Hauts-de-Seine (92)

Un binôme à la tête du Barreau des Hauts-de-Seine : « Nous sommes des bâtonniers de terrain » !

Publié le 08/03/2023

Isabelle Clanet dit Lamanit et Fabien Arakelian, le premier binôme bâtonnière et vice-bâtonnier des Hauts-de-Seine (92), a pris ses fonctions en début d’année 2023. Après une année de préparation, le duo fait le souhait d’être « utile » et de répondre au mieux aux besoins de leurs confrères et consœurs. Rencontre.

Isabelle Clanet dit Lamanit et Fabien Arakelian

Xavier Muyard

Actu-Juridique : Comment s’est déroulée votre prise de fonction ?

Isabelle Clanet dit Lamanit : C’est très enthousiasmant, après un an à se préparer, d’être aux commandes d’un Barreau comme le nôtre, surtout d’être tous les jours à la rencontre des confrères et consœurs. Nous avons l’obsession de nous rendre utiles, parce que nous sommes des bâtonniers de terrain. C’est dans ce sens-là que nous avons écrit nos vœux. Nous sommes toutefois dans une juridiction qui souffre, qui a une actualité importante qui a impliqué une audition par le Conseil supérieur de la magistrature, une audition par l’Inspection générale des services, une rencontre avec les députés du département des Hauts-de-Seine, début janvier. Notre juridiction est emblématique de l’état de souffrance de la justice dans notre pays. Le barreau est cependant associé à toutes les auditions et c’est tant mieux. On sent que nos avis comptent.

Fabien Arakelian : C’est enthousiasmant, c’est passionnant, et ça nous amène à beaucoup d’humilité par rapport à la grandeur de la tâche. On a déjà les mains dans le cambouis et le mot est faible. J’ai déjà eu une plaidoirie devant le Conseil constitutionnel concernant la protection du secret professionnel. Nous avons aussi dû gérer des incidents, procédé aux premiers arbitrages… Notre bureau est ouvert à toutes les consœurs et tous les confrères. Nous mesurons à quel point le bâtonnier sonde les âmes.

Isabelle Clanet dit Lamanit : Ce sont des détails mais nous avons pris le temps en décembre de recevoir chaque membre du personnel de l’ordre, ce qui n’avait jamais été fait. Les entretiens individuels nous ont vraiment inspirés et ont permis à des idées d’émerger. Nous avons rencontré également les cinq avocats sous contrat avec l’Ordre qui sont vraiment la cheville ouvrière des comparutions immédiates et des déferrements.

Fabien Arakelian : Il y a énormément de concertation. Nous sommes dans une grande phase d’écoute. Nous attachons beaucoup d’importance à cela. Nous avons assisté à notre première prestation de serment en tant que bâtonnière et vice-bâtonnier, le 9 janvier dernier, où nous recevions 28 confrères et consœurs. En termes d’énergie, de dynamisme et d’optimisme, ça revigore de voir tous ces jeunes avocats et avocates accéder à la profession.

Actu-Juridique : En quoi la juridiction souffre-t-elle ?

Fabien Arakelian : La souffrance a atteint son paroxysme avec le décès d’une magistrate dans l’exercice de ses fonctions, en pleine audience. Vous imaginez le retentissement que ce drame a eu sur toute la famille judiciaire ! La juridiction de Nanterre est regardée et nous participons par des recours pour permettre à cette juridiction d’être prise beaucoup plus en considération par rapport à l’importance des contentieux qu’elle a à traiter. Que ce soit au civil ou au pénal.

Isabelle Clanet dit Lamanit : Nous sommes une juridiction historiquement sous-dotée. Une association de magistrats s’est créée et, avec l’ordre des avocats, a introduit un référé devant le Conseil d’État pour contester la circulaire de localisation des emplois. Nous avons été déboutés au stade du référé, ce qu’on pouvait présager. Il y a dans la motivation des éléments qu’on interprète comme encourageants, notamment les délais excessifs de Nanterre qui ne sont pas contestés par la Chancellerie, et le fait que le conseiller qui a rendu l’ordonnance de référé retient que ce n’est pas forcément de la compétence du juge des référés, ce d’autant qu’on est sur un circuit court au fond, avec une perspective de décision à quatre mois. Nous avons donc été audiencés rapidement au fond ce qui montre qu’il a été tenu compte de l’urgence d’examiner la situation de Nanterre.

Actu-Juridique : Qu’a donné l’audition auprès de l’Inspection générale qui devait avoir lieu le 25 janvier  ?

