Nelly Bloch : militante féministe et avocate remarquable

Publié le 14/01/2025
Nelly Bloch : militante féministe et avocate remarquable
Portrait de Nelly Bloch et un de ses clients dans Paris soir, 4 janvier 1933, Bibliothèque National de France

Marie Nelly Weill naît le 30 octobre 1894 à Belfort. En 1919, elle épouse Gaston Bloch, marchand de meubles, et prend son nom. Elle obtient sa licence de droit en novembre 1924 et avec l’autorisation de son mari, selon le Code Napoléon de 1804, elle s’inscrit au barreau de Paris le 29 janvier 1925. D’abord installée avenue Daumesnil, elle déménage en 1935 au 100 quai de la Rapée jusqu’à sa déportation en 1944. Pénaliste, elle a marqué son époque par ses talents d’éloquence.

Nelly Bloch (1894-1944) considérait sa profession « si humaine » et la plaçait « avant toutes les autres », selon ses propres mots (La Dépêche, 1928). Si elle plaide un peu au civil, c’est surtout aux Assises qu’on la croise. Souvent victorieuses, ses plaidoiries sont remarquées par la presse de l’époque. Le Matin évoque son « ingéniosité persuasive », tandis qu’on peut lire dans Le Gringoire que « c’est une femme qui plaide d’ailleurs fort bien et très utilement ». En 1932, lors d’une « plaidoirie émue » ou encore d’une « plaidoirie remarquablement claire et si profondément émouvante », elle fait « couler des larmes dans l’auditoire ». Entre 1933 et 1935, d’autres affaires lui valent ces commentaires : « une spirituelle plaidoirie », « une fine éloquence » ou encore, dit-on, elle « plaide avec talent ».

Son premier procès en 1931

Nelly Bloch fait preuve de ses compétences pour la première fois aux Assises en mars 1931. Elle défend Jeanne Samson, accusée d’avoir ébouillanté son mari. La presse se montre sexiste, qualifiant Jeanne Samson de « mégère », évoquant sur un ton condescendant « l’excuse habituelle » : « mari ivrogne, violences journalières, existence intenable au domicile conjugal » (La Dépêche de Toulouse, 1931). Grâce à la défense de Nelly Bloch, insistant sur le fait que l’accusée, malade de tuberculose, n’en n’avait pour plus longtemps à vivre, le jury « fait preuve d’indulgence » (L’Avenir, 25 mars 1931) et la condamne à deux ans de prison avec sursis. Les jurés ne retiennent ni l’intention de donner la mort, ni la préméditation.

Pour ses autres procès, elle obtient à nouveau régulièrement les circonstances atténuantes. Comme pour ce mari raciste et violent qui tue sa femme martiniquaise parce qu’il « en a assez de voir son visage noir ». Avec Me Gassin, avec qui elle assure sa défense, ils « rejettent la responsabilité du drame sur le paludisme et l’état névropathique de leur client, aggravé par un séjour dans les colonies ». Alors qu’ils demandaient l’acquittement (ce malgré des preuves flagrantes), ils obtiennent l’admission de circonstances atténuantes et sept ans de travaux forcés…

Avocate pénaliste, elle défend aussi bien meurtriers et cambrioleurs mais se place aussi du côté des victimes, comme pour Mme Compoint qui avait blessé son mari dans une situation qualifiée par Nelly Bloch de légitime défense et pour qui elle obtient l’acquittement en 1939.

Militante des droits des femmes et des enfants

Parallèlement à son métier d’avocate, Nelly Bloch s’engage pour les droits des femmes. D’abord, en donnant des consultations juridiques gratuites pour la Société pour l’amélioration du sort de la femme (fondée en 1922). Elle tient une permanence avec deux autres avocates, Marcelle Kanner et Germaine Zung, les trois premiers lundis de chaque mois, à la mairie du IIIe arrondissement de Paris en 1932.

