« Nous sommes parvenus à une résolution commune »

Publié le 08/08/2019

En amont du sommet du G7, qui se tiendra à Biarritz à la fin du mois d’août, le Conseil national des barreaux a, pour la première fois, organisé un « G7 des avocats ». Depuis plusieurs mois, les avocats des barreaux allemands, japonais, italiens, américains, anglais, canadiens et français ont échangé pour porter des revendications communes devant les gouvernements de leurs pays. La présidence française a déclaré que ce G7 serait un sommet « social », avec pour principaux thèmes de discussion la réduction des inégalités et la dimension sociale de la mondialisation. Les avocats du G7 se sont calés sur cette thématique, et enjoignent leurs gouvernements à promouvoir l’égalité hommes-femmes, à favoriser un débat sur la responsabilité des gouvernements, à protéger l’environnement, à inciter les entreprises au respect des droits de l’Homme, et aussi à veiller à ce que la loi protège les avocats dans l’exercice de leurs fonctions. Louis-Bernard Buchman, président de la commission des affaires européennes du Conseil national des barreaux, a accepté de répondre à nos questions à peine les séances de travail terminées et la résolution commune rédigée.

Les Petites Affiches : Vous sortez tout juste d’une journée d’échanges avec vos confrères étrangers de pays du G7. À quoi êtes-vous parvenus ?

Louis-Bernard Buchman : Les sept instances représentatives de la profession d’avocat des pays du G7 sont parvenues à se mettre d’accord, et nous venons de signer une résolution commune à laquelle a également participé le Conseil des barreaux européens, représentant de l’Union européenne des avocats. Il y a donc eu 8 signatures en tout sur un certain nombre de documents qui seront présentés à l’Élysée. Ce sont des avancées considérables. Les avocats se sont saisis de sujets très politiques.

LPA : À quel titre les avocats interviennent-ils au G7 ?

L.-B. B. : Nous représentons une voix de la société civile. Nous sommes le huitième « groupe d’engagement » du G7 de Biarritz. Nous avons été invités à présenter des idées aux gouvernements, au même titre que d’autres « groupes d’engagements », que sont par exemple les universitaires, les organisations féministes, les ONG… Ces différents groupes demandent au G7 de s’engager sur les propositions qu’ils leur transmettent. Ce G7 des avocats porte la voix de 1,8 million d’avocats des pays du G7.

LPA : Quelle est la genèse de cette résolution ?

L.-B. B. : C’est une idée de Christiane Féral-Schul, qui a réalisé l’an dernier, lorsqu’elle était invitée à la rentrée solennelle du barreau de Montréal, que la France allait présider le G7. Elle s’est dit qu’il fallait profiter de l’occasion pour faire entendre la voix des avocats, importante pour la démocratie. Nous nous sommes donc rapprochés des équipes de l’Élysée pour savoir quels seraient les thèmes que la présidence française mettrait en avant lors du G7 de Biarritz. Dès que nous avons connu ces thèmes, nous avons commencé à travailler sur chacun d’eux avec nos homologues étrangers : les six autres pays du G7 et le CCBE. De toutes ces discussions sont sorties ces propositions que nous remettrons aux gouvernements qui se réunissent du 24 au 26 août prochains à Biarritz.

LPA : Pouvez-vous présenter la résolution ?

L.-B. B. : Le premier document, le plus important, est un texte de propositions très fourni : il y a presque une trentaine de propositions différentes sur des sujets comme la protection de l’environnement, le numérique, l’intelligence artificielle… Nous avons, en préambule, rappelé notre attachement à l’État de droit, rappelé le rôle de la profession d’avocat dans la protection des libertés fondamentales, insisté aussi sur la nécessité d’avoir une magistrature indépendante. Nous avons rappelé l’importance des principes de La Havane, qui sont les principes qui posent le rôle des barreaux et sont garantis par les Nations unies. Nous nous sommes inquiétés du fait que des décisions de justice pourraient être entièrement rendues par des systèmes d’intelligence artificielle à l’aide d’algorithmes. Nous nous sommes mis d’accord sur ce que nous estimons, dans ce contexte, constituer un risque pour les droits fondamentaux.

LPA : Quelles sont les deux autres résolutions ?

