Stéphanie Chabauty : « Le niveau d’engagement policier en Seine-Saint-Denis devrait toujours être le même que pendant les Jeux »

Publié le 11/10/2024

Dans l’ensemble des barreaux concernés par les Jeux olympiques et paralympiques (JOP), c’est l’heure du bilan. La Seine-Saint-Denis, département qui a accueilli de nombreuses épreuves et infrastructures sportives, n’y coupe pas. La bâtonnière, Stéphanie Chabauty, analyse les temps forts mais aussi les points de vigilance qu’un tel événement implique.

Actu-Juridique : Comment le barreau de la Seine-Saint-Denis s’est-il préparé aux JOP ?

Stéphanie Chabauty : Le barreau de la Seine-Saint-Denis est organisé et préparé pour les JOP depuis fort longtemps. Depuis presque un an déjà, nous avons senti l’effet JO, car nous avons dû faire face aux diverses opérations comme place nette, zéro délinquance, etc., qui ont déjà considérablement augmenté le volume de notre activité, et plus particulièrement les permanences d’urgence de comparutions immédiates. Sur l’organisation spécifique de notre barreau, nous avons mis en place une voilure renforcée. En Seine-Saint-Denis, nous sommes organisés autour d’un système de coordination, c’est-à-dire que nous avons habituellement un avocat coordinateur qui chapeaute chaque jour une équipe d’avocats de permanence (permanence pénale d’urgence majeurs, permanence pénale d’urgence mineurs, avocat pour les victimes, etc.). Normalement ils sont huit et changent tous les six mois. Là, nous avons fait le choix d’en prendre 16 directement pour un an, afin de créer une vraie équipe qui serait présente sur l’ante-JO, pendant les JO et le post-JO. Nous leur avons aussi demandé de mettre en place un système de formation spécifique pour former les confrères (lecture de dossiers, nullité à vérifier, respect de la procédure…), y compris plus spécifiquement sur des infractions comme sur le rassemblement de personnes, la surveillance électronique.

A-J : L’activité a-t-elle été en hausse ?

Stéphanie Chabauty : Les avocats de permanence ont tous été très occupés ! Certes, cela n’a pas non plus été le rush infernal qu’on aurait pu craindre, mais concernant l’activité au tribunal, nous avons eu une hausse de 30 % par rapport à un été normal, en revanche, assez peu de dossiers en lien avec les JO (vol de matériel d’athlète, agression d’athlète, etc.) En fait nous avons traité des dossiers qui sont arrivés jusqu’à nous, notamment par le renforcement des forces de l’ordre qui a fait sortir davantage d’affaires. Parmi elles, les infractions de droit commun habituelles, comme les vols, violences, trafic de stupéfiants, etc. Nous avons eu aussi, toujours en rapport avec la présence des forces de l’ordre, des infractions routières à un niveau que nous ne voyons pas habituellement (défauts de permis, conduites en état alcoolique, etc.). Enfin, sans doute un effet de la surdimension du déploiement policier, nous avons vu arriver beaucoup de dossiers de faits anciens qui attendaient depuis un moment, avec parfois des plaintes remontant à 2022. Ce qui nous avait été annoncé était un traitement direct de l’infraction. Finalement, ce n’est pas du tout ce qui est arrivé.

A-J : Que dire des augmentations des comparutions immédiates ?

Stéphanie Chabauty : Il y en a eu davantage en raison des nombreuses de forces de l’ordre présentes qui ont donc conduit à plus d’interpellations. Et parallèlement, ont été placées en garde à vue des personnes qui auraient dû être auditionnées depuis très longtemps. Cela démontre finalement que le niveau d’engagement policier en Seine-Saint-Denis, pour pouvoir traiter les affaires courantes et ne plus attendre deux ans, par exemple, pour une plainte pour violences intrafamiliales, devrait toujours être le même que pendant les JOP.

A-J : Avez-vous des points de vigilance ?

