Serge Preville : « Le mandat ad hoc et la conciliation restent encore insuffisamment utilisés »
Avec 57 729 procédures en 2023, le nombre des défaillances d’entreprises est revenu à des niveaux similaires à l’avant crise sanitaire de 2020. Un rattrapage qui s’est effectué en 2022 et qui s’est amplifié durant l’année 2023 en plus de la conjoncture économique fragilisée par l’inflation, la hausse des taux d’intérêt et les tensions géopolitiques. Ces deux dernières années ont aussi marqué la fin des mesures économiques exceptionnelles pour soutenir les entreprises et un retour à la normale dans les procédures d’accompagnement des entreprises en difficulté. Un constat partagé par le nouveau président de l’Institut français des praticiens des procédures collectives (IFPPC), Serge Preville, qui a été élu en mars 2024 à la tête de l’association qui représente les professionnels du droit des entreprises en difficulté. Pendant deux ans, cet administrateur judiciaire briguera son mandat aux côtés de la vice-présidente Nathalie Leboucher, du vice-président Thibaud Poinsard et de chacun des membres du bureau.
Actu-Juridique : Vous avez été élu président de l’Institut français des praticiens des procédures collectives (IFPPC) en mars 2024 succédant ainsi à Cécile Jouin. Quels sens souhaitez-vous donner à ce mandat ?
Serge Preville : Nous sommes un collectif de trois professionnels à la tête de l’IFPPC. J’ai été élu président avec deux vice-présidents. Nous allons nous inscrire dans la continuité de ma prédécesseure Cécile Jouin à qui je souhaite en notre nom à tous rendre hommage pour son travail. Nous articulerons ce mandat autour de deux vocables. La continuité d’abord, le progrès par ailleurs. Il y a en effet à poursuivre les travaux permanents de l’Institut autour de la formation, du renforcement des liens partout en France avec nos partenaires et interlocuteurs. Puis, il y a le progrès parce que nous devons nous réinventer et être force de proposition à tous les niveaux. Sur le plan légal, nous avons les dispositifs du livre VI du Code de commerce avec des renouvellements permanents. Nous devons veiller et suivre ces évolutions. Dans notre quotidien, nous devons aussi être le plus utile possible dans les dossiers, efficaces dans les relations entre consœurs et confrères et plus largement disponibles et pleinement investis aux côtés des entreprises que nous assistons.
AJ : Comment avez-vous vécu les différentes évolutions législatives sur ces dernières années ?
Serge Preville : Des réformes majeures interviennent presque tous les deux ans et des modifications marginales tous les six mois. Globalement, quand le législateur a mis en place la procédure de sauvegarde accélérée ou, plus anciennement, les comités de créancier, il fallait y voir une forme de test sur l’opportunité de ces dispositifs. Vous avez aussi eu plusieurs tests qui ont été provoqués par l’urgence du contexte de la crise sanitaire et qui se retrouvent dans la procédure de traitement et de sortie de crise par exemple. Ces dispositifs ont été pensés comme temporaires dans un premier temps. De notre côté à l’IFPPC, nous nous saisissons de ces outils et nous faisons remonter à travers nos consœurs et confrères leurs retours d’expérience par rapport à l’efficacité de ces mesures. Grâce à cette évaluation interne, nous pouvons faire des propositions pour évacuer celles qui sont moins efficaces ou performantes.
AJ : Quelles sont vos priorités au niveau du droit des entreprises en difficulté ?
