« Nous n’avons rien fait qui justifie d’être injuriés »

Publié le 27/04/2018

Un rapport de l’Inspection général des finances (IGF) intitulé : « La certification légale des petites entreprises françaises », publié mi-mars, préconise la fin de l’audit légal pour les petites entreprises par l’alignement sur les seuils européens (8 millions de chiffre d’affaires). La profession estime qu’elle va perdre un tiers de son chiffre d’affaires global. C’est pourquoi, ses dirigeants ont appelé à une manifestation nationale le 17 mai prochain. Philippe Castagnac analyse pour nous le rapport et les conséquences qu’il est susceptible d’entraîner sur la profession.

Les Petites affiches

Le rapport de l’IGF publié au mois de mars conclut à la nécessité de supprimer les commissaires aux comptes dans les petites entreprises et recommande au gouvernement d’aligner les seuils d’audit obligatoire en France sur les seuils européens. Qu’en pensez-vous ?

Philippe Castagnac 

À mesure que j’avançais dans la lecture de ce rapport, je suis passé de la consternation à la sidération. Une telle méconnaissance de notre profession est inadmissible à ce niveau. Ce qui est décrit dans ce document est à des années lumières de la réalité. Certes, nous ne sommes pas en permanence en train de sauver des entreprises de la défaillance ou de corriger des erreurs dans les comptes, mais affirmer que nous sommes inutiles, c’est ne rien connaître de notre pratique quotidienne ! On nous explique par exemple que le commissaire aux comptes est inutile dans les petites entreprises puisqu’on ne constate de réserves que dans 2 % des entreprises auditées. C’est un contre-sens total, s’il n’y a que 2 % de réserves c’est parce que nous avons fait notre travail, de sorte qu’il ne reste plus que 2 % des cas dans lesquels les comptes ne sont pas totalement conformes à ce que nous estimons être la règle. Et c’est la même chose s’agissant de la fraude fiscale. Traiter ainsi 15 000 professionnels qui contribuent à faire respecter l’ordre comptable, fiscal et juridique dans les entreprises est inimaginable. Nous n’avons rien fait qui justifie d’être injuriés. Il était si simple de nous dire : c’est une décision politique de simplification. Nous aurions respecté cette décision, au nom du choix politique dont les conséquences doivent être assumées par les ministères impliqués dans la décision. Ce rapport est inutilement insultant.

LPA

Quelles vont être les conséquences si le gouvernement suit cette recommandation, ce qui semble être plus ou moins acté…

P. C. 

Le rapport parle d’une perte de chiffre d’affaires de l’ordre de 600 M€, sur un chiffre d’affaires total annuel de 2,4 Mds €, nous pensons que c’est plutôt 800 M€. En pratique, la réforme va toucher entre 7 000 et 8 000 cabinets parmi lesquels environ 3 000 vont perdre plus de la moitié de leur chiffres d’affaires. Nous estimons que la mesure va entraîner le licenciement d’environ 7 000 à 8 000 personnes. On nous dit qu’en Grande-Bretagne et dans les pays nordiques, la fin de l’obligation de faire auditer ses comptes a eu peu d’impact car les entreprises ont majoritairement continué de le faire dans un cadre contractuel. C’est sous-estimer la différence entre les pays du Nord et l’esprit latin ! Je ne crois pas un instant que les entreprises françaises libérées de cette obligation vont massivement choisir de garder leurs auditeurs. Au-delà de cet impact direct sur l’activité, il faut aussi être conscient qu’on est en train d’envoyer un très mauvais message aux étudiants sur la filière et ses débouchés. Comment recruter les meilleurs dont nous avons besoin si le gouvernement explique dans un rapport de l’IGF que l’auditeur ne sert à rien ? Et puis il va y avoir nécessairement des conséquences sur le système des retraites, qui n’ont pas encore été prises en compte. Si l’on diminue d’un tiers le chiffre d’affaires de la profession et que l’on pousse les professionnels seniors à prendre leur retraite faute de pouvoir poursuivre leur activité, comment fait-on pour maintenir l’équilibre du système par répartition ? On connaît la réponse !

LPA

Que va faire la profession ?

P. C.

Les décisions ne sont pas encore toutes prises, il va donc falloir encore travailler le sujet, mais aussi les délais, les mesures transitoires ou d’accompagnement. En particulier, le gouvernement entend-il appliquer les nouveaux seuils aux groupes ? Autrement dit seule la structure qui atteint le seuil sera-t-elle soumise à l’obligation de faire auditer ses comptes et pas ses filiales ? Quid des sœurs lorsqu’elles forment un ensemble économique lié ? Ceci pourrait transformer le périmètre audité en gruyère à gros trous. Or on sait très bien ce qui va se passer, dès qu’une entité atteindra le seuil, on en créera une nouvelle pour demeurer en-dessous. C’est ainsi que des groupes entiers ne seront plus audités alors qu’ils pèseront bien plus de 8 M€. Il est capital de conserver l’audit de l’ensemble des entités formant un groupe économique. Il faudra aussi négocier l’indemnisation des confrères. Certains se sont endettés pour acheter leur cabinet. Et puis, dans certains endroits, plus de 80 % des mandats sont susceptibles de disparaître, ce qui va poser un problème de maillage territorial. Toutes les tailles de cabinet sont touchées, y compris les très grands dès lors qu’ils interviennent auprès des petites entreprises. Nous allons bien entendu nous réorganiser mais après l’implémentation de la réforme européenne de l’audit en 2016 et à l’heure du digital, nous avions vraiment d’autres chantiers à mener que de potentiels plans de licenciements. Il faut réfléchir très vite à la manière de sauver les professionnels qui n’exercent que dans de petites structures. Cela va aussi sans doute nous obliger à repenser la gouvernance de toute la profession du chiffre pour l’alléger : comment conserver les structures actuelles avec un tiers de chiffre d’affaires en moins ?

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