« Que fait-on de la peine ? »

Publié le 16/06/2017

Juge de l’application des peines depuis 5 ans, Mélanie Leduc est aujourd’hui chargée de coordonner ce service de l’application des peines au tribunal de grande instance de Bobigny. Cette magistrate, qui a en début de carrière expérimenté un grand nombre de fonctions en tant que juge placé, est passionnée par son domaine d’exercice. « Nous avons une grande marge de manœuvre, un ancrage territorial fort. Nous travaillons en cheville avec l’administration pénitentiaire, la PJJ, et les associations du département », explique-t-elle. Le département de la Seine-Saint-Denis expérimente des aménagements de peine novateurs. Pour les Petites Affiches, Mélanie Leduc a accepté d’expliquer et de questionner son métier. Rencontre.

Les Petites affiches – Quelle est la mission du juge de l’application des peines ?

Mélanie Leduc – Notre mission est d’assurer les modalités et le suivi de l’exécution de la peine. Nous travaillons pour cela en partenariat avec le parquet chargé de faire exécuter les peines et le service pénitentiaire d’insertion et de probation (Spip). Soit la personne est détenue, soit elle est libre, avec différents degrés de liberté. Dans les deux cas, un suivi se met en place et tout au long de ce suivi la mission du juge de l’application des peines compte trois volets : protéger la victime – qui est prise en compte lorsque l’on prévoit des obligations liées à l’aménagement de peine, telle qu’une interdiction d’entrée en contact –, mais surtout permettre la réinsertion de la personne condamnée et prévenir la récidive.

LPA – La prison est-elle la principale solution pour un juge de l’application des peines ?

M. L. – La prison fait partie des réponses pénales qui doivent exister, et je ne remets pas en cause son fondement. C’est généralement la seule réponse pour les longues peines, au-delà de cinq ans. Le choc carcéral peut créer un déclic chez certains condamnés. Mais pour d’autres, et notamment pour les personnes condamnées à de courtes peines, l’emprisonnement peut être contre-productif. Assimiler automatiquement l’application des peines à la prison est fallacieux. Sur les 5 000 personnes que nous suivons en Seine-Saint-Denis, à peine cinq cents sont concernées par la détention. En réalité, le juge de l’application des peines en région parisienne s’occupe majoritairement de personnes libres ou en semi-liberté.

LPA – Comment se passe un aménagement de peine ?

M. L. – Une personne condamnée à une peine de moins de deux ans, si elle n’est pas en récidive, sera automatiquement convoquée devant le juge de l’application des peines. L’aménagement de peine est prononcé dans 90 % des cas. La prison est le dernier recours. Pour les personnes libres, le juge de l’application des peines pourra prononcer des mesures de placement sous surveillance électronique ou de semi-liberté par exemple. Lorsque la personne libre est condamnée à une peine de moins de six mois, le juge de l’application des peines pourra également convertir cette peine en jour amende ou en sursis avec obligation d’accomplir un travail d’intérêt général. Pour les personnes détenues, une audience se tient en prison, avec le détenu, son avocat, le représentant du parquet et le représentant du personnel pénitentiaire. À l’aide d’analyses fournies par le Spip, on va évaluer le comportement du détenu, son projet de sortie. Il peut faire valoir son intention de faire une formation, de trouver un emploi… Pour mettre à bien ce projet, il peut par exemple demander de pouvoir habiter chez sa mère en portant un bracelet électronique. Il n’y a pas de réponse automatique. L’exécution de la peine doit être pensée en prenant en compte les faits, la personnalité et le moment où l’on statue.

LPA – En quoi le moment est si important ?

M. L. – Il se passe des choses dans la vie des gens, et cela influe sur leur comportement. Si l’on observe les parcours des délinquants, on s’aperçoit que dans la majorité des cas, la délinquance s’éteint avec l’âge. Il existe peu de délinquants de quarante ou cinquante ans, car la vie fait son œuvre. Le fait de devenir parent, par exemple, est souvent un moteur de changement important. Notre rôle est de faire en sorte que le parcours de délinquance dure le moins longtemps possible. Ce n’est pas parce qu’un travail d’intérêt général a échoué une fois qu’il échouera de nouveau cinq ans après. L’institution ne peut pas changer les gens mais elle peut créer les conditions du changement. Si on n’est pas profondément convaincu que les gens peuvent changer, on ne fait pas ce métier !

LPA – Quel est l’intérêt des alternatives à la prison ?

