Les célébrations de la Sainte-Geneviève, patronne de la gendarmerie, contraires à la laïcité ?

Publié le 27/03/2025 à 9h00

À la demande de la Fédération ardéchoise et drômoise de Libre Pensée, le 19 mars 2025, le Tribunal Administratif de Lyon a jugé que « la décision du colonel commandant le groupement départemental de gendarmerie de l’Ardèche d’organiser une célébration de la Sainte-Geneviève le 30 novembre 2022 est annulée en tant que cette célébration comporte un office religieux au sein d’une église ». Le tribunal a, en effet, estimé que la tenue de cette messe ne respectait pas l’article 1er de la Constitution, prévoyant que « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ». 

Les célébrations de la Sainte-Geneviève, patronne de la gendarmerie, contraires à la laïcité ?
Statue de Sainte-Geneviève, patronne de Paris et de la Gendarmerie (Photo : ©AdobeStock/Moyseeva Irina)

Pandores versus Libre Pensée

Par ce jugement du 19 mars 2024, le Tribunal Administratif de Lyon a donc sanctionné, rétrospectivement, au nom des principes de la laïcité, certaines modalités de l’organisation des commémorations de la Sainte-Geneviève par le groupement de gendarmerie de l’Ardèche, qui s’étaient tenues le 30 novembre 2022 dans l’église Saint-Thomas de Privas. Rappelons que sainte Geneviève est officiellement reconnue comme étant la patronne et la protectrice de la gendarmerie française depuis un bref du pape Jean XXIII du 18 mai 1962. Précisons que les policiers disposent aussi d’un patron, Saint-Martin, mais le souvenir de l’antique légionnaire demeure très discret, voire confidentiel, alors que la fête de la Sainte-Geneviève représente traditionnellement, pour les gendarmes, un moment important de cohésion, de repère identitaire et de sociabilité, au même titre que la Sainte-Barbe pour les sapeurs-pompiers. Commentaire (très mesuré) du jugement par le magazine La Voix du Gendarme du 22 mars 2025 : « Voilà une décision qui fait beaucoup réagir sur les réseaux sociaux et les groupes de gendarmes. Et qui scandalise une grande majorité de gendarmes, de militaires et de sapeurs-pompiers, mais aussi de policiers ».

L’autre protagoniste de cette affaire, c’est la Libre Pensée, une association loi 1901 dont les origines remontent à 1847. Parmi ses combats, la défense de la laïcité et, plus particulièrement, l’anticléricalisme, figurent au premier plan, ses 4000 militants ne dédaignant pas de se réclamer encore et toujours de l’ancien slogan « ni dieu [en minuscule] ni maître, à bas la calotte et vive la Sociale » [en majuscule]. Combat désuet dans une France désormais apaisée ? On aurait pu le penser il y a quelques années, mais de nos jours, il semble bien que La Libre Pensée soit particulièrement sensible à une certaine doctrine considérant la religion catholique comme l’incarnation de l’arriération, tandis que les musulmans sont perçus comme des personnes injustement opprimées par « le système », autrement dit « le sabre et le goupillon ». Commentaire (très triomphaliste) du jugement par le magazine en ligne Le Grand Soir du 22 mars 2025 : « Dans la série faites ce que je dis, mais ne faites pas ce que je fais, les forces de répression de l’État [les gendarmes apprécieront…] viennent de se faire rappeler à l’ordre par la Justice administrative. La laïcité, ce sont des lois de la République et la Gendarmerie doit respecter la loi, même si certains galonnés sont pour l’Alliance du Sabre et du Goupillon, cela s’appelle la neutralité de l’État en matière religieuse et philosophique. Dura lex, sed lex ! Victoire : la gendarmerie interdite de messe ».

Un évènement culturel ou cultuel ?

Dorénavant la gendarmerie va-t-elle, vraiment, être « interdite de messe », comme s’en réjouissent déjà certains… ? Rien n’est moins certain si on prend le temps de lire attentivement les délibérations du tribunal administratif de Lyon. Reprenons ses arguments : par sa requête, la Libre Pensée demandait au tribunal « d’annuler la décision par laquelle le colonel commandant le groupement de gendarmerie de l’Ardèche a organisé, le 30 novembre 2022, à Privas, une journée de célébration de la Sainte-Geneviève, comportant notamment un office religieux auquel ont assisté les militaires, en tenue et sur le temps de service ».  C’était la journée de célébration, tout entière, qui était donc mise en cause.

Or, le jugement du Tribunal Administratif a constaté que cette cérémonie, « en tant qu’elle comportait l’organisation d’un vin d’honneur et de discours des autorités, revêtait le caractère d’un évènement collectif, traditionnel et festif de type fête patronale annuelle », ne présentait aucun inconvénient. Puis, il poursuit en précisant que « la présence en tenue de cérémonie des personnels militaires du groupement de gendarmerie de l’Ardèche à cet événement visant à célébrer la Sainte-Geneviève en tant que symbole traditionnel présente un caractère de tradition participant à la cohésion de l’institution, sans lien avec l’expression d’un culte ou d’une préférence religieuse ».

En conséquence, le tribunal n’a pas donné suite à la requête de La Libre Pensée, et n’a pas annulé la « célébration de la Sainte-Geneviève », mais uniquement l’organisation de la messe, considérant qu’il s’agissait d’un évènement cultuel n’entrant pas dans la sphère de compétences du colonel, mais dans celle du curé de l’église. Plus particulièrement, le jugement a visé la tenue d’« une haie d’honneur composée de plusieurs militaires (…) organisée sur le parvis de l’église », et le fait que « les autorités ont été accueillies et placées dans l’église par les représentants du commandement de la gendarmerie ».

« Donnez à Dieu ce qui est à Dieu, et à César ce qui est à César »

Ce jugement ne fait que confirmer une jurisprudence déjà bien ancrée. En effet, le 19 février 2021, le Tribunal Administratif de Nîmes avait déjà admis que le fait, pour des militaires, d’assister à un office religieux organisé par la compagnie de gendarmerie en uniforme et pendant leur service, ne constituait pas une atteinte au principe de laïcité.

Il ne me semble pas indispensable, pour que les prochaines fêtes de la Sainte-Geneviève connaissent le même succès que par le passé, que les détails relatifs à la haie d’honneur et au placement des autorités à l’intérieur de l’église par les gendarmes soient conservés. Ça serait même, à mon sens, un moyen, très symbolique, de rendre honneur au véritable maître des lieux : le curé (et ses assistants).

Alors, qui est sorti véritable vainqueur de ce combat judiciaire ?

À mon sens, il parait évident que les perdants ont été les militants de La Libre Pensée. Il faudrait que quelqu’un les en informe… Mais il est peut-être trop tard pour faire appel !

 

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