Elle participe également aux débats organisés par la Tribune libre des femmes, un journal féministe. En 1926, elle intervient sur « la situation des enfants adultérins et incestueux ». En 1927, elle discute sur le thème « Le divorce est-il un bien ? Est-il un mal ? L’enfant doit-il porter le nom de la mère divorcée ? ». Au sein du Parti radical, elle anime des conférences sur le rôle de la femme moderne et le droit de vote en 1933, ou encore la chirurgie esthétique, au club Rochechouart, avec Me Robert Chochon. En mars 1935, elle est désignée vice-présidente du comité XIIe arrondissement du Parti radical-socialiste. La même année, à TSF Radio Paris, on entend Nelly Bloch parler des « femmes et la magistrature ». Pour la Ligue française pour les droits des femmes, on la retrouve en 1936 donnant une conférence sur « le vote des femmes et la République » avec Maria Vérone, Andrée Lhemann et Me André Le Troquer.

Le 1er août 1935, elle publie un texte dans le magazine Je sais tout, intitulé : « Ce que femme veut… », en tant que secrétaire pour la Société pour l’amélioration du sort de la Femme. Elle écrit notamment : « La femme […] s’efforcera, lorsqu’elle aura droit de parole dans les affaires du pays, d’apporter une amélioration aux lois concernant l’enfance, la santé publique, l’hygiène, la vieillesse. » Elle appelle à l’égalité salariale, la protection des enfants, le soutien financier à l’allaitement ou encore une meilleure protection juridique des jeunes filles « contre la séduction ».

Seconde Guerre mondiale : une avocate résistante

En septembre 1939, lors de la mobilisation, Nelly Bloch indique à son bâtonnier qu’elle reste disponible afin de poursuivre son travail d’avocate. Mais alors que l’offensive allemande se rapproche, elle quitte la capitale avec mari et enfants en juin 1940 pour se réfugier dans le Gers. Nelly Bloch n’est cependant pas femme à laisser ses dossiers sans suivis. Elle demande au bâtonnier de lui faciliter le retour à Paris. Malgré les lois anti-juifs, elle obtient l’application à son profit des dispositions de l’article 8 de la loi du 2 juin 1941 : « Article 8 : Peuvent être relevés des interdictions prévues par la présente loi, les juifs : 1. Qui ont rendu à l’État français des services exceptionnels ; 2. Dont la famille est établie en France depuis au moins cinq générations et a rendu à l’État français des services exceptionnels ». Ce maintien n’est que de courte durée. Le décret du 12 février 1942 la radie du barreau, comme nombre de ses confrères. Domiciliée à Grenoble, elle vit en zone libre et entretient des liens avec la Résistance.

En 1943, les Allemands perquisitionnent son cabinet du 100 quai de la Rapée et plusieurs dossiers de ses clients sont emportés. Nelly est finalement arrêtée avec sa fille Francine à Grenoble le 23 février 1944. Transférées à Drancy début mars, elles sont déportées à Auschwitz par le convoi n°69, soit le plus grand convoi de déportation parti de France avec à son bord 1 501 personnes. 110 hommes et 80 femmes sont sélectionnés pour les travaux forcés. Le reste du convoi est gazé, trois jours après l’arrivée, le 10 mars 1944. En 1945, seulement une vingtaine s’en sortiront. Me Nelly Bloch n’en reviendra pas.

Sans que l’on sache vraiment pourquoi, l’appartement quai de la Rapée, occupé par Gaston Bloch, est cambriolé en 1949. Des dossiers d’avant 1939 de Me Nelly Bloch sont volés. Le Mémorial dédié aux avocats et avocates morts durant la Seconde Guerre mondiale ajoute que « lors des commémorations aux morts de 1949, le bureau des Anciens combattants du Palais a omis de convier Gaston Bloch et son fils à la cérémonie. Le mari de Nelly le déplore en écrivant au Bâtonnier. Ce dernier n’étant qu’invité à la cérémonie n’est pas à l’origine des convocations pour les familles, regrettant ce malentendu “d’autant plus que Me Nelly Bloch était particulièrement estimée au barreau parisien”. »

Plan