Serge Preville : D’abord, les administrateurs et mandataires judiciaires ont la conviction d’avoir une utilité évidente dans toutes les procédures, des plus simples aux plus complexes. Sur le plan européen, des réflexions sont en cours sur l’utilité des professionnels pour les plus petites procédures. Cet enjeu est extrêmement important à court-moyen terme car nous sommes des défenseurs du modèle français avec l’intervention d’un professionnel de l’insolvabilité pour tous les types d’entreprise et sur tous les territoires. C’est aussi à mettre en lien avec la typologie des entreprises françaises, très largement des TPE et PME. Ensuite, à l’IFPPC, nous défendons la simplification, la lisibilité et l’efficacité des procédures pour les dirigeants et toutes les parties prenantes. Ce sujet est important pour pouvoir transmettre plus facilement aux chefs d’entreprise des messages sur l’anticipation, la prévention et sur l’accès aux praticiens que nous sommes. Nous continuerons à pousser pour donner de la visibilité au droit des entreprises en difficulté. Par exemple, nous avons deux outils préventifs importants : le mandat ad hoc et la conciliation. Comme professionnels, nous sommes habitués à les manipuler mais 90 % des dirigeants confondent ces deux dispositifs. Nous pourrions réfléchir à fusionner les éléments efficaces du mandat ad hoc et de la conciliation pour créer une mesure plus simple qui remplirait les mêmes objectifs, en laissant une marge de manœuvre au juge qui reste le garant des grands équilibres entre créanciers et débiteurs.
AJ : D’après une étude du cabinet Altares, près de 58 000 défaillances d’entreprises ont été enregistrées en 2023. Globalement, quel bilan faites-vous de l’année concernant les sociétés en difficulté ?
Serge Preville : 2023 a été une année de renormalisation de la situation et des dispositifs destinés aux entreprises en difficulté et à plusieurs niveaux. D’abord, d’après les statistiques, nous revenons à une situation similaire aux chiffres d’avant la crise sanitaire. Finalement, nous avons constaté que la vague annoncée à plusieurs reprises n’a pas eu lieu. Ensuite, il y a une renormalisation des réponses à apporter car nous sommes sortis des dispositifs d’urgence du Covid pour retrouver des réflexes normaux de traitement des difficultés des entreprises. Les banques, l’Urssaf, les tribunaux de commerce et les créanciers ont retrouvé des attitudes plus classiques quant au traitement de la dette. Pour illustrer mon propos, de 2020 au début de l’année 2023, le créancier public et en particulier l’Urssaf sont sortis de leurs exigences habituelles en termes de soutien. Par exemple, le collecteur des cotisations sociales ne considérait plus à ce moment-là le parfait paiement des parts salariales comme un critère pour soutenir. Le rapport à la dette entre 2020 et 2022 avait complètement changé. Il y a eu tous les dispositifs d’exception de la crise sanitaire mis en place par le gouvernement. Le fait d’être en cessation des paiements n’emportait pas de conséquences. Dans notre profession, c’était un véritable bouleversement. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas et nous avons repris nos schémas plus habituels de réflexion.
AJ : Comment expliquez-vous que la vague de défaillances annoncée n’ait pas eu lieu ?
Serge Preville : D’abord, nous avions, très vite après la crise sanitaire, émis l’hypothèse d’un simple effet de rattrapage qui aurait pu conduire à une évolution en 2023 légèrement supérieure aux années habituelles. Nous ne nous sommes pas vraiment trompés. Concernant les facteurs qui peuvent expliquer cette absence de vague, il faut citer la résilience de nombreux paramètres économiques. Le dispositif inédit des prêts garantis par l’État (PGE) créé dans un contexte d’urgence et très rapidement a plutôt bien fonctionné. Il a permis de soutenir l’économie et les taux de défaillance sont finalement très faibles sur les PGE. Grâce aux mesures de soutien prévues par le gouvernement, les entreprises ont réussi à passer la crise sanitaire. Les entreprises qui peinent toutefois à soutenir l’amortissement de ces dispositifs ont à leur main de nombreux dispositifs et parmi ceux-là, le mandat ad hoc et la conciliation qui ont été consacrés comme les outils à privilégier.
AJ : Vous parlez des prêts garantis par l’État mais certaines entreprises rencontrent des difficultés pour les rembourser. Comment travaillez-vous sur la restructuration des PGE ?
Serge Preville : Nous travaillons globalement sur le bilan d’une entreprise. Lors d’une restructuration, nous prenons en compte l’endettement global, à travers le passif sans distinguer à proprement parler les PGE des autres concours moyen terme. Néanmoins, nous pratiquons tous les jours la restructuration des PGE en prévention et en procédure collective. Nous avons tous les outils pour le faire en prévention sachant que la conciliation a été consacrée légalement comme étant la procédure pour le faire. L’homologation ou le constat en conciliation d’un accord de restructuration des PGE est efficace afin de permettre aux partenaires bancaires de conserver la garantie de l’État. Nous restructurons aussi des PGE à travers des procédures collectives. C’est un cadre plus coercitif qui permet de restructurer sur des durées plus longues et de permettre aux entreprises de conserver les taux d’intérêt retenus contractuellement lors de la souscription. C’est d’ailleurs un sujet de plus en plus prégnant.
