Mise en place de l’IERDJ : une nouvelle organisation au service de la recherche et des études sur le droit et la justice

Publié le 09/03/2022

Entré en fonction le 1er janvier 2022, l’Institut des études et de la recherche sur le droit et la justice (IERDJ) prend le relais de deux anciennes structures : l’Institut des hautes études sur la justice (IHEJ) et la Mission de recherche Droit et Justice (MRDJ). Ce nouvel organisme aura notamment pour mission de mobiliser et diffuser « des connaissances sur les normes, la régulation juridique, les missions et le fonctionnement de la justice, dans tous les champs disciplinaires pertinents ». Son fonctionnement « pluridisciplinaire » et « écosystémique » sera l’un de ses atouts, assure Harold Epineuse, directeur adjoint et chargé de la coordination des programmes de l’IERDJ.

Actu-Juridique : Né de la fusion de deux structures, quelles seront les missions concrètes de l’IERDJ ?

Harold Épineuse : Cet institut, à la fois think tank public et promoteur de recherche, ne se contentera pas d’une fusion à périmètre constant entre l’IHEJ et la MRDJ, bien qu’il reprenne de ces deux structures trentenaires l’intégralité de leurs missions, ainsi que, bien sûr, leur héritage respectif. La mission qui a documenté et permis la création de ce nouvel organisme a mis en évidence certaines évolutions devenues nécessaires. Ainsi, nous pouvons citer, par exemple, l’élargissement de notre gouvernance à de nouveaux membres afin d’embrasser une diversité de points de vue et d’expériences sur les questions de droit et de justice, le renforcement du caractère européen et international de l’institut, le développement d’une fonction prospective orientée vers l’amélioration des politiques publiques et, pour terminer, je citerais une meilleure diffusion de nos travaux auprès des professionnels comme d’un plus large public, sous des formats adaptés pour que les idées et connaissances puissent librement circuler auprès de ceux qui s’y intéressent. Et ils sont nombreux, parmi les professionnels, les chercheurs, voire les justiciables, à vouloir améliorer le fonctionnement de notre justice et comprendre les enjeux juridiques qui traversent notre époque !

AJ : Quels seront, par exemple, les travaux que vous mènerez lors de votre première année d’existence, en 2022 ?

H.E. : L’assemblée générale des membres de l’Institut s’est réunie pour la première fois dans ce format élargi, le 24 novembre dernier, et a dégagé trois axes thématiques prioritaires pour les travaux de l’IERDJ, à partir de 2022. Parmi ceux-ci, figure l’émergence d’un droit des générations futures. Il s’agit d’un sujet encore méconnu qui nécessite d’abord une forte capacité d’analyse puisqu’il croise de multiples thématiques qui sont tout sauf juridiques à la base. Quel est le périmètre de ce droit ? Qui peut/doit parler au nom des générations futures sur des sujets aussi variés que l’environnement, la bioéthique ou encore la dette ? Comment le mettre en œuvre concrètement et devant quelles instances ? Quelles seront les conséquences de la mise en œuvre de ce droit sur les politiques législative ou jurisprudentielle, sur la définition de la règle de droit ou encore sur le contrat social ? Pour les institutions concernées, il y a évidemment un exercice d’anticipation stratégique à mener à partir de ces questionnements afin d’apprécier le bouleversement que pourrait entraîner l’ouverture d’une nouvelle génération de droits. Voici quelques questions sur lesquelles nous allons devoir nous pencher avec tous ceux qui contribuent aujourd’hui et contribueront demain à nourrir ce dossier majeur pour l’avenir de notre démocratie.

Les deux autres grandes thématiques sur lesquelles nous travaillerons en priorité peuvent être vues comme les deux faces d’une même pièce, tant les questions qu’elles soulèvent se répondent l’une à l’autre. Ainsi, en portant prioritairement notre regard sur l’état de notre société, nous nous intéresserons à l’essence de la demande contemporaine de justice et aux attentes que peuvent avoir nos concitoyens à son égard en France, en Europe et dans le monde de 2022. Parallèlement, et le lien avec l’actualité est évident, nous allons réfléchir au sens des métiers de la justice qui sont durement mis à l’épreuve, comme le montrent les différentes tribunes, prises de positions et témoignages qui émergent. Notons que l’ensemble des professions s’interroge aujourd’hui sur le devenir de leurs missions. Cette préoccupation est au cœur des réflexions de chacun de nos membres. Nous essaierons donc de développer une vision transversale de ces sujets, car les professionnels de la justice travaillant en réseau autour des situations amenées par les justiciables doivent pouvoir se reposer sur une analyse systémique – ou écosystémique comme on dit aujourd’hui – du cadre de leur exercice professionnel, qu’il soit matériel ou symbolique, ainsi que des relations qu’ils nouent chaque jour entre eux pour répondre à ces sollicitations, au nom de l’institution qui les réunit.