L.-B. B. : Nous avons, en plus de ce premier document, deux autres textes qui sont des déclarations. La première en faveur de la libération de l’avocate Nasrin Sotoudeh, notre conseur iranienne emprisonnée. Cette déclaration a été signée par presque tout le monde. Le second texte est une autre déclaration contre la peine de mort qui a été proposée par la confédération des barreaux japonais. C’est vraiment extraordinaire car c’est la première fois qu’un pays dans lequel la peine de mort existe encore voit son barreau se mobiliser pour obtenir que son gouvernement revoie son dispositif pénal et abolisse la peine de mort. Il faut saluer le courage de nos confrères japonais qui se sont emparés d’un thème qui peut être controversé et polémique au Japon. Ils soulèvent d’eux-mêmes le débat. C’est assez remarquable.

LPA : Est-ce la première fois que les avocats produisent une telle résolution pour le G7 ?

L.-B. B. : Le fait que les avocats parlent d’une seule voix sur des sujets aussi politiques est une première. Nous avons essayé de travailler en fonction des thèmes qui avaient été présentés comme prioritaires par la présidence française du G7.

LPA : Quel est votre sentiment ?

L.-B. B. : Le résultat est intéressant et novateur. J’en suis, à titre personnel, extrêmement satisfait. Je dois dire que je ne m’attendais pas à ce qu’on arrive à se mettre d’accord. Nous sommes allés bien plus loin que je ne l’espérais. L’adhésion des autres pays a été magnifique On avait beaucoup de soutien dans cette initiative. Un tel résultat est pour moi inespéré.

LPA : Pourquoi pensiez-vous que vous n’y arriveriez pas ?

L.-B. B. : Toute négociation internationale est difficile. Là, nous étions sept autour de la table, avec des principes de droit, des histoires différentes. La construction de la norme, de l’État de droit, s’est faite différemment selon ces pays. Les pays du G7 sont tous des démocraties et partagent donc un socle de valeurs communes. Il existe cependant des nuances qui peuvent être importantes. Ce n’était pas gagné d’avance que l’on arrive à un consensus.

LPA : Pouvez-vous nous donner un exemple ?

L.-B. B. : On a introduit une notion nouvelle, en présentant l’aide juridictionnelle comme composante du droit humanitaire. Nous disons en effet que c’est un droit humanitaire que d’avoir droit à un avocat qui vous assiste en situation de détresse. Cela permettrait de faire rentrer de l’aide juridictionnelle là où elle fait défaut : en amont de tout procès. Cela permettrait par exemple aux migrants de faire valoir leurs droits de manière efficace. Il faut qu’ils puissent être conseillés car ils ignorent eux-mêmes quels sont leurs droits. Leur donner de l’assistance juridique permettrait de sensiblement augmenter leurs chances de faire valoir leur droit d’asile. C’est une proposition, à mon sens, audacieuse et novatrice.

LPA : Ces avocats partageraient donc, par-delà les frontières, un même état d’esprit ?

L.-B. B. : Exactement. Nous considérons que les avocats sont les gardiens de la démocratie et qu’ils ont un rôle essentiel dans le système judiciaire. Ils sont coproducteurs des décisions judiciaires car les magistrats prennent des décisions basées sur les arguments qui leur sont présentés par les avocats. Dans tous ces pays, même s’il y a des variantes, ce rôle est reconnu. Je vais vous donner l’exemple du Japon, qui est sans aucun doute une démocratie. Les avocats japonais ne bénéficient pas du secret professionnel. Une de leur demande est évidemment de se le voir reconnaître. C’est une différence majeure, qui ne nous a pas empêchés de nous mettre d’accord sur les résolutions et les principes que nous avons rédigés.

LPA : Qu’est-ce que vous attendez de ces propositions ?

L.-B. B. : Nous allons transmettre ces propositions aux services de l’Élysée qui prépare le G7 politique qui se tiendra à la fin du mois prochain. Nous espérons évidemment qu’elles ne resteront pas lettre morte. Et que, dans un certain nombre de pays, les dirigeants vont se saisir de ces propositions et les mettre en application. Voilà notre objectif, certes ambitieux. On peut rêver. Il faut rêver, disait même Martin Luther King. Nous croyons à ce que nous proposons, à la nécessité de faire bouger les lignes. Ce qui me fait vraiment plaisir est que cette ambition est partagée par tous nos homologues.

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