« Nous avons un travail important de promotion à accomplir pour convaincre des vertus de notre système »
Le président du tribunal de commerce de Paris a fait partie de la délégation qui a accompagné le chef de l’État lors de son voyage aux États-Unis fin avril. Il est allé faire la promotion des chambres internationales destinées à attirer le contentieux économique international à Paris. Ce qui inquiète les Américains, explique-t-il, c’est la procédure écrite. Ils ont le sentiment qu’elle ne permet pas la manifestation de la vérité comme une procédure orale. La délégation a tout fait pour les rassurer. Jean Messinesi évoque également dans cet entretien d’autres questions d’actualité, dont les raisons pour lesquelles son mandat risque d’être écourté, l’utilité de la réforme sur le secret des affaires ou encore la nécessité d’une réforme des tribunaux de commerce.
Les Petites Affiches
En principe votre mandat s’achève à la fin de l’année judiciaire 2019, mais il se pourrait que vous deviez quitter vos fonctions à la fin de cette année. Pourquoi ?
Jean Messinesi
J’ai en effet été élu il y a trois ans pour un mandat d’une durée de quatre ans. Seulement, la loi dite J21 a fixé une limite d’âge, 75 ans, qui va me forcer à quitter mes fonctions à la fin de cette année. À l’origine, la Chancellerie voulait instituer une règle simple : au-delà de 70 ans il n’était plus possible d’être élu juge consulaire, mais être élu à 69 ans signifiait que l’on pouvait siéger jusqu’à 74 ans. La Conférence générale des tribunaux de commerce a protesté, estimant que 70 ans c’était bien trop jeune. Résultat, le ministère a revu sa copie et décidé que les fonctions s’arrêtaient à 75 ans, quelle que soit la durée du mandat restant à courir. La loi aurait pu prévoir de s’appliquer aux mandats ouverts après son entrée en application, en réalité elle s’applique immédiatement, ce qui d’une certaine façon lui donne des effets rétroactifs puisque le législateur interrompt des mandats en cours. J’en ai parlé aux conseillers justice de la présidence de la République et du Premier ministre, ainsi qu’à la Chancellerie. Tous m’assurent s’intéresser au le problème. Le député du 7e arrondissement, Gilles Legendre, est même prêt à porter un amendement, à condition que la Chancellerie l’assure de sa neutralité bienveillante. L’amendement consisterait soit à préciser que tout mandat débuté avant l’entrée en application de la loi se poursuivra jusqu’à son terme, soit révisera les règles d’éligibilité. Le problème, c’est qu’il faut trouver une loi en lien avec la justice pour le porter. Il y aurait bien la loi de programmation, mais je suis obligé d’organiser les élections et je ne peux pas attendre qu’elle soit adoptée, sachant qu’il n’est pas certain que cela intervienne avant la fin de l’année, explique-t-on au ministère. J’ai déjà trois juges au tribunal de commerce de Paris qui sont partis le 31 décembre, et nous serons trois à la fin de cette année… Mon successeur sera élu pour un an le temps de terminer mon mandat. Il est évident que deux élections en un an n’est pas idéal, une campagne représente un temps de tension au sein du tribunal qui n’a pas besoin que ça se répète trop souvent. Par ailleurs, la Chancellerie m’a sollicité pour faire la promotion de la nouvelle chambre internationale et je m’y consacre autant que je peux, il serait dommage que je ne puisse pas continuer de travailler à la promotion des juridictions internationales parisiennes car je crois que compte tenu de mon expérience passée j’ai sur ce sujet une certaine crédibilité. La perspective de cette retraite anticipée m’attriste, mais je ne suis pas amer.
LPA
Précisément, vous avez fait partie de la délégation qui accompagnait Nicole Belloubet, dans le cadre du déplacement du chef de l’État aux États-Unis fin avril, en vue de promouvoir cette nouvelle chambre…
J. M.
Une délégation a en effet accompagné Nicole Belloubet pour faire la promotion de la nouvelle Chambre internationale dans le cadre d’une réunion avec une trentaine d’avocats et de directeurs juridiques de groupes américains et internationaux au cabinet Baker & Mc Kenzie. Cette réunion était organisée conjointement par la Chancellerie, l’Ambassade de France et la Chambre de commerce franco-américaine. Il y avait aussi des représentants de la Banque Mondiale. Les rapports Doing Business sont certes moins défavorables au système de droit continental mais continuent de privilégier la common law. J’ai travaillé 6 ans aux FMI, je connais bien les gens de la Banque Mondiale, ils sont tous de culture anglo-saxonne. Par exemple, je ne me souviens que d’un seul directeur du département juridique du Fonds qui fut de culture continentale, un civiliste français, d’ailleurs exceptionnel. Nous avons donc un travail important de promotion à accomplir pour convaincre des vertus de notre système. Les questions qu’on nous a posées montrent une inquiétude à l’égard de la procédure écrite à la cour d’appel et de la possibilité ou non de procéder à l’interrogatoire des témoins à la barre et de citer des experts. Nous avons expliqué que la procédure serait appliquée avec toute la flexibilité que nous offre la loi, flexibilité que l’on a d’ailleurs eu parfois tendance à oublier. C’est d’autant plus indispensable que les Américains sont très attachés à la cross-examination, à leurs yeux, la procédure écrite pourrait constituer un obstacle ; mais ce qui les préoccupe avant tout c’est l’idée que la procédure ne favorise pas l’émergence de la vérité. Or ceci est faux ! En tant que président du tribunal de commerce de Paris, je leur ai expliqué que notre procédure est orale, et que le juge est lui-même un professionnel du monde des affaires tout à fait capable de comprendre l’économie des opérations ainsi que les motifs et les enjeux d’un litige. Il ne s’agit pas de dire que les juges anglais sont moins qualifiés, ce serait idiot, ce sont souvent d’anciens avocats qui ont une solide connaissance du business, mais de valoriser la spécificité française. J’ai essayé de faire passer cette idée. C’est le juge qui conduit les débats, et parce qu’il connaît très bien la matière, il sait faire émerger la vérité.
