiateur. Il n’expose pas les raisons de l’échec, mais juste que les parties n’ont pas réussi à trouver un terrain d’entente. S’il y a une procédure judiciaire derrière, cela leur permet de montrer qu’ils avaient tenté une démarche amiable auparavant.

LPA

Quels sont les avantages de la plate-forme de médiation ?

R.K.

Le coût d’une médiation sur la plate-forme est moindre par rapport à une procédure judiciaire. Cela demande moins de temps également. La médiation de la consommation se règle sur 90 jours maximum et une médiation conventionnelle en quelques heures ou quelques semaines d’échanges. Dans une procédure judiciaire, l’exécution de la décision est souvent difficile alors qu’avec la médiation, le plus souvent, il n’y aura pas d’exécution forcée.

B.C.

Passer par la plate-forme ne nécessite pas de présentielle donc cela amène une réduction des frais. Il y a une crainte qui est souvent exprimée, c’est la déshumanisation du processus de médiation. Mais la plate-forme n’est qu’un outil qui permet d’aller plus vite et de faciliter les échanges. Il y a un homme qui est un médiateur derrière, ce n’est pas un logiciel qui va gérer le litige sur la base d’algorithmes. Nous souhaitons assurer le rôle de cet appui technologique afin de faciliter l’accès à la médiation pour l’ensemble du public.

LPA

Que va changer l’obligation de médiation voulue par la loi sur la justice ?

B.C.

Les objectifs seront atteints avec un désengorgement des juridictions qui est très attendu. De plus, si la médiation devient obligatoire, cela sera avantageux pour Médicys qui continue son développement.

R.K.

L’obligation va permettre de familiariser les gens avec ce qu’est la médiation. Toute personne qui était d’abord partie dans une démarche judiciaire sera confrontée à la médiation. Nous espérons que cela va améliorer son image et prouver son aspect bénéfique.

Rémy Kaestlé et Bruno Chupin

DR