Olivier Salustro : « Toutes les entreprises doivent s’intéresser à l’évaluation » !
Lancée en 2010, la Journée de l’évaluation, fêtait fin octobre son 10e anniversaire. Organisé par la Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC) et le Conseil national de l’Ordre des experts-comptables (CNOEC), l’événement permet chaque année d’évoquer les enjeux, actuels et futurs, de l’évaluation des entreprises. L’édition 2022 était l’occasion, notamment, d’examiner l’impact du contexte économique (guerre en Ukraine et inflation) sur l’activité des professionnels chargés de l’évaluation. Olivier Salustro, commissaire aux comptes et président de la Commission évaluation au sein de la CNCC, évoque « un ensemble de problématiques qui pèse nécessairement sur l’évaluation des entreprises et particulièrement sur leurs trésoreries ».
Actu-juridique : Qu’est-ce que l’évaluation d’une entreprise ? Pourquoi est-ce utile d’évaluer une entreprise ?
Olivier Salustro : D’ordinaire quand nous évoquons l’évaluation d’une entreprise nous parlons de la valeur de ses titres. Une évaluation intervient généralement lors d’un investissement majeur, une transmission, une fusion ou une acquisition, soit à des moments clés de la vie d’une entreprise. L’évaluation, par un professionnel, permet de connaître la valeur réelle d’une société sur un marché donné et ses perspectives d’évolution. Pour un repreneur, par exemple, il est essentiel de savoir si l’entreprise qu’il souhaite racheter réalise des bénéfices, pour quels motifs, de connaître l’ensemble des actifs concernés, ou encore le placement vis-à-vis de la concurrence. L’évaluation permet, in fine, de contribuer à la négociation entre les parties, aboutissant à un prix de cession.
Aussi, un chef d’entreprise peut être conduit à réaliser un test de valeur de ses actifs pour établir un arrêté des comptes et savoir si ces derniers se sont dépréciés ou non par rapport à la valeur nette comptable. Ainsi, l’évaluation permet de présenter une image fixe, claire et chiffrée, de la situation d’une entreprise, au-delà des apparences et des grandes données.
Actu-juridique : L’évaluation concerne-t-elle toutes les entreprises, notamment les plus petites, ou seulement celles cotées en bourse ?
Olivier Salustro : Toutes les entreprises doivent s’intéresser à l’évaluation, et ce pour plusieurs raisons. D’abord, l’évaluation est un indicateur fiable de la santé d’une entreprise et de son positionnement sur un marché. Parfois, en économie nous pouvons avoir l’impression que l’activité d’une entreprise est inscrite dans un cycle positif du fait de son niveau de ventes, or son avenir peut être compromis par des investissements insuffisants. Plus simplement, pour toute entreprise, notamment familiale, il est toujours opportun de penser la transmission 5 à 10 ans avant l’acte officiel. Or, l’évaluation de la valeur de l’entreprise est un indicateur incontournable pour préparer et opérer la transmission dans les meilleures conditions. Une transmission peut entraîner une restructuration ou une réorientation de l’activité de l’entreprise. Enfin évaluer son entreprise, aussi petite soit-elle, permet de communiquer sur la tenue de son activité notamment auprès des actionnaires.
Actu-juridique : Quelles sont les actualités de l’évaluation ?
Olivier Salustro : L’actualité est portée par deux problématiques majeures. La première, positive, concerne les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Ces critères, par la place qu’ils prennent aujourd’hui dans le monde de l’entreprise, entraînent un changement dans leur évaluation. Comment peut-on et doit-on prendre en compte ces critères ? Nous ne disposons pas d’une méthode faisant consensus et cela nourrit évidemment les débats. Ainsi, une entreprise qui agit concrètement sur la pollution qu’elle induit ne sera pas évaluée de la même manière qu’une concurrente qui n’incorpore que trop peu encore ce sujet. Des études récentes montrent que les pratiques durables ont une influence positive sur la performance financière.