Afin d’affronter ces sujets qui risquent de nous occuper bien au-delà de 2022, nous irons, bien sûr, à la rencontre des professionnels mais également à la rencontre des justiciables et des citoyens qui portent ces revendications nouvelles. Nous essaierons de documenter les situations et de les comprendre ; nous nous pencherons sur les idées susceptibles de mieux nous aider à identifier les problèmes et sur les pistes de solution. Nous identifierons et soutiendrons les chercheurs susceptibles de nous accompagner dans ce travail d’exploration, et leur permettrons de développer leurs propres travaux sur ces sujets prioritaires afin de bénéficier d’une pluralité de regards, jusqu’à encourager – cela va de soi – le croisement des disciplines à l’intérieur même de leurs équipes et de leurs projets.

AJ : En résumé, ce nouvel institut sera une porte d’entrée vers les problématiques qui agiteront, à l’avenir, la justice et le droit ?

H.E. : Oui, et cela même si nous ne possédons pas de « boule de cristal ». Il s’agira plutôt de développer une culture de veille et d’anticipation stratégique appliquées au champ du droit et de la justice. Notre objectif est de documenter les phénomènes que l’on est déjà en mesure d’observer et qui pourraient s’amplifier et cela même si, pour la plupart, ils n’ont pas encore de traduction juridique puisqu’ils sont susceptibles, bien sûr, d’en avoir une demain. Dans une démocratie moderne, le chemin des prétoires est bien souvent le chemin choisi pour porter des revendications sociales ou politiques nouvelles ou encore des demandes de régulation, à partir de situations individuelles qui, bien souvent, portent en elles des enjeux collectifs sur les évolutions majeures de notre société. L’attention aux phénomènes sociaux, économiques ou politiques, aux courants de pensée qui se développent, en France ou ailleurs, doit constituer notre matière première.

Ainsi, nous invitons tous ceux qui peuvent prendre part aux missions de l’institut à dialoguer. Ce dialogue se place donc, par nature et par nécessité, au-delà des frontières traditionnelles, qu’elles soient nationales ou disciplinaires. Il repose sur cette attention particulière au savoir dont sont porteurs les professionnels ; un savoir brut issu d’observations et d’intuitions qu’ils n’ont pas forcément l’occasion – et encore moins le temps – de métaboliser… ce qui est justement ce que les chercheurs de l’Institut nous permettront collectivement de faire.

C’est ainsi, qu’à terme, nous avons également l’ambition d’accueillir des professionnels en séjour de recherche, si leur statut et la gestion de leur carrière le permet, au même titre que des chercheurs français ou étrangers, dans un esprit d’hybridation des expériences et de savoirs croisés.

AJ : Comment votre travail va-t-il concrètement s’articuler au quotidien ?

H.E. : Notre travail s’articulera autour de trois axes. Le premier axe correspond à une activité de veille, d’exploration et d’analyse qui profitera de l’expérience acquise en la matière par l’IHEJ, en la professionnalisant et en la systématisant sur un certain nombre de sujets d’intérêt. Le deuxième axe correspond à la mise en place d’un soutien direct à la recherche à travers le financement de projets qui seront soit déposés spontanément par les équipes – qui j’espère sauront nous surprendre sur des sujets ou des méthodes que nous n’attendions pas –, soit déposés en réponse à des appels d’offre thématiques qui refléteront nos priorités programmatiques, définies avec notre gouvernance. Cette partie de notre activité bénéficiera de l’expérience et du savoir-faire de la MRDJ et continuera d’être opérée sous le regard exigeant du conseil scientifique de l’Institut qui est le seul qualifié pour décider de la qualité du projet déposé et des suites à lui donner, en suivant une grille d’analyse précise ainsi qu’une charte de déontologie approuvée par nos membres et partagée avec les chercheurs. Enfin, le troisième axe vise à valoriser les différentes productions issues de l’Institut ou soutenues par celui-ci. Cette valorisation prendra des formes diverses : publications de rapports de recherche, d’études issues des groupes de réflexion mis en place, de notes d’analyse ciblées ou encore d’état des connaissances sur un domaine particulier. Seront également publiés des événements de restitution ou de co-construction des travaux, en s’efforçant de varier les formats : interventions hors de Paris, productions multimédia et en ligne. Tout cela sera mis en place progressivement ; après une année 2021 qui a été celle de la préfiguration de l’IERDJ, l’année 2022 incarnera, en toute logique, l’année de la transition vers nos nouvelles ambitions.

