Philippe Jombart : « Continuons à faire progresser la pratique de l’amiable dans les TC ! »

Publié le 17/12/2024
Philippe Jombart : « Continuons à faire progresser la pratique de l’amiable dans les TC ! »
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Depuis quelques années, le ministère de la Justice tente de promouvoir les procédures de modes amiables de règlement des conflits. Les tribunaux de commerce essaient de pousser les parties d’un litige à concilier. Pourtant, la conciliation ne décolle pas vraiment. Les explications de Philippe Jombart, président du tribunal de commerce de Créteil.

Actu-Juridique : La pratique de la conciliation se développe-t-elle au tribunal de commerce de Créteil ?

Philippe Jombart : Le système judiciaire favorise au civil comme au commerce les modes alternatifs de règlement des différends. Le Code de procédure civile prévoit explicitement que le juge peut à tout moment tenter une conciliation entre les parties tant que les débats ne sont pas clos. Les tribunaux judiciaires, et en particulier les tribunaux de proximité, ont régulièrement recours aux conciliateurs de justice dans le cas des « petits litiges ». De même, au tribunal de commerce, nous demandons aux entreprises de concilier entre elles dès que les conditions semblent réunies pour qu’une solution amiable puisse être trouvée. Le règlement amiable d’un litige présente au moins deux grands avantages. Le premier est d’éviter qu’il y ait un « gagnant » et un « perdant » puisque les deux parties sont parvenues à un accord qu’elles ont accepté. Le second est un gain de temps souvent significatif puisque non seulement la procédure amiable peut être plus rapide que la procédure judiciaire, mais en outre elle évite la procédure d’appel et conduit donc en général à une exécution plus diligente de la décision arrêtée. Dans ce contexte, notre juridiction incite naturellement les entreprises à concilier mais force est de constater que c’est assez difficile. Le taux d’entrée est faible. Selon notre analyse, moins du tiers des affaires « conciliables » entrent effectivement en conciliation. Ce n’est pas satisfaisant, mais on ne peut pas obliger les parties à rentrer en conciliation. En revanche, celles qui en acceptent le principe voient leur affaire se résoudre dans 60 % des cas. Quand les parties jouent le jeu, les résultats sont donc très bons.

AJ : Quelles sont ces affaires « conciliables » ?

Philippe Jombart : Pour commencer, il faut que les deux parties soient comparantes pour qu’elles puissent concilier : c’est une évidence. Cela dit, nombre de litiges et pas seulement les litiges aux enjeux financiers modérés, pourraient donner lieu à une conciliation, notamment lorsque l’enjeu est émotionnel ou dépasse le cadre juridique, ou encore que la procédure traîne, ou que l’aléa judiciaire est prégnant. Les conflits entre associés, s’ils n’ont pas dégénéré, peuvent par exemple faire l’objet d’une conciliation. S’ils dégénèrent et deviennent de nature à compromettre la vie ou même la survie de l’entreprise, cela doit passer par la nomination d’un mandataire ad hoc ou d’un administrateur provisoire. C’est fréquent malheureusement. Le ministère de la Justice pousse fortement à développer la conciliation. Mais les incitations législatives ne peuvent pas tout. Si les parties n’en ont pas envie même inconsciemment, ou si leur conseil ne les y incite pas, cela ne fonctionnera pas. C’est un état d’esprit et il faudra du temps pour le changer. Bien souvent, les parties qui saisissent les tribunaux de commerce veulent savoir qui a raison et qui a tort.

AJ : Quelles sont les spécificités de chacun des modes alternatifs de règlement des différends ?

Philippe Jombart : Les principaux MARD sont la conciliation, la médiation, la procédure participative. On peut également mentionner l’arbitrage bien qu’il s’agisse d’une procédure assez particulière. La conciliation est gratuite, c’est la plus pratiquée dans les tribunaux de commerce. Elle peut être menée soit par un magistrat en exercice au tribunal, soit par un conciliateur de justice. Elle est souvent bien adaptée à des litiges plus petits, avec deux parties, dont le conflit est lié à une histoire affective davantage qu’à une situation juridique complexe. Le conciliateur s’emploie à rapprocher les parties sans leur proposer une solution. En général, dans les dossiers plus importants, et surtout avec plusieurs parties, les entreprises sont incitées à aller vers la médiation. Le médiateur va, lui, non seulement rapprocher les parties mais leur proposer des solutions. La médiation est payante. Elle est menée par un médiateur extérieur au tribunal. Le choix de l’un ou l’autre de ces MARD dépend beaucoup de la taille des entreprises.

Quand les contrats incluent des clauses précises de mise en œuvre de la conciliation ou de la médiation, la loi prévoit qu’elles sont obligatoirement préalables à la saisine du tribunal ; une telle clause est une obligation de faire. Dans une procédure participative, les parties, avec leur avocat, signent un contrat qui les engage à tenter de régler le litige à l’amiable, en principe avant de saisir le juge. Nous n’en entendons pas souvent parler au tribunal de commerce de Créteil, mais sans doute cela est-il normal, car, tout se passe en général en amont. L’arbitrage, quant à lui, est une justice privée choisie conventionnellement par les parties et qui tranche les litiges. Le litige étant tranché par l’arbitre, les parties ne viennent pas devant le tribunal.

AJ : Quels sont les freins à la conciliation ?

