« Nous voulons faire évoluer le statut du rapporteur »

Publié le 21/03/2018

À Montreuil, les agents de la Cour nationale du droit d’asile sont en grève depuis le 13 février dernier. Surcharge de travail, rémunération insuffisante, ils dénoncent de mauvaises conditions de travail. Ils demandent également un changement de fond de l’organisation de la Cour. Sébastien Brisard, rapporteur et secrétaire général du syndicat indépendant des personnels du Conseil d’État et de la CNDA, affilié à l’UNSA-Justice, fait le point sur cette proposition pour les Petites Affiches.

Les Petites Affiches

Quelles sont les revendications des grévistes de la CNDA ?

Sébastien Brisard

Nous demandons une revalorisation de nos conditions de travail. Actuellement, les rapporteurs doivent traiter 325 dossiers dans l’année. Quand on enlève les week-end, les jours fériés et les vacances, on arrive à un ratio de deux rapports par jour. C’est beaucoup, d’autant plus que les dossiers se complexifient. Nous souhaitons que cette norme soit ramenée à 275 rapports annuels. Nous avons également des revendications salariales. Chez les rapporteurs, il y a 90 % de contractuels. 220 agents de catégorie A, qui n’ont pas les mêmes rémunérations que les fonctionnaires, travaillent à la CNDA. Leur salaire d’entrée est de 1 790 euros par mois. Les revendications salariales ont été entendues, et le salaire de ces agents devrait être augmenté de 125 euros mensuels. Ils auraient donc un salaire d’entrée de 1 900 euros net par mois. Une différence perdure avec les rapporteurs fonctionnaires, rémunérés, à compétence égale, à hauteur de 2 200 euros mensuels. La principale préoccupation n’est pas le salaire. Nous voulons voir évoluer la fonction du rapporteur, qui nous semble aujourd’hui très ambigüe.

LPA

Quelle est la fonction précise des rapporteurs ?

S.B.

Leur mission première est de rédiger un rapport sur lequel vont s’appuyer les membres de la formation de jugement pour rendre leur décision. Ce rapport est préparé avant l’audience et lu pendant l’audience. Ce rapport est un élément neutre, rédigé à destination de la formation de jugement et des parties. Il comprend une analyse géopolitique du pays dont est issu le demandeur d’asile, et une analyse de la jurisprudence rendue par la Cour. Les rapporteurs ne se prononcent pas sur les faits, ne remettent pas en cause leur établissement. Quand le rapport soulève un vrai point de géopolitique, l’avis du rapporteur est généralement suivi. Mais la fonction de rapporteur va au-delà de cette tâche : il assiste au délibéré et rédige le projet de décision, y compris si celui-ci va à l’encontre de son avis. Les rapporteurs sont finalement présents durant tout le processus décisionnel. Ils sont théoriquement extérieurs à la prise de décision, mais dans les faits, ils sont très impliqués. Cette situation est inconfortable. Nous voulons que le statut soit clarifié.

LPA

Pourquoi la CNDA emploie-t-elle autant de contractuels ?

S.B.

Le contentieux de l’asile a augmenté de 34 % en 2017. Normalement, les rapporteurs sont recrutés dans le corps des attachés d’administration. Mais ils sont désormais trop peu nombreux pour faire face aux besoins. D’où le recours aux contractuels, qui ont des profils assez variés. Certains sortent d’école, d’autres sont d’anciens assistants de justice, d’autres ont travaillé sur l’asile au sein d’associations… Ils ont des formations de juristes, ou sont diplômés de sciences politiques ou de relations internationales. Tous ont des profils BAC+5 et portent de grosses responsabilités.

LPA

Comment voulez-vous faire évoluer le statut ?

S.B.

Nous demandons que le rapporteur soit intégré à la formation de jugement. Nous souhaitons la création d’un corps de catégorie A spécifique à la Cour nationale du droit d’asile, qui intègrerait les contractuels. Cela permettrait de mettre fin aux disparités qui existent entre des personnes exerçant les mêmes fonctions. Aujourd’hui, les audiences de la CNDA sont collégiales. La formation de jugement compte trois membres, dont un président qui vient de l’ordre judiciaire, financier ou administratif. Il a deux assesseurs, dont l’un est nommé sur proposition du Haut commissariat aux réfugiés, et le deuxième par le vice-président du Conseil d’État. Nous souhaitons que le rapporteur remplace ce second assesseur. Ce projet d’intégrer les rapporteurs à la formation de jugement est proposé depuis plusieurs années. Il est bien reçu et semble fondé à tous. Mais créer un corps implique de revoir le fonctionnement de la Cour dans son ensemble. Le Conseil d’État et la CNDA ne sont pas habilités à faire ce changement. Cela relève du législateur.

LPA

Quel serait l’avantage de ce statut ?

S.B.

Cela changerait beaucoup, car 70 % des membres de la formation de jugement sont vacataires. Ce qui pose problème en termes d’investissement dans la juridiction. Les rapporteurs, eux, sont impliqués dans la vie de la Cour, vont aux réunions de chambre, participent aux formations… Il faudrait qu’au moins un des membres de la formation de jugement soit permanent. Cet objectif serait plus facile à atteindre si les rapporteurs pouvaient y être intégrés. Nous sommes, avec les présidents de la Cour, qui sont permanents, les garants de la jurisprudence et la mémoire de la Cour.

LPA

La fonction de rapporteur attire-t-elle facilement des candidats ?

S.B.

Oui, car c’est une fonction intéressante. Nous avons des responsabilités, nous voyons des gens du monde entier. Il y a en revanche une forte charge de travail, ainsi qu’un impact émotionnel et psychologique que les gens n’imaginent pas. Les rapporteurs de la CNDA ne le restent généralement pas plus de 3 ans. C’est un coût pour la juridiction, car il faut sans cesse reformer des gens.

LPA

Avez-vous des revendications concernant les autres professions de la CNDA ?

S.B.

Nous souhaitons que les secrétaires d’audience soient remplacés par des greffiers, qui consigneraient tous les propos tenus à l’audience. Cela implique, pour ces personnels, un changement de catégorie C à B. Cela nous semble indispensable. Aujourd’hui, de plus en plus d’avocats contestent les décisions car ils estiment que les propos ne sont pas bien retranscrits. Par ailleurs, nous demandons, pour toutes les professions de la Cour, la mise en place d’un suivi psychologique. Concrètement, il pourrait s’agir de la mise en place d’un groupe d’écoute ou de l’affectation d’un psychologue à la Cour. Que nous soyons secrétaires d’audience, rapporteurs, membres de la formation de jugement, nous sommes confrontés à des récits de souffrance. Le personnel ne peut pas encaisser seul la charge émotionnelle de ces récits.