LPA
Votre chambre internationale est déjà opérationnelle depuis 10 ans, qu’en est-il de celle de la Cour ?
J. M.
En effet, on peut y plaider en anglais, devant des magistrats très qualifiés, il y a notamment des juges qui ont occupé des fonctions très importantes dans des multinationales, qui sont des ingénieurs de haut niveau qui ont complété leur formation par des MBA d’université anglo-saxonnes prestigieuses. Quant au coût, car il faut en parler, il est dérisoire. J’ai rappelé le cas de ce dossier dans lequel le plus gros opérateur allemand de télécommunication assignait une société française du CAC 40 pour 3 milliards de dollars. Le jugement a coûté au demandeur… 146 euros. Du côté de la Cour, la chambre devait être opérationnelle en mars, l’échéance a été reportée à septembre car le recrutement est difficile. Non pas tant parce que les bons candidats manquent, ce n’est pas le cas, mais plutôt parce que les rigidités administratives françaises ne favorisent pas leur intégration dans une chambre nouvelle ou certains talents particuliers sont requis sans que les « grilles » et les « indices » en tiennent compte. Sur les trois magistrats, ils n’en ont que deux, dont une ancienne avocate diplômée de la New-York University qui a exercé plusieurs années aux États-Unis. Elle faisait partie de la délégation et a fait un discours tout à fait convaincant.
LPA
Lors de ce voyage aux États-Unis, avez-vous abordé la situation des juridictions consulaires avec la ministre ?
J. M.
Le projet de loi de programmation pour la justice ne dit rien des tribunaux de commerce. J’ai toutefois expliqué à la ministre ce que j’avais déjà évoqué dans vos colonnes (NDLR : v. « Affaire Conforama : la confidentialité est indispensable à la prévention », LPA 12 mars 2015, n° LPA134p3) et qui me paraît d’une importance capitale : on ne peut pas continuer à maintenir en vie des tribunaux de trop petite taille. Je pense qu’il faut en supprimer environ 80. Pour que la réforme s’opère en douceur, on pourrait envisager de les rattacher dans un premier temps au grand tribunal le plus proche. Ce qui s’inscrirait d’ailleurs dans la logique de la ministre qui, sur la carte judiciaire, conserve les lieux de justice mais regroupe les juridictions pour améliorer le fonctionnement de l’institution. Quand on comprendra que maintenir un tribunal de 9 juges est inutile, on se décidera à les fermer. Les juges quant à eux pourront exercer dans le tribunal le plus proche auquel ils seront rattachés.
LPA
La loi sur le secret des affaires en cours d’examen au Parlement fait couler beaucoup d’encre. On lui reproche notamment de vouloir limiter le droit à l’information et de réduire la protection et donc le pouvoir du lanceur d’alerte. En tant que juge consulaire, cette loi vous paraît-elle nécessaire ?
J. M.
L’entreprise a des savoir-faire développés en interne ou acquis qu’elle peut protéger par le système des brevets et personne ne s’en offusque. Et puis il y a les pratiques commerciales qui, dès lors bien entendu qu’elles sont légales, méritent, elles aussi d’être protégées. Il est normal que les entreprises bénéficient de défenses contre des démarches invasives et des pratiques anti-concurrentielles, sous réserve bien entendu de permettre aux lanceurs d’alerte et aux journalistes de dénoncer les pratiques illégales, par exemple la corruption. Au tribunal de commerce de Paris nous faisons attention justement à ces pratiques et notamment à ce que la procédure ne soit pas instrumentalisée. Nous sommes très vigilants concernant les procédures de l’article 145 du Code de procédure civile au terme duquel : « S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ». Prenons le cas d’une entreprise qui se plaint que sa concurrente a des pratiques déloyales à son endroit et demande à aller chercher les preuves de ce qu’elle avance chez son adversaire. On ne peut pas la laisser consulter tous les documents de la défenderesse car il y a un risque élevé qu’elle tombe au passage sur des données confidentielles. On fait donc saisir les documents par un huissier du tribunal et c’est ensuite un tiers de confiance désigné par les deux parties qui va consulter les documents et sélectionner ce qui est en lien avec l’affaire. La loi offre une protection aux entreprises, notamment en matière procédurale qui apporte une sécurité supplémentaire par rapport à une simple bonne pratique.