Isabelle Clanet dit Lamanit : Nous avions veillé à nous faire accompagner de deux des jeunes avocates de permanence le jour du décès de Marie Truchet. Elles ont restitué avec précisions les étapes de cette audience interminable puisqu’elles ont terminé à plus de deux heures du matin, malgré l’état de choc émotionnel.

Xavier Muyard

Actu-Juridique : Comment travaillez-vous en binôme ?

Fabien Arakelian : Nous sommes en colocation !

Isabelle Clanet dit Lamanit : Nous avons pris le parti très politique de nous débarrasser du bureau impérialiste pour installer un espèce de « coworking » de bâtonniers dans le même bureau. Nous ne sommes pas toujours là en même temps mais quand c’est le cas, c’est précieux parce que nous nous passons toutes les informations en temps réel.

Fabien Arakelian : Et nous ne nous sommes toujours pas disputés !

Actu-Juridique : L’entente est bonne, le rythme est-il soutenu ?

Fabien Arakelian : Tout à fait. D’autant qu’il est très important pour nous de rester des avocats. Parallèlement à notre rôle, nous continuons tous les jours à plaider nos dossiers, à aller dans les juridictions, dans les prétoires. C’est ce qui fait la caractéristique de notre binôme.

Actu-Juridique : L’année de préparation a-t-elle pu se dérouler comme vous l’aviez anticipée ?

Fabien Arakelian : Nous avons mis en place ce que nous souhaitions faire. Nous avons mis en place une vraie concertation. Nous avons fait notre « audit », à la fois en recevant les membres du personnel, en rencontrant les présidents de commissions, les confrères et consœurs. Face à toutes ces informations, nous avons affiné un certain nombre d’éléments de notre projet et nos futures actions.

Isabelle Clanet dit Lamanit : Nous étions très impliqués auprès du bâtonnier sortant. Au point de faire chacun un mi-temps. Dès le mois de janvier 2023, nous avons mis en place des nouveautés, comme la Commission droits des étrangers qui n’existait pas ou plus dans notre barreau et qui prenait tout son sens notamment avec la création d’un LRA (Local de rétention administrative) sur le département.

Fabien Arakelian : Nous avons aussi créé un poste de référent déontologie et réseaux sociaux.

Isabelle Clanet dit Lamanit : Nous avons des points de convergence avec les deux chefs de juridiction qui sont un peu dans des logiques de modernisation. Compte tenu de l’état de souffrance de la juridiction nous avions des besoins croisés de recréer du lien à travers des temps professionnels partagés et des temps conviviaux partagés. Dans les temps professionnels, le président du tribunal nous a proposé de faire des entretiens de déontologie partagée entre avocats et magistrats. L’usage des réseaux sociaux est par exemple un sujet que nous avons en commun.

Actu-Juridique : Comment s’est déroulé votre premier conseil de l’ordre ?

Isabelle Clanet dit Lamanit : Nous avons la chance de pouvoir compter sur des élus du conseil de l’ordre qui cumulent de hautes compétences juridiques et d’importantes qualités humaines. Nous savons pouvoir compter sur chacun.

Actu-Juridique : Vous parliez il y a un an de l’importance de préserver le secret professionnel. Est-ce toujours le cas ?

Fabien Arakelian : Le secret professionnel est l’ADN de notre profession ! La particularité de notre barreau et son caractère atypique sont qu’il est composé à la fois de grosses structures dont l’activité principale est le conseil et les avocats judiciaires : ce que nous partageons surtout, c’est le secret professionnel. Tout cela s’est illustré par l’audience du 10 janvier 2023 devant le Conseil constitutionnel où il faut rappeler que le barreau des Hauts-de-Seine était requérant, avec le barreau de Paris. C’est un combat de tous les instants.

Actu-Juridique : Que peut-on attendre en ce début d’année ? Des événements ou des actions à suivre ?

Isabelle Clanet dit Lamanit : Nous sommes mobilisés sur la journée du 8 mars avec notamment un événement en cours d’organisation par le barreau. Nous allons réunir autour d’une table ronde des femmes qui ont eu des parcours inspirants et qui viendront témoigner : une sportive de haut niveau, une femme politique, etc. Le barreau soutient la Journée des droits des femmes, il faut l’affirmer haut et fort, notamment pour les femmes et consœurs dans le monde entier.

Fabien Arakelian : Nous avions parlé de la visite des lieux de privation de liberté dans notre programme. Le barreau est précurseur parce que nous avons obtenu l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Cergy Pontoise qui a enjoint le garde des Sceaux d’effectuer un certain nombre de travaux importants de « toilettage » de la maison d’arrêt des Hauts-de-Seine… Le mot est faible. On nous indiquait qu’il y avait en plein cœur de l’hiver un problème de chauffage au sein de la maison d’arrêt. Nous allons exercer plus que régulièrement ce droit de visite dans les prochaines semaines et les prochains mois. Il y aura une prochaine visite pour vérifier le respect des injonctions. Il y aura des visites dans les commissariats de police, dans les centres éducatifs fermés…

Actu-Juridique : Difficile de ne pas évoquer le plan d’action sorti début janvier. Comment vous l’avez reçu ?