AJ : Quels sont les types de société et les secteurs d’activité concernés par les procédures préventives ou collectives ?
Serge Preville : D’abord au niveau des activités concernées, l’immobilier et la construction sont des secteurs qui souffrent énormément. Toute la filière est touchée : des artisans aux petites et moyennes entreprises jusqu’aux agences en passant par les cabinets d’architecte et les promoteurs. Même les notaires sont impactés ce qui est assez inédit. Nous avons eu nécessairement recours à des procédures du livre VI. Nous voyons aussi plus de professions libérales par rapport aux dernières années. Bien sûr il y a également une vague de fond dans le retail, avec enseignes souvent bien connues du grand public et avec des enjeux importants sur l’emploi et l’attrait des centres-villes. Ensuite, il y a probablement une hausse des défaillances récente sur des sociétés de tailles plus importantes. C’est probablement la conséquence de difficultés préexistantes à la crise sanitaire et qui se sont accentuées depuis 2020.
AJ : En quoi le contexte économique de l’année 2023 a-t-il complexifié la situation des entreprises ?
Serge Preville : Globalement, les bilans des entreprises ont gonflé pendant la crise sanitaire, pour faire face à des semaines de charges sans chiffre d’affaires. Depuis deux ans et demi, les dirigeants tirent sur les trésoreries car ils remboursent de la dette dont la constitution avait comme unique but de survivre à la crise sanitaire. Les sociétés respectent les moratoires mis en place en 2020 et en 2021. Ensuite, la question des taux est assez décisive. Elle rend la conjoncture très compliquée et même délétère pour l’immobilier. Avec la hausse des taux d’intérêt, l’accès au crédit est aussi difficile et onéreux. C’est un sujet de complexité dans le cadre de notre activité. Dans les dossiers de restructuration, nous travaillons sur des dettes qui ont été émises dans une période favorable où les taux d’intérêt étaient faibles. Aujourd’hui, nous sommes contraints de restructurer dans un contexte opposé où le coût de l’argent est plus important. Nous constatons donc que les partenaires bancaires accompagnent l’allongement de la maturité des prêts de révision des taux, à la hausse. Cela peut parfois redonner du sens aux procédures collectives, et notamment la sauvegarde.
AJ : Comment les dirigeants d’entreprise agissent-ils par rapport aux difficultés qu’ils peuvent rencontrer ?
Serge Preville : La crise sanitaire a permis de mettre en lumière l’utilité de nos procédures et de nos métiers. Elle a participé à une meilleure connaissance et une prise de conscience des chefs d’entreprise des solutions qui existent pour faire face aux difficultés. Globalement, en valeur absolue, chaque année avec un mouvement assez régulier, le nombre de mandats ad hoc ou de conciliations qui sont ouverts est en progression. Mais ces deux dispositifs restent encore insuffisamment utilisés. Plus globalement, nous regrettons que des dirigeants viennent nous consulter trop tard, par méconnaissance ou peur du tribunal de commerce. C’est dommage car plus les difficultés sont traitées tôt, meilleures sont les statistiques de résultats et le parcours est plus acceptable pour le dirigeant et les parties prenantes de son entreprise. Plus vous êtes en amont dans la boîte à outils du livre VI, moins le chef d’entreprise est dessaisi, plus les rémunérations sont contractuelles, plus vous êtes dans l’amiable et moins vous abîmez les fonds de commerce. À partir du moment où le dirigeant acquiert la conviction que le statu quo l’emmène, à terme, dans une impasse de trésorerie, le moment est venu de faire appel aux professionnels du droit des entreprises en difficulté, qui sont tous disponibles dans le cadre d’entretiens de diagnostics et d’orientation gratuits et confidentiels.
Référence : AJU013e0