Pascal Thuet : « Les commissaires de justice incarnent une justice de proximité »

Publié le 21/06/2022

Le 1er juillet 2022, les professions d’huissiers de justice et de commissaires-priseurs auront disparu, remplacées par la nouvelle profession de commissaire de justice. Celle-ci, née dans le prolongement de la loi Croissance et activité de 2015, sera placée sous l’égide de la Chambre nationale des commissaires de justice. Explications de Pascal Thuet, huissier de justice et Trésorier de la Chambre nationale des commissaires de justice.

Actu-juridique : Pouvez-vous nous présenter cette nouvelle profession de commissaire de justice ?

Pascal Thuet : Le 1er juillet 2022 sera une date importante, celle de l’avènement de cette nouvelle profession du droit. Elle est issue de la loi Croissance et activité, qui prévoyait dès 2015 d’agréger les professions d’huissier de justice et de commissaire-priseur. C’est la première fois, dans l’histoire des professions réglementées du droit, que deux professions se rapprochent pour en fonder une nouvelle. Ce rapprochement s’est construit en bonne intelligence depuis lors.

AJ : Pourquoi fallait-il fusionner ces deux professions ?

Pascal Thuet : Les fonctions d’huissiers et de commissaire-priseur se complètent. Les prérogatives des huissiers de justice comprennent la mise en application des décisions de justice. Les commissaires-priseurs sont pour leur part chargés de l’inventaire et de l’estimation judiciaire des biens. Ces professions sont toutes deux très anciennes. Si on remonte le temps, on comprend qu’elles ont à certains moments déjà été réunies. En 1691, Louis XIV avait créé des charges d’huissiers-priseurs, avec monopole des ventes aux enchères publiques et hérédité de ces offices. En 1758, Louis XV avait confirmé le maintien de leurs fonctions en les renommant. Après avoir été séparées, ces deux professions vont donc à nouveau être agrégées.

AJ : Quelles ont été les étapes de cette fusion ?

Pascal Thuet : Cela a commencé par l’institution, en 2019, de la Chambre nationale des commissaires de justice, qui réunit les instances ordinales des deux professions. Cette chambre est composée de deux sections professionnelles distinctes et autonomes avec néanmoins une assemblée générale plénière, un budget commun et un bureau de faîtage réunissant 3 huissiers de justice et 3 commissaires-priseurs judiciaires. Ce bureau est chargé d’œuvrer à la mise en place effective de la nouvelle profession. Après trois ans et demi de vie commune, nous allons achever définitivement notre fusion avec la suppression des deux sections professionnelles au 1er janvier.

AJ : Que s’est-il passé ensuite pendant 3 ans ?

Pascal Thuet : Il a fallu travailler d’arrache-pied pour construire le rapprochement effectif et réunir nos deux professions. Ce qui, de loin, pouvait sembler évident était bien plus complexe à mettre effectivement en œuvre. Comme souvent en droit, le diable se cache dans les détails. Ce travail est presque achevé aujourd’hui. La mise en œuvre d’un centre de formation des commissaires de justice où tout était à faire a été l’un des enjeux cruciaux du mandat qui s’achève. En 2021 a eu lieu la première rentrée solennelle de l’Institut national des commissaires de justice (INCJ), notre nouvel organisme de formation. Les premiers étudiants ayant suivi la formation initiale des commissaires de justice en sortiront diplômés au début de l’année 2023. Cette formation initiale est accessible après un concours d’entrée, auquel les candidats postulent après obtention d’un Master 2. Les cours y sont dispensés en tutoriel et en présentiel. Notre partenariat avec l’école du Louvre permet en outre aux élèves qui souhaitent devenir également opérateur de ventes volontaires de recevoir une formation exigeante en histoire de l’art. Du côté des offices d’huissiers de justice et de commissaires-priseurs judiciaires déjà en exercice, la grande majorité d’entre eux a d’ores et déjà suivi une formation « passerelle » spécifique qui leur permettra de bénéficier de la qualification de commissaire de justice dès le 1er juillet 2022.