Fabien Arakelian : L’augmentation du budget est une bonne chose, nous n’allons pas nous en plaindre. Tout ce qui concerne la médiation, nous n’avons pas attendu le garde des Sceaux pour savoir qu’effectivement ce sont des questions importantes pour lesquelles il faut qu’on soit moteur. Je lis aussi des choses qui m’inquiètent quand je vois des perquisitions de nuit. Il va falloir être particulièrement vigilant sur la protection des droits fondamentaux et des droits de la défense.

Isabelle Clanet dit Lamanit : Dans mon domaine, sur les droits de l’enfant, cela fait des années que le collectif créé par le CNB dit qu’il faut créer un vrai Code de l’enfance qui regrouperait le civil et le pénal. Les deux étant imbriqués en ce qui concerne les mineurs. J’avais assisté à une présentation par Nicole Belloubet qui avait dit qu’elle espérait un acte II avec la création de ce Code de l’enfance, qu’il fallait aller étape par étape. Ces États généraux de la justice étaient l’occasion d’écrire cet acte II. Et l’occasion est à nouveau manquée parce qu’à aucun moment on envisage de l’écrire. Quel dommage ! Nous dire que ce sont des militaires qui vont s’occuper des jeunes… dont acte et pourquoi pas. Mais cela ne peut pas se substituer à un vrai travail éducatif et en l’espèce tous les services sociaux nous disent qu’ils n’ont pas les moyens de faire du travail éducatif…

Fabien Arakelian : Il faudrait arrêter l’inflation législative. Venez visiter les juridictions, rendez-vous compte des difficultés quotidiennes des magistrats, greffiers, avocats et améliorez notre quotidien. La réforme législative certes, mais avec parcimonie.

Isabelle Clanet dit Lamanit : Effectivement, tant mieux qu’il y ait des moyens supplémentaires, des créations de postes supplémentaires, mais concrètement, nous avons besoin d’oxygène dans notre juridiction et on ne voit pas bien ce que ça va changer dans notre quotidien à court terme.

Fabien Arakelian : Tout ça ne va pas réduire les délais d’audiencement au civil comme au pénal.

Isabelle Clanet dit Lamanit : Sur un sujet aussi simple que le nombre de magistrats du siège sur la juridiction, le conseiller de l’État était très étonné que lorsqu’on parle de 108 magistrats pour la juridiction, ce n’est pas 108 personnes sur le terrain puisque le chiffre comprend les arrêts maladie. On en est très loin. Et plus la juridiction souffre, plus on a des magistrats en burn-out qui s’arrêtent.

Actu-Juridique : Que penser de l’annonce de nouvelles places de prison ?

Fabien Arakelian : Il n’y a pas un garde des Sceaux qui n’a pas annoncé la construction de nouvelles places de prison. Venir dire que l’alpha et l’oméga d’une politique pénale existeraient dans la fondation de maisons d’arrêt, c’est tout de même très surprenant comme vision. Il faudrait peut-être se pencher comme on le fait en matière de médiation, au niveau pénal, sur les alternatives à la détention provisoire, comment faciliter les aménagements de peine, la réinsertion, etc. Il me semble qu’on n’aborde pas le problème dans le bon sens.

Actu-Juridique : Quels sont vos vœux pour l’année à venir ?

Isabelle Clanet dit Lamanit : Notre vœu est vraiment d’être utiles. Nous revendiquons le fait d’être des bâtonniers du concret, de la proximité, du dialogue. L’année écoulée nous a montré, à travers notre programme, que plus on discutait plus on s’enrichissait de nos idées respectives et plus on développait notre projet. Depuis notre prise de fonction, le barreau est d’une taille telle que c’est bien d’être à deux. Il y a des décisions où on a besoin de discuter et de notre dialogue ressort une position beaucoup plus intéressante.

Fabien Arakelian : Nous sommes tous les deux profondément avocats avec cette culture du contradictoire. Il se peut que nous ne soyons pas d’accord mais en tout cas nous nous challengeons et de cela naît une décision équilibrée. Nous l’espérons.

Isabelle Clanet dit Lamanit : J’ai dit au moment du passage de bâton que nous allions être un bâtonnier brun et blonde à la fois, gaucher et droitière, XX et XY. C’est assez représentatif de la gouvernance à deux têtes que nous avons envie d’impulser.

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