Stéphanie Chabauty : Les dossiers de comparutions immédiates par jour sont limités. Le nombre est codifié entre le barreau et le tribunal, aussi bien du côté du siège que du parquet. Ce que nous avons vu arriver en comparutions immédiates pendant les Jeux correspondait à ce que l’on voit habituellement en termes de gravité. Les autres dossiers étaient traités par des comparutions devant le juge des libertés et de la détention pour comparaître ultérieurement et éventuellement être placés sous contrôle judiciaire ou en comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) quand les faits étaient reconnus. Cela fait des mois que nous sommes vigilants sur la nature des dossiers envoyés en comparution immédiate, d’autant plus pendant les périodes zéro délinquance car nous avons vu arriver des dossiers qui n’avaient rien à faire en comparution immédiate, notamment des vendeurs de cigarettes à la sauvette pour quelques paquets ou de petits guetteurs.

A-J : Et sur les gardes à vue ?

Stéphanie Chabauty : Nous avons constaté une augmentation sensible (parfois jusqu’à 50 %) et tout à fait sectorisée, des gardes à vue dans les commissariats à proximité des sites où se tenaient les épreuves, comme à Saint-Denis, à Villepinte, Roissy (aéroport), un peu à Saint-Ouen. Là encore le phénomène est lié à des forces de l’ordre particulièrement vigilantes sur ces zones. Nous pensions que cette augmentation des gardes à vue allait nous revenir en boomerang, car tout ne peut pas être traité en comparution immédiate, or nous n’avons pas vu d’augmentation significative de CRPC ou de convocation par procès-verbal avec placement sous contrôle judiciaire (CPPCJ) pendant les Jeux. En réalité, le parquet a fait un choix de politique pénale qui n’est pas satisfaisant au regard des droits de la défense. Même si je pense qu’il y a eu un certain nombre de classements, quand les faits ont été poursuivis, il a été décidé de le faire sous la forme d’un renvoi devant le délégué du procureur ou en ordonnance pénale. Ainsi, soit le parquet a dégradé la qualification pénale soit les faits étaient minimes. Mais cela constitue un problème car ce sont des dossiers que nous ne verrons pas. En effet, ce sont des procédures dans lesquelles les avocats n’interviennent pas systématiquement, puisqu’il n’existe pas de système de permanences. L’avocat n’intervient que s’il est choisi et, pour ce type de dossier, ce n’est pratiquement jamais le cas. Résultat : il y a un tout un pan de la délinquance JO sur lequel nous n’aurons aucune vision, notamment sur ces deux points : est-ce que les faits étaient constitués ou pas, est-ce que la procédure a été respectée ? Le rapport de force est assez différent avec la présence d’un avocat. Ce n’est donc pas satisfaisant.

A-J : Quels recours avez-vous ?

Stéphanie Chabauty : Il n’y en a pas, puisqu’il appartient au parquet de décider de l’opportunité des poursuites. S’il décide de renvoyer ainsi, nous n’avons pas de possibilité de nous y opposer. Tout ceci pose un questionnement plus général sur la possibilité d’ouvrir le champ des droits de la défense, y compris à ces procédures considérées comme des alternatives aux poursuites. Il serait, à mon sens, opportun que les avocats puissent intervenir aussi dans ce cadre-là, de façon systématique.

A-J : Cela a-t-il été dur de recruter des avocats volontaires ?

Stéphanie Chabauty : Pendant les Jeux, j’avais 40 avocats par jour sur le pont, pour un barreau de 650 avocats. Je n’ai eu aucun problème pour remplir les tableaux de permanence chaque jour ! Le barreau de Seine-Saint-Denis est et restera viscéralement attaché au respect des droits de la défense.

A-J : Cet événement permet-il de porter un regard positif sur votre département ?

Stéphanie Chabauty : En tant que bâtonnière, je suis fière de la manière dont mes confrères ont su répondre présents et se préparer afin d’accomplir toutes leurs missions. Mais de manière plus globale, je suis fière de mon département : on en dit tellement souvent du mal ! Les Jeux se sont bien passés, et il y a eu un vrai engouement populaire. Les habitants du 93 ont su démontrer qu’ils sont capables de porter des événements majeurs et d’en faire des réussites !

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