Romain Dambre : « La vie est faite d’opportunités, HEC les crée » !

Publié le 06/02/2024

Avocat associé chez Allen & Overy (bientôt A &O Shearman) à New York, Romain Dambre est l’un des rares avocats français à s’être fait une place dans le monde des avocats d’affaires aux États-Unis. Avant d’entreprendre une carrière internationale, il a été diplômé de l’université de la Sorbonne, d’HEC Paris et de la Yale Law School. Un parcours sans faute mêlant recherche et pratique, récompensé en décembre dernier par le Prix du Juriste HEC. Rencontre.

Actu-Juridique : Que représente pour vous ce Prix du Juriste HEC ?

Romain Dambre : C’est une histoire qui remonte à plus d’une dizaine d’années. En 2009, alors que j’étais étudiant à HEC, j’ai créé avec des camarades de promotion le Bureau des juristes, association étudiante réunissant les étudiants d’HEC intéressés par le droit. J’en ai été le premier président. En 2012, Cédric Sinarinzi, ancien de HEC aujourd’hui chez Natixis, et moi-même, avions soumis l’idée aux Alumni d’HEC de créer ce prix en partenariat entre le Bureau des juristes et l’association des Alumni HEC. L’ambition était de faire un pont entre étudiants et professionnels et de mettre en valeur des parcours de jeunes professionnels du droit, passés par HEC, auxquels les étudiants pourraient s’identifier et qui pourraient les inspirer, leur donner envie de continuer dans la voie juridique tout en étant à HEC. Quand on est étudiant, on a des idées mais pas de vue d’ensemble sur les différents métiers du droit. Cela nous semblait intéressant de créer un moment de rencontre avec la communauté juridique d’HEC, qui a beaucoup grossi du fait des nouveaux parcours proposés par l’école et de l’attractivité des métiers juridiques. C’est assez touchant, de voir que cette association fonctionne encore aujourd’hui, et que ce prix continue à générer de l’intérêt. C’est évidemment une grande fierté de le recevoir. Au vu des lauréats précédents, c’est une belle marque de reconnaissance.

AJ : Qui vous a décerné ce prix ?

Romain Dambre : Le jury est composé de professeurs d’HEC, de professionnels membres de l’association des Alumni HEC, et d’étudiants du Bureau des juristes. Les candidats du prix sont choisis par cette communauté et doivent alors rédiger une profession de foi, pour détailler leur parcours en précisant en quoi ce dernier sort de l’ordinaire. Les finalistes du prix sont sélectionnés sur cette base et passent un oral devant un jury. Dans ma profession de foi, j’ai mis en avant le côté très international de mon profil. Je suis avocat au barreau de New York et je travaille aujourd’hui comme associé dans le cabinet Allen & Overy (qui est en train de fusionner avec le cabinet Shearman & Sterling). C’est rare pour un Français d’être avocat dans un gros cabinet d’affaires américain à New York…

AJ : Quelles études avez-vous faites ?

Romain Dambre : J’ai toujours été intéressé par l’histoire et la politique, et j’ai commencé mes études par une classe prépa littéraire. J’ai ensuite intégré HEC. Le droit me paraissait une manière intéressante d’explorer les mécanismes de la société tout en ayant la casquette HEC, qui offre une formation plus tournée vers les affaires. J’ai commencé à faire du droit à distance car il n’y avait à l’époque pas encore de double parcours organisé. Je me suis inscrit en licence à l’université Paris 1 Sorbonne, et j’ai suivi chaque année à distance, jusqu’au Master 2 Droit des affaires et fiscalité (en partenariat entre Paris 1 et HEC). C’était une aventure mais les cours à distance de la Sorbonne étaient bien faits. Par la suite, au cours de ma scolarité à HEC, j’ai effectué des stages dans des cabinets d’avocat d’affaires chez Skadden à Paris et chez Gide Loyette Nouel à Londres et à Paris. Ces premières expériences dans des cabinets à l’international m’ont beaucoup plu. En dernière année d’HEC, j’ai fait un stage chez Cleary Gottlieb, où j’ai rencontré en particulier Pierre-Yves Chabert et Anne-Sophie Coustel, deux anciens d’HEC, qui m’ont encouragé à poursuivre un parcours recherche tout en gardant un pied dans la pratique. Ce que j’ai fait : après avoir fait un premier mémoire de Master 2 qui a reçu le prix Allen & Overy et HEC Paris (mon premier contact avec A & O !), qui récompense les trois meilleurs mémoires de recherche des étudiants HEC de la majeure Stratégie fiscale et juridique internationale et du mastère spécialisé droit et management international, j’ai commencé en 2010 un doctorat en droit des sociétés à la Sorbonne sous la direction du professeur Alain Pietrancosta, tout en travaillant chez Cleary. J’ai par la suite soutenu mon doctorat en 2014, qui fut publié aux Éditions Larcier en 2016.