AJ : L’une des tâches de l’IERDJ est « d’améliorer la prise en compte des attentes de nos concitoyens dans le champ du droit et de la justice ». Comment comptez-vous transformer cette volonté en action ?

H.E. : Je vois trois moyens possibles pour cela. D’abord, il y a, comme je l’expliquais précédemment, la prise en compte du citoyen dans nos travaux, en tant qu’objet ou en tant que sujet de la recherche. C’est le cas, par exemple, lorsque nous cherchons à mieux comprendre qui est le justiciable et ce qui motive son recours ou son non recours à la justice ou l’exercice de ses droits, plus généralement. C’est le cas également lorsque nous abordons la question du droit des générations futures, une revendication que certains collectifs de citoyens semblent porter et qui se rattache à des évolutions sociétales de fond – parfois contradictoires – à l’intérieur de la société française, voire mondiale. Mais nous devons également mener une réflexion quant aux sciences participatives, c’est-à-dire quant au citoyen acteur des recherches et, plus généralement, des réflexions qui le concernent. C’est un champ que connaît bien le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), l’un de nos membres fondateurs et l’un des principaux contributeurs au budget de l’Institut. Il s’agit d’un enjeu méthodologique non négligeable pour notre métier mais également d’un enjeu démocratique : comment le citoyen peut-il prendre part à la construction du droit et de la justice qu’on lui propose, dans des formes de participation démocratiques renouvelées, collectives, et ne pas se contenter du rôle de destinataire final de dispositifs qu’on lui oppose dans son intérêt ou dans l’intérêt de la société ? Enfin, au-delà des rapports fournis ou des études techniques que nous serions amenés à publier et qui gardent évidemment toute leur utilité pour un public professionnel, nous veillerons à nous adresser à un public large afin de rendre nos réflexions plus accessibles aux non-spécialistes. Cela passera, par exemple, par l’organisation d’événements dans des lieux de vie culturelle, par le soutien à des expositions ou encore par le traitement de nos sujets dans des formats multimédia. Nous renouerons également avec l’intérêt que nous avons pu porter, par le passé, aux représentations de la justice dans les documentaires, dans les fictions et, plus largement, dans les médias – ce qui comprend les nouveaux médias et les réseaux sociaux.

AJ : À ce sujet, des rendez-vous sont-ils déjà inscrits dans votre agenda, pour 2022 ?

H.E. : En effet, c’est le cas, même s’il est difficile de s’engager sur la tenue ou sur le report des événements que nous pourrions avoir envie d’organiser ou de promouvoir. Le premier événement de l’année organisé par l’IERDJ est un colloque sur « la laïcité dans le service public de la justice », qui aura lieu en visioconférence, le 18 janvier. Ce rendez-vous permettra de présenter les résultats de recherches publiées sur ce thème, en 2019 et en 2020, avec le soutien de la MRDJ. En outre, un événement sera proposé en ligne, le 28 janvier, pour accompagner la sortie du nouveau numéro de la revue « Archives de Politique Criminelle » à laquelle nous participons, sur le thème « Espaces privés », en contrepoint des travaux qui ont lieu sur son envers, la notion d’espace public. Suite à cela, en mars, une présentation d’une recherche proposant une photographie sociologique du corps des magistrats dans les années 2010 sera proposée au personnel du tribunal judiciaire de Paris à l’initiative de son président. Par ailleurs, l’un de nos membres participera aux 7e journées de la justice pénale internationale à l’université Paris 2 dont c’est le domaine d’expertise. Un autre membre dirigera, en outre, une session de formation entièrement en ligne pour les magistrats sur le thème : « juger sur les cinq continents », qui puise, comme son nom le laisse penser, dans les travaux et contacts internationaux cultivés par l’IHEJ qui bénéficie d’une expertise en matière de cultures judiciaires comparées. Notre agenda du premier semestre bénéficie donc grandement du travail réalisé par les anciennes structures, désormais fusionnées. Cependant, le lancement des appels à projets de recherche sur les priorités thématiques évoquées en début d’entretien s’ajoute également à cet héritage. Les équipes de recherche en seront destinataires tôt dans l’année et pourront candidater dès le printemps. Quant aux projets de recherche spontanés, ils sont déjà ouverts et j’encourage grandement les chercheurs qui nous lisent à candidater.