Philippe Jombart : Les freins sont multiples. Comme vu précédemment, il est naturel que le demandeur qui, de bonne foi s’adresse au tribunal, attende que celui-ci lui donne raison et ne voie pas l’intérêt de concilier. En matière de contentieux, au tribunal de commerce de Créteil, les parties sont généralement représentées par des avocats qui sont des avocats mandataires, postulants de l’avocat plaidant qui est le « maître de l’affaire. » Lorsque le tribunal invite à la conciliation pendant la procédure de mise en état, il appartient aux avocats représentant les parties de transmettre cette demande à la fois aux avocats plaidants et aux parties elles-mêmes, et de les convaincre de son bien-fondé ; ce qui n’est pas toujours simple. Cependant, les avocats ne sont pas les principaux freins. C’est un problème d’état d’esprit et non d’argent. In fine, les avocats savent qu’une conciliation bien menée serait aussi rémunératrice qu’un petit litige débouchant sur une victoire de l’un ou l’autre. Il faut préciser cependant que les avocats nous disent que l’essentiel de leur travail est de pousser leurs clients à s’entendre et que nous ne les voyons donc pas au tribunal ; il est vrai que le nombre de désistements d’instance tend à augmenter, ce qui montre qu’au cours de la mise en état, les avocats incitent les parties à trouver un accord. Nous n’avons aucune raison de ne pas les croire, leur intérêt est d’éviter les procédures qui traînent en longueur, ou qui aboutissent avec un aléa judiciaire important. On constate d’ailleurs que le nombre d’instances en matière de contentieux n’augmente pas, alors que les injonctions de payer et les référés augmentent. Si nous ne voyons arriver que des parties à qui la conciliation a déjà été suggérée mais qui n’ont pas donné suite, cela explique qu’il est plus difficile de les convaincre ! De ce point de vue l’ARA, nouvellement étendue aux tribunaux de commerce peut s’avérer un nouveau levier de persuasion.

AJ : En quoi consiste la nouvelle procédure dite de l’ARA et que peut-elle apporter ?

Philippe Jombart : L’ARA, ou « audience de règlement amiable, existe au tribunal judiciaire depuis 2023 et a été étendue aux tribunaux de commerce en septembre 2024. Le juge saisi d’un litige peut, sous certaines conditions et même d’office après avoir demandé l’avis des parties, les convoquer à une audience de règlement amiable tenue par un juge qui ne siège pas dans la formation de jugement. L’audience de règlement amiable a pour finalité la résolution amiable du différend entre les parties, celles-ci devant comparaître en personne, assistées par leur avocat dans les conditions prévues par les textes. L’audience se tient hors présence du greffe, en « chambre du conseil », c’est-à-dire à huis clos : tous les débats et documents échangés sont confidentiels et les parties peuvent demander que l’accord soit constaté. Nous y sommes tout à fait favorables mais la procédure n’a pas encore été parfaitement explicitée pour les tribunaux de commerce. En outre, il nous semble nécessaire qu’une formation spécifique soit mise en place par l’ENM sur l’ARA pour en assurer un développement correctement encadré.

AJ : Comment le tribunal de commerce de Créteil promeut-il la conciliation ?

Philippe Jombart : Nous nous efforçons d’envoyer systématiquement en conciliation préalable les affaires simples ou d’enjeu financier modéré, et avons établi des règles de fonctionnement, en lien avec les représentants du barreau du Val-de-Marne pour que ces derniers coopèrent à convaincre leurs clients puisqu’une tentative de conciliation ne peut prospérer que si les deux parties y adhérent. Cette démarche est maintenant bien « rodée » et plusieurs dizaines d’affaires suivent cette voie chaque année, dont une bonne moitié avec succès. Par ailleurs, au visa de l’article 127-1 du CPC, le juge peut enjoindre aux parties de rencontrer un médiateur chargé de les informer de l’objet et du déroulement et de l’intérêt d’une médiation., sans que cette information soit engageante. Depuis quelques mois, nous avons initié à Créteil, pour la conciliation, une tentative analogue à la procédure de médiation. Cela consiste à envoyer les parties, accompagnées de leur conseil, à la rencontre d’un juge désigné par le tribunal pour leur présenter l’intérêt de la conciliation.

AJ : N’y a-t-il pas aussi des résistances du côté des juges ?

Philippe Jombart : La formation des magistrats des tribunaux de commerce qui est dispensée par l’ENM pendant une année avant leur prise de fonction est construite sur leur responsabilité de « dire le droit » et le souci de leur en donner les moyens techniques et juridiques. Le recours aux modes alternatifs de règlement des différends est évoqué comme une possibilité, pas comme une nécessité. Ils n’ont donc pas tous, tout au moins au début de leur carrière de magistrat, le réflexe de la conciliation. Tout cela fait que les juges ont naturellement tendance à voir les choses de manière très normée. Le processus de traitement des affaires est très encadré par les codes : Code de procédure civile, Code civil, Code de commerce. Il y a une mise en état, une instruction, une délibération, un jugement. La conciliation relève d’une approche et d’une analyse différente, et les juges consulaires ne sont pas forcément « câblés » pour cela. Il faut avoir le sens du commerce et de la négociation. Mener une conciliation, c’est sortir de la procédure pendant plusieurs mois jusqu’à la réussite ou l’échec de la conciliation. Cela rompt avec la manière avec laquelle les juges sont habitués à travailler. C’est plus difficile à contrôler. Mais sortir d’un cadre de procédure strict permet à des gens de se révéler. Si vous avez pris ces habitudes pendant votre carrière, vous serez plus à même d’inciter les parties à concilier en leur expliquant qu’elles doivent rester des partenaires. Les possibilités offertes par les textes, comme nous l’avons vu sont multiples et le potentiel est important. Avec le barreau du Val-de-Marne, avec lequel nous échangeons régulièrement sur ces sujets, nous entendons bien progresser significativement dans les prochains mois, en affinant une stratégie concertée notamment grâce aux nouvelles dispositions et outils que le loi met à notre disposition, même si le chemin est long.

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