AJ : Quelle est votre expérience professionnelle ?

Romain Dambre : Au bout de 3 ans de recherche pour mon doctorat et de pratique chez Cleary à Paris, j’ai intégré un master de droit à l’université américaine de Yale. J’ai ensuite passé le barreau de New York et j’ai commencé à travailler chez Cleary à New York en 2014. Après avoir fait mes premières armes en fusions/acquisitions et marchés de capitaux chez Cleary, j’ai rejoint en 2016, l’équipe de M &A/private equity de Kirkland and Ellis à New York, dont je suis devenu associé en 2020. En 2023, j’ai rejoint Allen & Overy, où je m’occupe également de fusions/acquisitions et de private equity. Le cœur de mon activité est les fusions/acquisitions pour le compte de sociétés cotées, fonds de private equity et fonds souverains, avec souvent des aspects transfrontaliers : j’accompagne des clients étrangers qui veulent investir dans une entreprise américaine, ou l’inverse. Je travaille souvent main dans la main avec plusieurs juridictions pour faire le deal – mon parcours international s’avère utile pour mieux comprendre les aspects multiculturels de ces négociations et me permet souvent de faire le pont entre les parties. Ma pratique est assez intense en termes de volumes et de montants de deal. En une dizaine d’années, les opérations sur lesquelles j’ai travaillé approchent les 250 milliards de dollars… J’ai également, de manière annexe, des activités de conseil stratégique auprès de conseils d’administration de sociétés cotées, en particulier en matière de gouvernance et de défense contre l’activisme actionnarial.

AJ : Le jury a jugé votre parcours inspirant. Pourquoi, à votre avis ?

Romain Dambre : Il est rare, pour un avocat français, d’être associé dans un cabinet d’affaires à New York. Je l’ai fait, donc ça montre aux étudiants que c’est possible ! Beaucoup d’étudiants dans la vingtaine ont envie de s’expatrier pour quelques années, et le droit peut être perçu comme une voie qui s’exporte difficilement car le droit est national, par définition. Montrer aux étudiants qu’il est possible d’avoir un parcours qui amène à évoluer à l’étranger tout en étant dans le droit peut être un vecteur d’inspiration pour les étudiants intéressés par ce genre de parcours.

AJ : Pourquoi vous êtes-vous établi à New York ?

Romain Dambre : Au départ, pour avoir ce parcours académique américain et découvrir un autre type de pratique. Dans mon domaine, c’est un marché fascinant en termes de volume de deal. C’est la plus grosse place de fusions/acquisitions au monde. Et je pensais que s’il était possible d’y rester, cela serait porteur d’un point de vue de carrière. Cela s’est avéré juste. La France est l’une des premières places de fusions/acquisitions en Europe, mais les volumes ne sont pas comparables à ceux que l’on observe aux États-Unis, et à New York en particulier. Une autre raison, plus personnelle, pour laquelle j’ai voulu aller aux États-Unis : quand j’étais enfant, mon père enseignait à la Sorbonne et donnait des cours dans une université américaine l’été. Je voyais avec mes yeux de petit garçon ces campus américains magnifiques, où les étudiants font du sport, et toutes sortes d’activités, avec une liberté incroyable. C’était une sorte de rêve américain. Avec du travail, des opportunités et pas mal de chance, 10 ans plus tard, je vis ce rêve aux États-Unis, tout en ayant la chance de passer beaucoup de temps en France, où sont mes racines familiales et celles de mon épouse.