De manière générale, et je reprends cette chronologie à dessein, si l’année 2021 a été une année de préfiguration du nouvel Institut, l’année 2022 sera, à l’évidence, une année de transition durant laquelle nous devrons prendre nos marques, apprendre à travailler ensemble dans un nouvel environnement et appréhender l’une après l’autre nos différentes missions ainsi que les nouvelles méthodes que nous souhaitons développer. Pour autant nous ne partons pas de zéro ; l’Institut poursuivra les activités récurrentes bien connues des organisations précédentes comme l’attribution des Prix Carbonnier et Vendôme pour la MRDJ et le retour des séminaires de réflexion sur les grandes questions qui ont fait la réputation de l’IHEJ.

AJ : L’indépendance de l’IERDJ, notamment vis-à-vis du ministère de la Justice, sera-t-elle assurée ?

H.E. : Le choix a été fait de ne pas nous positionner comme un service du ministère de la Justice. L’IERDJ travaillera étroitement avec le ministère, comme avec l’ensemble de ses membres d’ailleurs, et apportera sa plus-value : une réflexion originale et une capacité de recherche développées en commun, autour de questions transverses. La Chancellerie est convaincue que ce positionnement qui, par nature, appelle une certaine indépendance est le bon, pour elle comme pour les autres membres de l’IERDJ. Ce soutien se traduit concrètement par les moyens importants mobilisés autour du projet. Ensuite, les équilibres de la gouvernance, tels qu’ils ont été pensés, doivent faire le reste du travail. La présence des cours supérieures françaises (Conseil constitutionnel, Conseil d’État, Cour de cassation, Cour des comptes) dont les chefs se relaieront à la présidence du conseil d’administration incarne cette indépendance politique dont nous avons besoin pour le bon fonctionnement du groupement. Par ailleurs, chaque membre contribue au budget de l’Institut par des apports financiers ou par des apports en nature, et dispose d’une voix lors des délibérations, y compris quant au programme de travail dont les grandes orientations font l’objet d’une construction et d’une discussion collectives. Le CNRS enfin, qui est le deuxième plus gros contributeur quant aux moyens apportés au groupement, incarne, de son côté, l’indépendance scientifique qui est primordiale dans notre métier. Notons également le positionnement original et la contribution essentielle du conseil scientifique dont les décisions s’imposent par définition aux autres organes de gouvernance, et également, bien sûr, à la direction. Ainsi, la diversité des membres de l’IERDJ, leur renouvellement régulier au fur et à mesure que leur mandat arrivera à expiration, ainsi que le choix d’une personnalité comme Françoise Tulkens – chercheuse belge reconnue ayant été avocate, juge et vice-présidente à la Cour européenne des droits de l’Homme – pour présider les réunions de l’Institut dans ses premières années sont également des signes forts et des gages donnés à l’indépendance de nos travaux. Je ne reviens pas sur l’exigence déontologique qui inspire également l’ensemble de l’équipe mobilisée au sein et autour de l’Institut.

Indépendance politique, indépendance financière, indépendance scientifique ; je ne connais pas de schéma de gouvernance parfait mais je dois dire que l’équilibre accepté par les membres eux-mêmes autour de ces trois piliers constitue une bonne base de travail pour un organisme qui a été pensé comme devant être pérenne. Je vous donne rendez-vous dans quelques années pour dresser un premier bilan de cette « re-naissance ».

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