Le second sujet d’actualité est en lien avec le contexte économique national et international. Inflation élevée, hausse des coûts de l’énergie et des matières premières, tout cela sur fond de guerre en Ukraine. C’est un ensemble de problématiques qui pèse nécessairement sur l’évaluation des entreprises et particulièrement sur leurs trésoreries. Les prévisions d’affaires et de résultats sont impactées par la conjoncture économique. À cela s’ajoutent toutes les incertitudes sur l’avenir. L’inflation va-t-elle augmenter encore ? La guerre en Ukraine va-t-elle continuer d’impacter la croissance économique ? Ce sont certaines des questions auxquelles font face les évaluateurs et qui compliquent leur travail. Les professionnels doivent-ils, dans ce contexte, mettre en œuvre plusieurs scénarios dans leur évaluation à l’instar de ce que nous faisions pendant la période Covid ? C’est là une autre question d’actualité.
Actu-juridique : À ce propos, en tant qu’évaluateur et commissaire aux comptes, êtes-vous inquiet pour le tissu économique français ?
Olivier Salustro : Il m’est impossible de répondre de manière globale à votre question. Chaque entreprise, dans chaque secteur, fait avec une réalité et des difficultés particulières. Les entreprises leaders dans leur domaine pourront probablement mieux surmonter le choc inflationniste et la situation actuelle. Pour les autres, tout dépendra justement du réel état de leur santé économique. Pourront-elles sans mettre en péril leur pérennité, par exemple, baisser leurs marges pour ne pas répercuter intégralement la hausse de leurs coûts sur leurs prix et garder ainsi leurs clients ? Ces crises sont révélatrices en réalité de la bonne santé ou non des acteurs économiques. Et cela est d’autant plus vrai aujourd’hui que nous sortons tout juste de la pandémie. Beaucoup de sociétés ont pu traverser cette période grâce aux aides accordées par l’État. Les remboursements des prêts garantis par l’État (PGE), notamment, vont désormais s’accélérer. Les entreprises pourront-elles mener ces deux combats de front ? Pas toutes, il me semble.
Actu-juridique : Quelles sont les missions de la Commission évaluation des entreprises que vous présidez au sein de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes ?
Olivier Salustro : La Commission, qui réunit une quarantaine de professionnels, a pour objectif de mettre à jour la doctrine professionnelle qu’emploient les commissaires qui utilisent les techniques d’évaluation. Concrètement nous travaillons, comme nous le disions auparavant, à l’intégration des critères ESG dans les méthodes d’évaluation ou au développement, par ailleurs, d’une approche d’évaluation pour les start-ups. Nous avons également pour mission de diffuser notre savoir auprès de nos confrères. C’est à cet effet que nous publions des guides d’évaluation, que nous organisons la Journée de l’évaluation chaque année depuis 10 ans ou que l’un de nos groupes de travail réalise semestriellement l’Observatoire de la valeur des moyennes entreprises depuis 2014. Au total, la Commission que je préside est composée de 6 groupes de travail, tous chargés de mesurer les impacts des nouvelles législations ou de réfléchir aux enjeux contemporains et d’avenir de l’évaluation.
Actu-juridique : Vous avez organisé le 25 octobre dernier la 10e édition de la Journée de l’évaluation à Paris. En quoi ce type de rendez-vous, concentré sur une journée, est-il encore essentiel ?
Olivier Salustro : L’évaluation financière n’est pas encore normée en France. Il est donc fondamental que l’ensemble des professionnels partagent une même doctrine. La Journée de l’évaluation permet ainsi d’échanger et de partager les informations entre professionnels, investisseurs et chefs d’entreprise. D’autre part, le nombre d’acteurs qui opèrent dans l’évaluation est important si l’on considère les membres de la Compagnie, du Conseil national de l’Ordre des experts-comptables et toutes les associations intéressées.
À ce propos, nous donnons déjà rendez-vous à l’ensemble des acteurs de l’évaluation, l’an prochain, pour une 11e édition dont le fil rouge thématique portera sur les normes internationales de l’évaluation.
Référence : AJU006s2