AJ : A-t-il été difficile d’y faire votre place ?

Romain Dambre : Le milieu des cabinets d’affaires new-yorkais est assez dur. Ce sont des cabinets d’élite qui recrutent des professionnels diplômés des meilleures universités américaines. La concurrence est rude. Chaque année, un écrémage naturel se fait. C’est une carrière qui demande beaucoup d’investissement personnel. À cela s’ajoute la difficulté d’exercer dans une langue qui n’est pas sa langue natale. Et dans un droit différent. La France pratique un droit continental, issu du Code Napoléon. Le monde anglo-saxon est régi par la common law. Il s’agit de systèmes juridiques et de pratiques différentes. Néanmoins, dans mon domaine, ces différences n’ont pas un très grand impact. Un deal est un deal ! Le droit joue un rôle moindre que les qualités de faiseur d’affaires. À un certain niveau de deal making, ce sont les qualités humaines et relationnelles qui priment. Une entreprise qui en rachète une autre pense aux mêmes choses quel que soit le pays où elle se trouve, même si les pratiques sont différentes.

AJ : Et vous, qui sont les personnes qui vous ont inspirées ?

Romain Dambre : Quand j’étais étudiant, j’ai eu la chance de rencontrer Robert Badinter. Ce fut une rencontre importante avec un personnage inspirant et impressionnant du monde juridique. Ensuite, Pierre-Yves Chabert, mon mentor pendant mes années chez Cleary, m’a inspiré et m’a permis de construire un parcours de recherche tout en gardant un pied dans la pratique. C’était remarquable de m’offrir cette possibilité. À New York, mes maîtres chez Kirkland & Ellis m’ont formé à l’art subtil du deal making. De manière anecdotique, il y a aussi un livre, Barbarians at the Gate, qui a compté pour moi. C’est le récit d’une opération de LBO à plus de 30 milliards de dollars, qui fut en 1989 l’un des premiers de cette ampleur. C’est une histoire vraie, écrite de manière très vive par deux journalistes d’investigation et ça m’a fasciné. On y trouve des personnages de banquiers et d’avocats, des négociations dans une salle de conférences avec vue sur Central Park : on se croit un peu dans un film ; en le lisant alors que je faisais mon premier stage en cabinet d’affaires, je me suis dit que ce serait sympa de jouer à ça ! Cela peut sembler un peu naïf raconté ainsi, mais un parcours est fait de toutes sortes de références.

AJ : Qu’a représenté HEC dans votre vie ?

Romain Dambre : C’est une partie très importante de ma vie, au-delà du fait que j’y ai rencontré ma femme… Déjà, parce que cette école m’a permis de suivre un double parcours. Ensuite, elle permet d’avoir très jeune de nombreuses expériences. J’y ai créé le Bureau des juristes, j’étais capitaine de l’équipe de natation, sport que je pratiquais à l’époque en compétition, je m’occupais d’un festival de théâtre sur le campus. C’est une école qui offre la possibilité de faire beaucoup de choses qui n’ont rien à voir avec de l’académisme pur et qui en fait sont essentielles dans la formation. Cela donne le goût de la liberté entrepreneuriale et l’habitude de développer des projets. La vie est faite d’opportunité, une école comme HEC les crée – encore faut-il savoir tirer les fils pour qu’elles arrivent. Dans le monde des Business Schools, HEC a réussi à percer dans le top 10 mondial des MBA, ce qui témoigne de la qualité de l’enseignement supérieur français. C’est une carte de visite qui parle dans le monde des affaires, même à l’étranger.

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