Robe d’avocat et voile islamique : la profession doit s’emparer courageusement de la question

Publié le 11/01/2022

Lors de la rentrée de l’Ecole de formation du Barreau de Paris le 6 janvier dernier, une élève-avocate voilée aurait été invitée à retirer son voile ou à se déplacer au dernier rang pour ne pas être vue. L’incident, dont le déroulement fait l’objet de descriptions incertaines, a déclenché l’émotion sur les réseaux sociaux. L’EFB a répondu qu’il est de règle de ne pas porter de signe distinctif devant une juridiction, en revanche, le port du voile est libre dans l’école. Emmanuel Le Mière, ancien bâtonnier de Coutances, a rédigé un rapport sur cette question en 2016, à la demande de la Conférence des Bâtonniers. Il estime que la profession doit réfléchir à une règle générale valable pour tous les barreaux. 

Robe d'avocat et voile islamique : la profession doit s'emparer courageusement de la question
Photo : ©AdobeStock/Gorodenkoff

L’empoisonnante question du port du voile islamique par les avocates vient à nouveau de s’inviter dans les médias à l’occasion du petit serment des élève-avocats de la promotion nouvelle de l’Ecole de Formation du Barreau de Paris. Selon les témoignages publiés sur les réseaux sociaux, une élève-avocate se serait présentée voilée dans l’amphithéâtre de l’école où la cour d’appel s’était transportée pour recevoir le « petit serment » des élèves et le personnel de l’école lui aurait demandé de se dissimuler à l’arrière du groupe.

En l’absence de règle générale, les barreaux se débrouillent seuls

Rappelons que le serment dont s’agit est celui prévu au troisième alinéa de l’article 12-2 de la loi du 31 décembre 1971 qui dispose que, dès son admission au centre de formation professionnel des avocats, l’élève-avocat prête serment en ces termes « Je jure de conserver le secret de tous les faits et actes dont j’aurai eu connaissance en cours de formation ou de stage ». Rappelons également qu’en sa qualité d’usager du service publique de l’enseignement supérieur, l’élève avocat n’est ni un agent public soumis à l’obligation de neutralité découlant de la loi de séparation de 1905, ni un élève de l’enseignement scolaire soumis à l’interdiction du port des signes ostensibles d’appartenance religieuse par la loi du 15 mars 2004. S’agissant des élèves-avocats, la question n’est pas nouvelle. Un incident avait opposé en 2015 un enseignant de l’EFB à une élève-avocate (rapporté par le Figaro-Etudiant ).

Mais le phénomène déborde le cadre des écoles pour s’inviter dans les barreaux. En 2016, la Conférence des Bâtonniers s’était saisie de la question à la demande du Bâtonnier de Bobigny lorsque la lauréate du concours d’éloquence du jeune barreau a prétendu prononcer son discours en portant le voile lors de la rentrée solennelle du barreau. L’auteur de ces lignes a rapporté sur ce sujet pour le bureau de la Conférence des Bâtonniers sous l’angle des possibilités de règlementation par le seul conseil de l’ordre.

En la matière, et faute de règles générales claires, la question est traitée localement par des dispositions ajoutées dans les règlements intérieurs des barreaux et des écoles. C’est ainsi qu’à la suite du barreau de Paris, d’autres ordres ont introduit dans leurs règlements intérieurs des interdictions du port des signes apparents d’appartenance religieuse ou même des décorations officielles, suscitant un contentieux aux solutions variées (Voir par exemple cette décision de la Cour de cassation du 8 avril 2021, l’arrêt de la Cour d’appel de Douai du 9 juillet 2020, ou encore cet autre arrêt de la Cour de cassation du 24 octobre 2018  ).

Une question non de costume d’audience mais de liberté d’expression

La récurrence de cette question dans les écoles d’avocats laisse présager qu’elle se présentera bientôt dans les ordres avec une acuité particulière. Dans ces conditions, il semble que la profession et les pouvoirs publics ne pourront pas faire l’économie de mettre en place une règlementation générale à cet égard. Comme nous l’avons exprimé en 2016, les solutions d’interdiction sont extrêmement étroites du fait du caractère très isolé de la laïcité à la française dans le concert européen et de l’incompréhension que ce débat suscite chez nos voisins. Le risque de sanction par la CEDH et la CJUE est avéré. Nonobstant, il n’est plus possible de laisser les ordres se débrouiller seuls, en rangs dispersés, avec cette épineuse question et le Conseil national des Barreaux (CNB) doit prendre ses responsabilités à cet égard.

A défaut pour la profession de s’emparer courageusement du sujet, les bâtonniers devront se débrouiller avec un droit prétorien incertain et dispersé, outre le risque de récupération politicienne dans un contexte médiatique d’hystérisation des questions d’identité culturelle et religieuse.

La profession doit débattre, par ses représentants, non de règlementer le port du costume d’audience, mais de la liberté d’expression de l’avocat. Car ne nous leurrons pas : réglementer le costume poursuivra la seule finalité d’interdire aux avocates musulmanes de respecter ce qu’à tort ou à raison, elles estiment constituer une obligation religieuse mais que la société française considère majoritairement comme une atteinte à la liberté et à la dignité de la femme. L’honnêteté intellectuelle commande de poser clairement la question de la possibilité pour les avocats d’exprimer publiquement leurs convictions personnelles, y compris dans leur activité professionnelle. Répondre par la négative reviendra inévitablement à devoir poser, tôt ou tard, la question de l’expression de toute forme de philosophie personnelle ou de militantisme dans la profession.

Si nous ne débattons pas nous-même, d’autres se chargerons de nous imposer des solutions dont nous ne voudrons pas.

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