M. L. – Le suivi en milieu ouvert prend son sens lorsqu’on peut agir sur les causes du délit. Lorsqu’une personne commet des délits liés à une addiction, par exemple, il faut d’abord régler le problème de l’addiction pour que le délit cesse. Lorsqu’une personne vit dans sa voiture, et commet des infractions, on peut considérer qu’il faut chercher à résoudre le problème de logement car cette précarité est un terreau pour la délinquance. Dans des cas comme ceux-ci, un suivi en semi-liberté, avec une prise en charge individuelle et collective par le biais d’associations, a plus de chances d’être efficace qu’un suivi en prison… Notre but est de prévenir la récidive. Pour cela, il faut œuvrer pour la réinsertion. Une personne en semi-liberté, qui va avoir pendant plusieurs mois la possibilité de sortir le matin, de faire ses démarches, tout en étant encadrée et en rentrant dormir en prison, a plus de chances de reconstruire un projet de vie.

LPA – Comment s’exerce la fonction de juge de l’application des peines en Seine-Saint-Denis ?

M. L. – En Seine-Saint-Denis, nous avons la chance de pouvoir nous appuyer, juges et service pénitentiaire d’insertion et de probation du 93, sur un réseau associatif dense. Nous sommes par exemple actuellement en train de monter un projet de stage citoyenneté ou des groupes de paroles sur les violences conjugales pour les détenus condamnés pour cette raison. La prison de Villepinte est également un lieu d’expérimentation. Un « module de respect » y a été créé l’été dernier à l’initiative de la direction de l’établissement et à la suite d’un travail très important du service pénitentiaire d’insertion et de probation du 93 pour penser de nouvelles activités et chercher des partenaires associatifs. Concrètement, cela veut dire qu’une aile de la prison fonctionne avec plus d’activités, des règles de vie plus souples. Des personnes extérieures font des interventions sur l’image de soi, mettent les détenus en condition d’entretien d’embauche… En revanche, les contrôles sur le règlement intérieur sont renforcés. Ce dynamisme est propre à la Seine-Saint-Denis. Dans d’autres départements, le juge de l’application des peines est beaucoup plus seul.

LPA – Pouvez-vous nous parler des tribunaux de traitement de la toxicomanie, expérimentés à Bobigny depuis 2014 ?

M. L. – Nous participons en effet à ce projet expérimental sur la récidive et les addictions lancé en 2014, et financé par la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca). Ce programme concerne des gens qui ont des profils pénaux lourds, qui auraient pu être incarcérés mais pour lesquels on a estimé que ce n’était pas la bonne solution. Une évaluation est faite, pour estimer le poids du facteur toxicomanie dans le parcours de la personne. Lors de la première audience, la peine est ajournée d’un an. Pendant cette année, les personnes du programme sont prises en charge par une personne du service pénitentiaire d’insertion et de probation (Spip) et par une personne de l’association Aurore, spécialisée dans l’accueil du public poly-consommateur de produits stupéfiants, qui sont présentes auprès d’eux cinq heures par jour, cinq jours par semaine. Ils se voient proposer des activités sur les addictions, des travaux culturels, du sport… Autre nouveauté, le juge de l’application des peines rencontre la personne tous les mois et non plus uniquement en cas de difficulté dans le suivi. Pendant les six premiers mois, les personnes ont parfois du mal à accrocher, mais passé ce cap, ils ne lâchent plus. Les études scientifiques montrent que ce type de suivi intensif ne doit pas dépasser une durée d’un an à 18 mois, au risque d’être contre-productif. À l’issue de cette année, les condamnés sont convoqués à une audience qui peut aboutir à une dispense de peine, ou à un suivi plus classique en milieu ouvert. Trente-deux personnes ont été accompagnées de cette manière à ce jour. C’est cela aussi, l’aménagement de peines. J’interviens à l’École de la magistrature pour faire connaître aux étudiants et aux magistrats en formation continue ces traitements judiciaires innovants.

LPA – Si les alternatives à la pression se développent, comment expliquer la surpopulation carcérale ?

M. L. – On atteint en effet des taux d’incarcération importants. Une des explications est que la prison n’accueille pas uniquement des condamnés, mais aussi beaucoup de personnes en attente d’appel ou en détention provisoire… Malgré cela, il est difficile de comprendre que la population carcérale continue d’augmenter de manière aussi considérable. Les aménagements de peine quasiment automatiques pour les condamnations de moins de deux ans devraient désengorger les prisons. Pourquoi demeurent-elles aussi peuplées ? Une partie de l’explication peut résider dans le fait que l’on poursuit plus. Les violences sexuelles, par exemple, sont de plus en plus poursuivies, l’avènement de la science dans les techniques de la police criminelle a permis d’élucider plus d’affaires, les changements dans la prise en compte et le recueil de la parole des enfants… Mathématiquement, plus de personnes sont condamnées, et plus de personnes sont incarcérées.