AJ : Quelles seront les missions de ces commissaires de justice ?

Pascal Thuet : Le commissaire de justice assumera essentiellement les attributions des deux professions. La vraie différence pour le justiciable repose dans l’intégration de deux offres de services aujourd’hui distinctes au sein d’une seule et même profession. L’huissier a un rôle en amont, pendant et après le procès. Il a la charge de la signification des actes judiciaires et extrajudiciaires, la mise en application des décisions de justice, le recouvrement des créances – pour lequel il existe maintenant diverses possibilités de recouvrement amiable, avec le développement des modes alternatifs de règlement des litiges. L’huissier est également chargé des constats, de la rédaction d’actes sous seing privé, et il est de manière générale compétent pour du conseil juridique. Le commissaire-priseur a la charge de l’inventaire en matière de succession, de tutelle ou de procédure collective. Il doit estimer les biens et éventuellement les vendre aux enchères. Le commissaire de justice remplira ces différentes missions. Il sera un généraliste du droit avec quelques spécialités bien ciblées. Il sera possible d’aller voir un commissaire judiciaire pour lui exposer un problème, et ce dernier s’en chargera ou aiguillera le justiciable vers un professionnel plus spécialisé.

AJ : En quoi ce commissaire de justice incarnera-t-il une justice de proximité ?

Pascal Thuet : Ces dernières années, des tribunaux ont été fermés, et certains professionnels du droit sont difficiles à trouver dans des territoires peu peuplés. Cette nouvelle profession regroupera plus de 3 700 membres répartis sur tout le territoire, sous l’égide de leur ordre national. Il se trouvera ainsi toujours un commissaire de justice près de chez vous. Comme aujourd’hui les huissiers, le commissaire de justice sera également le seul professionnel du droit à se rendre chez le justiciable, à être en contact avec la population soit dans son office, soit au domicile des personnes. Comme les huissiers de justice et les commissaires-priseurs judiciaires, les commissaires de justice seront nommés par le garde des Sceaux et auront le statut d’officier public et ministériel. Celui-ci est un gage de confiance qui repose sur de solides garanties déontologiques régissant leurs actions auprès des justiciables, demandeurs, défendeurs, créanciers ou débiteurs, et des pouvoirs publics. Le commissaire de justice sera enfin le seul professionnel du droit à pouvoir agir dans l’urgence s’il est appelé pour un constat immédiat ou une conservation de preuves. Comme l’huissier actuel, il pourra être amené à faire des constats dans tous les domaines : dégât des eaux, fonctionnement industriel, problème environnemental tel que la pollution d’un cours d’eau. Il arrive que les preuves disparaissent avant qu’un professionnel spécialiste se soit déplacé. L’agilité et la rapidité d’intervention du commissaire de justice peuvent être fondamentales dans un certain nombre de cas.

AJ : En quoi la profession de commissaire de justice sera-t-elle moderne ?

Pascal Thuet : Nos professions sont déjà très tournées vers le numérique et continueront de l’être. Nous sommes tous passés à la signature électronique, ce qui nous permet de dégager du temps improductif afin de le consacrer davantage au justiciable. La généralisation de la saisie-attribution par voie dématérialisée depuis le 1er avril 2021 est une réussite avec près d’1,9 millions d’actes dématérialisés qui seront signifiés cette année ! La pratique des constats a également changé du fait du développement de nouvelles technologies. Certains confrères et consœurs ont ainsi appris à piloter des drones pour faire des constats sur la toiture d’un immeuble ou le bornage d’un terrain agricole. Cela permet d’être très précis, et pour un coût moindre que si l’on devait déployer un échafaudage ou une nacelle pour accéder au toit d’un immeuble, ou survoler un champ en hélicoptère. Toutes ces évolutions sont le fruit d’un gros travail d’innovation mené par l’Ordre national ainsi que d’un gros travail technico-juridique pour faire coïncider procédure et technologie numérique.

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