LPA – Comment réduire cette surpopulation ?

M. L. – La vraie question, c’est l’incarcération pour les courtes peines. Quand quelqu’un commet des infractions peu graves mais présente un casier judiciaire chargé, il y a des difficultés à penser la peine. La réaction est souvent de se dire qu’il faut mettre à l’écart cette personne pour préserver la société. Il serait intéressant de développer l’aménagement de peine directement à l’audience, que les juges de correctionnelle pensent à condamner un prévenu au port du bracelet électronique ou à une peine de semi-liberté, par exemple. Il faudrait mieux les informer sur ce qui se fait en milieu ouvert.

LPA – Emmanuel Macron propose de construire 15 000 places de prison durant son quinquennat. Que vous inspire cette proposition ?

M. L. – Je suis partagée. Nous avons besoin de places de détention pour les longues peines. En revanche, encore une fois, pour les courtes peines, particulièrement celles inférieures à douze mois de réclusion, la prison n’est pas la solution. Il faudrait au contraire développer la protection, les moyens en milieu ouvert… On est face à un parc vieillissant, et qui vieillit d’autant plus vite qu’il est surpeuplé. Si on construit pour remplacer ce parc et pour que nos conditions de détention soient à la hauteur des exigences européennes, alors j’y suis favorable. En revanche, si on construit uniquement pour augmenter le nombre de places, je suis très réservée. Il me semblerait plus important de développer les moyens nécessaires à l’exécution des peines en milieu ouvert.

LPA – Ces moyens manquent-ils ?

M. L. – Oui, on manque cruellement de centres de semi-liberté en Île-de-France, alors que c’est une mesure très intéressante. On est obligés de différer les sorties de prison de plusieurs mois parce que l’on manque de place d’accueil en semi-liberté. Nous n’avons en Seine-Saint-Denis, qu’un seul centre de semi-liberté, situé à Gagny. Pour pallier ce manque, nous essayons de trouver des places là où il y en a. Nous mutualisons donc les moyens sur la région, nous essayons d’envoyer les condamnés dans les quartiers de semi-liberté de Paris ou de Villejuif. Seulement, ce n’est pas forcément compatible pour les personnes qui ont un emploi en Seine-Saint-Denis. La semi-liberté doit permettre la réinsertion, si le centre est trop loin des attaches du condamné, cela est moins efficace. Les hommes politiques parlent toujours de construire des prisons. J’aimerais les entendre dire qu’il faut construire des centres de semi-liberté.

LPA – Sans doute que les hommes politiques n’en parlent pas car l’opinion publique n’y est pas favorable…

M. L. – Je ne crois pas que l’opinion publique soit hostile par principe à l’aménagement des peines. Encore faudrait-il qu’on lui explique en quoi cela consiste. Le fantasme selon lequel les peines sont prononcées mais pas exécutées est faux. Elles sont exécutées, mais pas nécessairement en détention. Il faut expliquer cela. La Seine-Saint-Denis est le département où il y a le plus de bracelets électroniques. On s’est emparé de cette mesure car on estime que l’on peut en faire quelque chose d’intéressant. Ce n’est pas une mesure laxiste, contrairement à ce que l’on entend encore trop souvent. Une personne condamnée au port du bracelet électronique doit respecter des horaires, est suivie par le service pénitentiaire d’insertion et de probation et doit respecter des obligations de fond telles que l’obligation de soins, l’indemnisation de la victime… La méconnaissance fait que l’opinion ne peut pas se positionner. Beaucoup d’études scientifiques sont désormais menées, notamment au Québec, pour analyser l’impact de la peine en suivant les personnes après la sortie. L’effet nocif des courtes peines d’emprisonnement est démontré. Le suivi en milieu ouvert s’avère, études à l’appui, bien plus efficace.

LPA – Que pensez-vous des propositions qui ont été faites par les candidats à l’élection présidentielle pendant la campagne ?

M. L. – Il n’y a eu à peu près aucune proposition, ou alors elles n’étaient pas abouties. Les audiences d’aménagement de peine ne sont pas publiques, la société n’y a pas accès. Il faudrait sans doute davantage communiquer pour mieux faire connaître notre travail, mais nous n’avons pas de temps pour cela. Les hommes politiques ne se rendent manifestement pas compte du travail de l’application des peines. La réponse pénale démarre à mon sens une fois la peine prononcée. « Que fait-on de cette peine ? » – Tout l’enjeu est de répondre à cette question. Bien trop souvent, la peine est vue comme un aboutissement et non un commencement.

LPA 16 Juin. 2017, n° 127b8, p.4

Référence : LPA 16 Juin. 2017, n° 127b8, p.4

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